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« Mon frère ce héros »

Dans l’Aude, ce 23 mars, un jeune gendarme s’est substitué au dernier des otages retenu par un groupe terroriste. Il est maintenant, après trois heures de face à face avec ceux qui le retenaient, grièvement blessé et je ne peux que profondément souhaiter que mes confrères médecins le sauvent.

Cette histoire m’a fait souvenir d’une autre. Dans un camp nazi, un jeune résistant, père de famille, avait été condamné pour je ne sais quelle raison (mais y avait-il alors besoin de raisons ?) à mourir de faim et de soif dans un cachot.

Un prêtre de son âge, a proposé aux autorités du camp de le remplacer dans le cachot comme dans ce terrible destin. Les chefs du camp ont accepté et, pire du pire, comble du dédain envers toute grandeur, ils l’ont laissé mourir, jour après jour.

Cette histoire ne m’a jamais quittée. Le Lieutenant-Colonel Beltrame la ravive : ainsi l’héroïsme n’a pas disparu dans les conditions de vie émollientes de la plupart d’entre nous. Puisse-t-il être ramené à la vie pour que nous puissions lui en faire l’hommage.

« A la messe du dimanche »

Dimanche, rendez-vous avait été donné à leurs fidèles par les Musulmans de France de se joindre aux catholiques « à la messe du dimanche » dans leur ville et leur quartier. J’ai répondu à ce rendez-vous en y invitant aussi des croyants d’autres religions ou de pas de religions du tout, ce qui me paraissait répondre au mieux au sens même de cette invitation.

J’étais donc présente à la cathédrale de Bordeaux à 10 h 30, avec quelques amis syriens, protestants et non croyants (je reviendrai sur ce mot). Un évangile et un prêche tout à fait en accord avec la tonalité du jour, mais sans un mot d’accueil, sans un signe à tous les non catholiques « qui pouvaient s’y trouver » (selon la formule d’une infinie finesse du Général de Gaulle dans l’appel du 18 juin).  Outre l’absence d’ « accueil » par les officiants, j’ai été surprise de l’interprétation générale de l’invitation des Musulmans à leurs fidèles à la fois par les responsables des différents cultes et des autorités civiles (aucune diffusion qui ait pu m’atteindre). Les médias ne l’ont pas non plus annoncée, mais seulement relayée, concernant une seule église où se trouvait le recteur Tareq Oubrou.

Le rendez-vous principal avait d’ailleurs été donné le samedi soir et non le dimanche, posant question aux juifs car c’est en effet le jour du shabbat, et surprenant les autres (dont moi) qui souhaitaient suivre le mouvement national.

Le dimanche donc, assistance nombreuse, où j’ai reconnu, outres mes amis, quelques Bordelais de confession musulmane, disséminés dans une assistance de 350 personnes environ. Mon regret encore d’aucun mot d’accueil.

Je reviens sur le mot « non croyant » utilisé aujourd’hui le plus souvent. « Incroyant » son synonyme, est inconsciemment écarté par son l’usage ancien qui en est fait et qui est teinté de faute. Les incroyants des siècles passés étaient surtout qualifiés ainsi par les musulmans.

« Païen », à cette aune, ne vaut guère mieux, mais c’est cette fois les catholiques qui jetaient l’opprobre sur ceux qui pratiquaient des religions polythéistes. Il ne signifie pas tout à fait « qui ne croit pas », mais « qui ne croit pas dans la -ou les- bonnes personnes ».

Quant à « athée » (qui est sûr de chez sûr) qu’il n’existe pas de dieu, et « agnostique » (qui s’interroge quand même..), ils sont trop longs et compliqués à comprendre tout à fait dans un post ou un rapide papier de journal.

En fait, l’usage a raison : « non croyant » est le meilleur. Il prolonge ce beau vers « celui qui croyait en Dieu et celui qui n’y croyait pas ».

 

Juppé, entre ascèse et ivresse

Alain Juppé porte ces derniers mois à une sorte de sommet le soporifisme maîtrisé et bien souvent élégant de son discours politique. En ce moment, plus qu’à tout autre car il s’est habilement paré (en contrepoint du petit Nicolas) du manteau de Grand Rassembleur, de la droite évidemment, de la gauche éventuellement, et du milieu naturellement.

Ces derniers jours, le désormais candidat aux Primaires, épuisé de tourner cent fois dans sa bouche sa petite phrase désastreuse, prononcée après qu’un camion de 19 tonnes a roulé à Nice sur 84 personnes : « Si tout avait été fait, ce drame aurait pu être évité », s’est aussitôt rétabli dans son habituelle sémantique.

Sitôt ses conseillers consultés, sitôt fait : le voilà qui convoque à Paris une conférence de presse. Le Point reprend largement la dépêche de l’AFP « ni angélisme, ni surenchère » . On pourra juger dès le premier paragraphe de la force du discours et de l’opérationnalité des propositions. Les « arguties » sarkoziennes sont pour tout jamais effacées comme sont réduites au néant depuis longtemps les positions « abracabrantesques » d’un Jacques Chirac.

Devant une telle maîtrise, indispensable de passer le verbe juppéen sous une lunette barthésienne. Pour précision, il s’agit bien du verre de lunettes de Roland Barthes et non de la lunette du terrain de football que gardait avec vivacité Yohan barthes(se) , comme l’avait suggéré par sa prononciation le même petit Nicolas.

A Bordeaux, où hors ministère ou temps de campagne nationale, il donne toute sa mesure, Juppé prône en tous lieux la « modération ». Pour exemple, le vin de nos prestigieux vignobles, constant dénominateur de la politique locale. Juppé, qu’il s’agisse de la « fête du vin » ou de celle de la « Fleur » de haute tradition girondine, de la « cité du vin » ou même, lors d’un écart, de Carlsberg, sponsor de l’Euro2016, se situe « entre ascèse et ivresse ». Je condense, j’en conviens, une pensée exprimée sur un même ton égal au cours de centaines de discours, mais en aucun cas, je ne la trahis. Entre ascèse et ivresse, il y a, je le confirme, un long chemin et une position médiane, et celle-là est la bonne !

Reconnaissons-le, mes sources sont moins riches, concernant la sexualité ; ceci malgré une parole osée au moment où l’opinion française a basculé sur le mariage entre personnes de même sexe. Juppé a exprimé devant une France médusée, « qu’après y avoir longuement réfléchi », sa position avait sensiblement évolué et qu’il ne s’y opposait plus, mais conservait toute sa réserve s’agissant de l’adoption par les  personnes susdites.

Sur la sexualité elle même, en l’absence de sondages récents sur l’opinion publique française qui a depuis longtemps oublié le rapport Kinsey, sa parole est plus rare. Je la traduis pourtant  avec confiance : il se situe à mi-chemin « entre débauche et abstinence » mais, pour éviter tout soupçon de radicalisme, ajoute que « la question mérite attention, au regard des différentes pratiques, situations , qualités des personnes concernées ». La sexualité doit-elle être regardée d’un même oeil entre sujets masculins, féminins ou de même sexe ? Eh bien, là aussi d’autres paramètres (signalés plus haut) doivent bien évidemment  être examinés avant de se prononcer.

A son arrivée à Bordeaux, plus encore son retour du Québec (« J’ai changé ») Juppé a confirmé sa position générale de n’être jamais, dans son expression , violemment de quoi que ce soit, fût-ce du centre C’est un homme du « juste milieu » sans l’être tout à fait  et s’il prône régulièrement le « changement de braquets », cela demeure une métaphore ou plutôt un conseil à ceux qui sont affrontés au lourd quotidien de la réalité.

Après cet éclairage néo-barthien, vous ne lirez Juppé d’un même oeil, ni ne l’écouterez d’une même oreille ; jamais plus vous ne vous brancherez lors de ses discours, en mode « vie intérieure ». Et vous aurez raison… Car à tout moment, à la moindre occasion, vous pourrez le découvrir, sortant de ses gonds, le verbe haut et le teint pâle, vouant aux gémonies quelque membre de son opposition ou quiconque ayant pu le contrarier. Le Juppé nouveau est plus contrôlé qu’il n’était déjà au collège de Mont-de-Marsan, mais il n’a pas changé. « Supérieur », il était, supérieur, il demeure.

Comme le Bordeaux…

 

 

 

 

La peste

Le terrorisme est comme la peste : il révèle la vraie nature des hommes. Il y a les grands, qui se taisent et les petits, qui polémiquent, critiquent, jugent, condamnent. Les réactions politiques des dernières 24 heures, en ont fait le triste partage.

La peste rouge du terrorisme vient de frapper la France pour la 3ième fois en 18 mois. C’est une inquiétude plus profonde que la peur qui nous saisit : devrons-nous accepter de voir sacrifiés plusieurs dizaines d’entre nous à rythme régulier comme s’il s’agissait d’une dette à expier sur la folie humaine? Outre « la Peste », toute la mythologie porte cette interrogation : quelle faute avons-nous commise de devoir éternellement accepter de nourrir le monstre d’offrandes sacrificielles ?

Cette faute, c’est la barbarie, la cruauté sous toutes ses formes et degrés, qui telle l’ogre Chronos, se nourrit de ses enfants. Berlin, où je suis aujourd’hui, Moscou, Pnom Penh, Kigali… Tant de lieux qui furent des lieux d’où la folie est née comme un feu que personne n’arrivera à éteindre et qui se sont déclinés en massacres et en camps. Aujourd’hui Daesh, cet état sans visages et presque sans noms autres que ceux de ces crimes.

Ces folies totalitaires ne cherchent pas tant à convertir qu’à contaminer. La radicalisation n’est pas un enseignement que l’on cherche à partager c’est un poison que l’on inocule aux siens. Les autres ne méritant que de périr. Après l’attentat de Breivik, le roi Harald de Norvège avait demandé que son pays réponde par toujours plus de tolérance et d’amour. Cela est-il aujourd’hui possible ? Dire non est terrible, dire oui n’est pas dans le moment actuel, crédible.

La peste, après des siècles, des millions de morts, des centaines de pages, nous avons plus ou moins appris à la traiter quand elle est limitée et qu’elle reste sporadique, mais le vaccin qui nous débarrasserait  de toutes ses formes et de ses foyers multiples, nous le cherchons toujours.

Mais nous rendons-nous compte ?

Mais nous rendons-nous compte contre quoi nous nous battons ? La décadence de l’Europe, économique, industrielle, et bien au-delà. La décadence de l’Europe, c’est-à-dire la nôtre.

A l’extérieur, contre le terrorisme. Ce mot à plusieurs faces où se rejoignent toutes les formes d’intégrisme et de violence. Ce mot qui littéralement nous terrorise et qui, avec l’argent de la drogue, le fanatisme religieux et politique, brûle et détruit chaque parcelle de territoire où il s’implante.

Et j’entends parler ici d’élections, là de rancoeurs, ailleurs encore de petites manoeuvres pour de microscopiques pouvoirs. J’écoute les clameurs de petites haines de quartier, les déchaînements infimes de twitter, les pulsions vengeresses de tribuns de bars.

Il n’y a qu’un mot, qu’un objet : solidariser notre pays, donner envie de le porter, de faire effort, de dépasser le bout de son nez, toujours en avance je sais, mais justement, pourquoi pas ?

Je sais aussi : c’est ringard. Je sais aussi : ce sont peut-être les jeunes ringards, les nouveaux âgés de ma génération, qui vont trouver les mots, l’élan, le courage, pour dire.

 

 

 

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