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Je retrouve ma fenêtre, abandonnée 24 heures pour un aller et retour à Bordeaux. C’est un immense poste de télévision, dont l’écran plus haut que large, va du sable au ciel et où quelques sportifs s’égarent à l’occasion. Un, le tente en ce moment, sans parvenir à franchir le mur tumultueux des vagues. Il monte et descend sur sa planche, balloté sur les reliefs irréguliers que provoquent les courants.

La maison où je suis a l’immense privilège d’être affrontée à l’océan depuis presque 90 ans et d’y avoir vaillamment résisté, seule de son espèce à n’avoir perdu en route ni terrasse, ni balcon. En des temps reculés, la mer est venue jusqu’à son premier étage, bien souvent elle est venue à ses pieds, et je me souviens que, dans mon enfance, on descendait à la plage par un escalier de bois très pentu, la promenade de béton ayant été emportée vers les abîmes secrets des dieux marins. En ce moment-même, en fermant les yeux, ce sont ces dieux que l’on entend mener un brouhaha continu et sourd, qui peut être la nuit inquiétant ou rassurant selon le commerce qu’on entretient avec eux.

Pour ma part, ce commerce est amical, même s’il n’est qu’épisodique et relativement distant. Je suis un marin des rives, mais un marin quand même, habitué du langage des vagues, du jeu inlassable des couleurs de l’eau et du ciel et avant toute chose admirative du mélange de constance et de changement permanent du spectacle que j’ai devant les yeux.

Amical, certainement pas idyllique et presque jamais paisible. L’océan, sur cette côte, n’est pas propice aux relations mièvres. Sortir de la maison par temps de tempête n’est pas toujours aisé, le froid s’y engage vite, l’humidité y est toujours sensible. En ce moment même, refermer les volets contre le vent demanderait l’usage d’un manche à balai pour faire levier et ramener à soi les lourds contrevents. Quelques jours de pluie, et le sentiment d’isolement, d’être une sorte de capitaine Nemo dans un bocal entouré d’eau abandonné sur la grève, saisit rapidement. Quand les jours raccourcissent de manière perceptible (en ce moment déjà), l’inquiétude pointe vite et avec elle son cortège d’interrogations auxquelles personne, pas même Jean-Marie Bigeard, n’a su répondre. « D’où viens-je ? », « Où vais-je ? » est aisément perceptible dans les mugissements du vent s’immissant sous les fenêtres ou dans les cheminées, heureusement régulièrement interrompu, pour peu que l’on ne soit pas seul(e), par « Qu’est-ce qu’on mange à midi ? », et la nécessité d’apporter au moins à cela, une réponse.

Mais tout cela, c’est le bonheur. L’inquiétude, on le sait, est dans le mot lui-même -une bonne-heure, pas davantage-, elle n’en est pas le contraire. Le contraire, c’est le spectacle nocturne qui envahit la plage passé minuit et jusqu’à l’aube et qui enfle chaque année. Alcool, drogue, hurlements hystériques, confrontent à une métaphysique autrement inquiétante car elle n’est pas consubstantielle de l’humain face à une nature sauvage. Il y a dix ans, vingt ans, cela n’existait pas. Les jeunes, dont je fus, n’étaient pas des anges là plus qu’ailleurs, quelques-uns comme moi se prenaient un peu pour Chateaubriand, mais ces péchés-là sont véniels et la réalité en guérit toute seule. Tous connaissaient la suite des heures, et s’ils aimaient la nuit, ils acceptaient de vivre aussi le jour, autrement qu’abrutis, pour certains écrasés sur le sable jusqu’à ce que les machines supposées nettoyer la plage, les en délogent.

Dans mes jours d’optimisme, je me dis que nous parlons en vain de tenter de sauvegarder la planète. L’homme aura sombré bien avant.

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