La première qualité d’un homme d’Etat est de savoir dire « non ». C’est en réalité la première qualité de l’Homme tout court comme nous l’a appris Camus dans toute son oeuvre et d’abord dans « L’homme révolté ». On imagine ce qu’il écrirait aujourd’hui devant la dérive de l’ump et de ses leaders. « Combat », son journal, qui a disparu peu après lui nous manque bien.
C’était hier Juppé qui dans tous les médias déclarait qu’il y avait trop d’immigrés et qu’il faisait sienne l’engagement de Nicolas Sarkozy de diminuer de moitié les chiffres de l’immigration légale. Et ce, dès l’année qui vient s’il venait à être élu.
Sait-il ce que ça veut dire ? Bien sûr, il le sait mais « Paris vaut bien un reniement » (Henri IV disait « une messe »).
L’immigration légale, c’est quoi ? Le plus fort contingent est représenté par l’immigration économique et Sarkozy y souscrit. Tous les boulots que personne ne veut faire, ça, OK, il veut bien. Il la qualifie d’ « ‘immigration choisie ». Le plus modeste contingent correspond au droit d’asile, c’est à dire les immigrés accueillis parce qu’ils sont pourchassés, torturés, emprisonnés dans leur pays pour raisons politiques. Il n’est pas exclu, au point où nous en sommes qu’il le rabote un peu, mais cela ne saurait suffire.
Reste quoi ? Le regroupement familial. On ne peut diviser par deux l’immigration légale sans, pratiquement, l’interdire. Venir construire nos maisons, ramasser nos poubelles, balayer le métro où les parkings Vinci de Bordeaux, faire le ménage à 5 h du mat des bureaux de M Bouygues, d’accord, mais se marier, être rejoint pas ses enfants, mais, ma chère, vous ne l’imaginez quand même pas ?
Qu’ils aient au moins le courage de dire ce qu’il y a derrière leurs paroles ! D’expliquer que les enfants de ces travailleurs resteront dans un coin de sahel, non scolarisés, mal soignés ou pas soignés du tout ; que les femmes, leurs épouses, resteront où elles sont, recevant de maigres subsides pour nourrir ces enfants, lesquels verront leur père tous les 4 ans quand il aura les moyens de rentrer.
Je parlais tout à l’heure de « reniement ». Quand il était de bon ton de faire le sage et le pondéré, Juppé écrivait « Le regroupement familial est un droit et l’Europe, compte tenu de sa démographie, a sans doute besoin d’apport de main d’oeuvre étrangère » ( « Le Monde », 1er octobre 99)
Le manque de courage me navre, la versatilité selon les opportunités politiques aussi. On a le droit de penser presque n’importe quoi, d’avoir des opinions, mais qu’on les assume, qu’on explique, que les Français sachent et comprennent, qu’ils décident en sachant de quoi il est question.
Qu’on relise le petit opuscule de Camus « Misère de la Kabylie ». La Kabylie est, de beaucoup, moins misérable qu’elle ne le fut. Mais tant de territoires africains, de banlieues de villes, le sont encore. L’immigration n’est pas LA solution, loin de là, mais elle est une miette de chance pour ceux qui ont le courage de partir. Prenons nos responsabilités.