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La parabole des trois sauvages

Un forum mondial a lieu à Paris. Scientifiques, politiques, écologues, sociologues, etho-ethnologues arrivent du monde entier. Les caméras sont braquées dans les entrées, CNN, France 24 émettent en direct sans interruption. Le service d’ordre a été doublé après l’annonce de la visite d’une star du football. Organisateurs, intervenants, tout le monde vit depuis des jours le téléphone portable vissé à l’oreille. Le public admis se déverse par tous les modes de communication imaginables. La ville est bloquée, les télés en alerte. Deux Pédégés qui viennent d’être élus par « world capital » « Plus gros revenus horaire du monde » sont attendus …

L’éffervescence est à son comble. Dans les rues bloquées, les klaxons hurlent, des hélicoptères survolent la ville…

Tout d’un coup, sortis d’une bouche de métro apparaissent trois sauvages, habillés de peaux d’animaux, des colliers autour du cou comme dans les histoires de notre enfance, mais chacun avec un gros carnet et un crayon à la main…

– « Mais qu’est-ce que vous venez faire là ? Enfin, c’est pas possible, est-ce que vous vous rendez compte ? »

– « Ben, à vrai dire, c’est pas tellement qu’on y tenait. Déjà que c’est pas marrant tous les jours chez vous…Mais on a pensé qu’il fallait qu’on se dépèche si on ne voulait pas qu’il soit trop tard. Parce qu’avec la manière dont vous vivez, vous allez pas tarder à disparaître !

Alors on est venus pour prendre des notes, garder une trace… »

Bien sûr que j’ai une arrière-pensée en vous racontant cette histoire…

Espérance de vie

D’une longue journée qui finit à l’instant avec le forum participatif du Grand Parc « logement, développement solidaire », autour de Beatrice Desaigues, que retenir ? Tout est matière à développement, tout pourrait être l’objet de cette conversation du soir ou de la nuit qu’est pour moi le plus souvent le blog.

C’est ma longue visite à la maison de retraite terre-nègre que je vais essayer de déposer sur ces pages immatérielles dont je ne sais pas vraiment où elles logent entre mon écran et le vôtre. Essayer, car il y tellement d’éclairages possibles de ces deux heures, que déjà en choisir un est réduire la multiplicité de ce que j’éprouve toujours dans ces lieux, et peut-être d’autant plus que je m’y rends dans ma fonction publique.

La visite elle-même à Terre-nègre a quelque chose d’assez formel. Elle a lieu chaque année à l’occasion du « repas du Conseil Général » , un repas amélioré et de qualité offert par le Conseil Général. A cette occasion, le Conseiller Général du canton (Michel Duchène, qu’aujourd’hui nous avons attendu en vain) et moi « visitons » les résidents, le personnel et bien sûr les lieux que nous faisons de grands efforts pour réhabiliter.

C’est un exercice d’une grande délicatesse. Délicatesse intérieure d’abord, car dans la pratique, il est extrèmement simple : les personnes âgées sont toujours accueillantes, ont toujours quelque chose à dire, acceptent avec courtoisie même quand on leur dit des fadaises. Mais, justement… La difficulté vient du fait que j’aimerais passer le repas à une seule table, voire à côté d’une seule personne, parler vraiment, écouter vraiment ou du moins écouter longtemps. Il y a quatre cent résidents, plusieurs pavillons, on se doute que les échanges sont trop courts, même si bien évidemment je ne cherche pas à aller à toutes les tables pour souhaiter bon appétit ou demander si les huitres sont bonnes !

Des bribes de conversation s’amorcent : avec cette dame qui a travaillé trente-deux ans à Terre-nègre et qui finallement vient d’entrer pour y finir sa vie, avec cette autre que j’ai soignée il y 20 ans et qui est toute émerveillée que je la reconnaisse, avec ce collègue médecin qui se souvient de mon nom mais qui ne sait plus très bien pourquoi, avec, avec, avec…

Avec ce monsieur d’apparence très grognon, que je parviens à « entr’ouvrir ». Il a eu une attaque, les pompiers l’ont amené là (sans doute a-t-il oublié les étapes intermédiaires), il me dit qu’il n’est pas fait pour être commandé, qu’il a toujours vécu à sa guise et qu’il espère qu’il va mourir bientôt. Avec cette dame très élégante qui me dit qu’elle est venue-là « pour arranger ses enfants ». Elle n’en dit pas plus, mais on devine beaucoup.

Terre-nègre est une très grande maison, O combien nécessaire à Bordeaux, où les structures d’accueil manquent lourdement. Des niveaux très différents de condition physique et mentale s’y cotoyent. Moyenne d’âge 83 ans, proche de la moyenne générale des résidents de maison de retraite. Deux hectares au coeur de Bordeaux (à quelques mètres de FR3) et pourtant l’impression d’un univers déjà clos, dont on ne sortira plus.

Un résident, d’une sénilité étrangement lucide a répété trois fois en me regardant : « on y viendra tous, on y viendra tous.. » . Il était seul à sa table : sans doute, ses sombres présages n’invitent pas à la convivialité.

L’âge, je veux dire la politique de l’âge, est ma préoccupation majeure. Nous n’avons toujours pas pris la dimension de l’ampleur des problèmes posés par l’augmentation continue de l’espérance de vie. Toutes les familles, toutes sans exception affrontent pourtant un aspect ou un autre de ces problèmes.

Je vais ne dire qu’un tout petit point que je voudrais apporter à Terre-nègre : un cyber café ! Il n’y a pas un ordinateur à disposition des résidents. Ils sont âgés, mais je suis sûre que beaucoup sont bien capables d’apprendre le minimum de gestes pour se connecter, avoir une adresse mail où ils pourront recevoir des messages et les photos de leurs petits enfants. Bien sûr il faut quelqu’un pour venir leur enseigner, leur montrer, les guider si nécessaire. Mais ce n’est pas plus bête qu’une animation autour des chansons de Pascal Sevran. Et avec le temps, de plus en plus de nouveaux résidents sauront se servir d’un ordinateur.

Nous devons inventer et investir très fort pour que l’espérance de vie reste une espérance de vie.

Le jeune vieillard et la belle Garonne

« Un vieillard qui meurt c’est une bibliothèque qui brûle », dit le sage. Eh, bien ce soir, c’est un jeune vieillard, plein d’énergie et de fougue qui est reparti pour un long chemin… La  » bibliothèque franco-allemande » est née, dans le beau sillage du Goethe Institut, de l’Université Michel Montaigne, du Conseil Régional, de la ville de Bordeaux et du Conseil Général.

C’est le Conseil Général que je représentais ce soir pour un moment heureux. Beaucoup de Bordelais ont craint -et moi avec eux- que la belle histoire du Goethe Institut à Bordeaux s’arrête. Le gouvernement allemand a redistribué et élargi ses cartes culturelles à la Chine, à l’Inde et à l’Est de l’Europe. La bibliothèque du « Goethe » de Bordeaux a été menacée de fermeture et de liquidation.

Aujourd’hui elle renaît. Toutes les énergies qui ont été nécessaires étaient ce soir réunies. Nous étions trois dames pour dire notre plaisir que nos collectivités se soient rassemblées autour de l’Université pour réussir ce beau coup (Anne Castanet, Anne Marie Cocula et moi).

C’était sympa, chaleureux, sans réserves. Un ami a fait remarquer que c’est un Allemand qui a fait entrer Bordeaux au patrimoine poétique de l’humanité :

« Souffle le vent du nord-est,
mon préféré entre les vents
car il promet ardente inspiration
et aux marins bonne traversée

 »Va donc maintenant et salue
la belle Garonne
et les jardins de Bordeaux
Là bas, où sur la rive escarpée
S’éloigne le sentier, où dans le fleuve
Profond tombe le ruisseau, mais au dessous
Veille aux lointains un noble couple
De Chênes et de peupliers argentés.. »

Ce jeune vieillard qui ne mourra jamais s’appelait ce soir Hölderlin…

Inégalités sociales de santé (16)

Deux événements hier d’inégale importance. L’un a occupé tout l’espace médiatique et suscité une éffervescence absurde de commentaires, l’autre a été signalé brièvement par les radios ; aucun « politique » ne s’est fendu d’un commentaire. Le premier c’est bien sûr la phrase « Québecoise » de Ségolène. Un français peut-il exprimer autre chose que de la sympathie devant l’effort considérable de ce petit morceau de terre immergé dans la toute puissance anglo-saxonne pour conserver son identité et sa langue ?

Le deuxième est autrement fondamental : c’est la publication des rapports de l’institut de veille sanitaire sur « les inégalités sociales de santé en France ». Les rapports sont austères (« la santé n’est pas sexy » , me dit-on toujours pour me mettre en garde d’en parler trop !) mais sans entrer dans leur détail, ils nous lancent à la figure une des réalités les plus dures de ce début de XXIème siècle : les écarts se creusent entre les plus pauvres et les plus instruits même dans le domaine de la santé. Ils se creusent au lieu de se réduire.

Beaucoup d’hommes se sont battus, ont milité, on écrit, pensé, parlé, fait effort pour défendre le « progrès ». Et les écarts continuent de se creuser. A l’échelle de la planète, la durée de vie est du simple au double entre un Burundien et un Japonais (41 ans contre 82). La différence de PIB entre le pays le plus riche et le moins riche est plus grande qu’elle ne l’était au siècle dernier.

Du simple au double aussi en France, le pourcentage d’enfants obèses quand les parents sont ouvriers ou quand ils sont cadres, du simple au double le nombre de leurs caries dentaires…

Un point fondamental est que ce n’est pas la déficience de notre système de soins qui est en cause, mais celui de notre système de santé. L’accès à la santé est plus discriminant que le soin de la maladie.

Qu’est-ce que l’accès à la santé ? L’information, la prévention, l’accès à des conditions de vie non génératrices de maladie (logement, alimentation, activité physique, estime de soi..).

« La réduction des inégalités de santé est au coeur de la cohésion sociale » dit Martin Hirsch, en introduction de ses rapports. Parmi les « chances d’égalité » d’un enfant (mais aussi d’un adulte ou d’une personne âgée) sa condition physique vient en tête de toutes les autres. On appelait cela la « santé publique », je crois que c’est désormais de « santé sociale » qu’il faut parler : donner à chacun les moyens de son autonomie et de son développement.

Moi, finalement, je trouve ça assez « sexy » d’être bien dans sa peau….

Une jolie histoire de l’abbé Pierre

Une jolie, très jolie histoire, que je dépose au mémorial de l’abbé Pierre.

« L’abbé », comme on l’appelait souvent dans les milieux politiques, demande audience au ministre Georgina Dufoy. L’audience est accordée, l’abbé expose brièvement le cas d’un homme dont il veut qu’il rejoigne sa communauté des compagnons d’Emmaüs. Malheureusement, l’homme est sous le coup d’une reconduite à la frontière…

Georgina, très encourageante « Monsieur l’abbé, si cet homme est recommandé par vous, vous vous doutez bien que nous allons faire notre possible. Comptez sur moi. Je vous tiens aussitôt au courant ! »

L’abbé quitte le bureau en hochant la tête et Georgina confie le dossier à son directeur de cabinet (je tiens l’histoire de sa bouche)

Un semaine plus tard, le directeur de cabinet arrive assez penaud « Il s’agit d’un cas vraiment très fâcheux. Plusieurs vols à main armée, deux tentatives d’agression sur mineur, conduite en état d’ivresse.. » Et il énumère une liste de forfaits peu susceptibles d’aménité …

Georgina demande à l’abbé de revenir la voir

-« Monsieur l’abbé, votre confiance, j’en suis sûre, a été abusée.. Le cas de Monsieur X est au dessus de toutes possibilité de compréhension et même d’indulgence « 

L’Abbé regarde Georgina : – « Madame la Ministre, vous vous doutez bien que si moi, un pauvre abbé, j’ai pris la liberté de vous déranger personnellement, d’abuser de votre temps, c’est que je savais que c’était un cas un peu délicat…

L’affaire finit bien : la cas « un peu délicat » a intégré les compagnons d’Emmaüs, dans la proximité de l’abbé Pierre et n’a plus franchi quelque frontière que ce soit…

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel