m

« Âgée », comme les jeunes sont « jeunes »

Je suis « âgée », comme les jeunes sont « jeunes ». Ni plus, ni moins. Ni « personne âgée » qui évoque derechef la marche hésitante et la fragilité du cerveau. Croisant le Maire de Bordeaux, auriez-vous l’idée de dire « ah, tiens, j’ai rencontré une personne âgée ». La réponse est évidemment « non » et j’espère qu’il en serait de même pour Jean-Yves le Drian, Dany Cohn-Bendit, et .. pour moi : nous sommes, tous les 4, « conscrits » .

« Âgés », donc, pas « anciens », pas même « seniors », pas non plus « vieux ». Moins encore, si ces termes sont agrémentés d’un détestable pronom possessif « nos anciens », ou pire encore de quelque qualificatif du genre « les petits vieux ». « Âgé » dans sa simplicité dit l’exacte vérité et constitue l’exact contraire de « jeune ». Âgée, je suis, âgée je reste, juste au jour où j’accéderai au grand âge et où je l’avoue, je préfèrerai « grand âgée » à « petite vieille ».

Sans importance le vocabulaire ? Tout au contraire, il est la base de tout, de l’image que l’on se fait et qu’on donne de l’âge. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », et j’ajouterais : simplement. Dire les choses dans leur vérité nue, sans s’emberlificoter de formules, toujours aussi maladroites que délétères, démontre d’une gène, voire d’une incapacité à concevoir. C’est en partie ce qui explique la difficulté des hommes politiques à parler de l’âge et du vieillissement de la population, comme de tout ce qui concerne la transition démographique. Je dis bien « les hommes politiques » : les femmes du même métal sont beaucoup plus à l’aise, ne serait-ce que pour dire, et même affirmer, leur âge.

Mais justement que penser des mots « vieillir » et « vieillissement » ? Qu’ils sont porteurs d’une nuance d’amoindrissement et de limitation. Il nous manque un verbe qui existe en anglais (to age, qui donne par exemple « active ageing »). La traduction la plus proche en français est « avancer en âge », qui n’a pas cette jolie simplicité de son équivalent anglais. « Vieillir », c’est un peu comme « diminuer en âge » et si cela peut être juste (« elle a beaucoup vieilli »), ce n’est pas obligatoire : les années peuvent s’empiler sans régression justifiant d’être contenue dans le mot.

Cette semaine est celle de « la langue française et de la francophonie ». Profitons-en pour essayer de gagner la bataille du langage de l’âge, ce qui permettra de libérer la parole de tous ceux qui ne savent pas se débrouiller du sujet (médias, élus ..) . Et, autre exemple, renonçons pour toujours à l’horrible expression de « maintien à domicile » qui fait froid dans le dos pour la remplacer par « soutien à domicile » qui, lui, est bien souvent nécessaire et légitime…

Le sens des mots

Combien n’ai-je reçu de commentaires, couvrant toute la gamme désagréables à insultants, pour avoir écrit qu’un mandat politique était PRECAIRE ! Or, il l’est en effet, et il n’y en a pas de plus constitutionnellement précaire, puisque c’est une qualité rendue obligatoire par la notion même de démocratie.

Que veut dire précaire ? J’en appelle au « Trésor de la Langue Française ». « Trésor » en effet dont je recommande à chacun la lecture, et pas même « cher trésor » puisqu’il est accessible gratuitement en ligne ; sa consultation régulière éviterait beaucoup de litiges et d’incompréhensions.

« Qui n’est octroyé, qui ne s’exerce que grâce à une concession, à une permission toujours révocable par celui qui l’a accordée. Avant (…) [Solon], la plupart des habitants de l’Attique étaient encore réduits à la possession précaire du sol et pouvaient même retomber dans la servitude personnelle (FUSTEL DE COUL., Cité antique, 1864, p.342). V. précarité ex.

1. … l’administration peut délivrer des autorisations précaires d’occupation et percevoir en échange des taxes spéciales (pour l’implantation de stations d’essence, d’étalages, de terrasses de café, etc.)…

Suivent bien d’autres exemples. Et un sens supplémentaire est proposé « par extension » : « dont on ne peut garantir la durée, la solidité et la stabilité ». J’ajoute : et le renouvellement.

Les sarcasmes, voire les injures, qui ont plu sur ma remarque confondaient pour la plupart l’instabilité dans le temps et la faiblesse des revenus, laquelle n’est pas contenue dans le mot. Oui, un mandat politique est précaire, mais beaucoup d’entre eux ne correspondent pas à une situation de pauvreté, encore que l’on puisse en discuter puisque nombreux sont les « petits » mandats locaux qui ne s’assortissent que d’indemnités très faibles, voire quasi nulles.

Et si, notre presse saisissait ces mots mal entendus comme des occasions de pédagogie. Je suis profondément convaincue que « s’entendre sur les mots » est une voie vers la compréhension réciproque et la fraternité.

« Apprendre le Français dès l’école maternelle »

C’est une des annonces de François Hollande  lors de sa conférence de presse du 5 février. En réalité, l’annonce tient dans le fait de le souligner et d’en faire clairement un objectif : depuis qu’elle existe, l’école maternelle a pour objet l’apprentissage des savoirs fondamentaux dont la langue maternelle fait partie en tout premier lieu et la socialisation. C’est un remarquable outil d’équité sociale et tous les efforts doivent être faits pour la soutenir et la généraliser.

L’apprentissage de la langue est le premier outil de tous les apprentissages. Il est à l’âge maternel grandement facilité par l’incroyable capacité d’acquisition des jeunes cerveaux et l’on sait que dans des couples mixtes, l’acquisition de 2 voire 3 langues peut être de type maternel.

L’inspectrice générale Alice Delaunay, ma mère, avait lancé dans les années 70 la bilinguisme dès l’école maternelle avec le plein soutien du linguiste Claude Hagège. Ce fut un succès mais malheureusement les crédits ne suivirent pas pour « transformer l’essai » et développer à l’école primaire les acquisitions déjà faites. L’Europe aurait bien fait de s’emparer de ce projet qui eût grandement contribué au sentiment de citoyenneté européenne.

L’annonce du Président prend un sens particulier quand on sait qu’un très grand nombre d’enfants parlent aujourd’hui une autre langue que le français à la maison. Le plus souvent, un des dialectes arabes, quelquefois la langue turque, le tamazight, le romani… Ou bien sûr une des grandes langues européennes.

C’est donc renouer avec cette notion que les premières années sont favorables à l’apprentissage précoce des langues, et ce peut être deux langues, dont l’une doit être le français si l’on veut donner toutes leurs chances à des enfants qui vivent en France et dans leur grande majorité sont français.

La langue -ou plutôt sa mauvaise connaissance- est le premier facteur de ségrégation sociale et professionnelle. Chanter, réciter, jouer en français, c’est apprendre le français. J’ai été très surprise d’entendre ce matin le sociologue de l’éducation François Dubet s’étonner de l’annonce du Président « on n’apprend pas le français à deux ans ! » . Mais si, bien sûr et même avant ! Les premières phrases d’un enfant qui commence à parler sont souvent plus complètes et plus complexes qu’on ne l’imagine. Les enfants ne les comprennent d’ailleurs pas toujours dans leur complexité mais la langue a pour autant fait son chemin et elles s’éclaireront d’elles mêmes.

Demander aux institutrices maternelles de s’assurer de cet apprentissage précoce n’est nullement une non reconnaissance de ce qu’elles font déjà mais au contraire une manière d’en souligner le caractère fondamental. Telle Shiva, j’applaudis de toutes mes mains. Accompagnons ces institutrices en parlant aux enfants dans un français riche et correct.

 

Le français est une langue africaine

Ouaouh ! ça décoiffe  pas mal d’entendre François Hollande ouvrir avec cette forte parole le sommet de la francophonie. Cela dans un décor assez désuet qui nous fait mesurer d’un coup la rapidité d’évolution des mises en scène et des images transmises par les médias.

La phrase elle-même a dû scotcher dans leur fauteuils pas mal de parangons du point-virgule et de l’imparfait du subjonctif. Je fais au demeurant partie des premiers, tout en restant très mesurée sur l’usage du second  qui me parait de voir relever du tact et de la mesure. Mais là n’est pas la question.

La phrase de Hollande est forte. D’abord par  sa vigueur, son caractère surprenant au premier abord et tout de suite après par sa signification politique. On est très loin de « l’homme africain qui n’est pas entré dans l’histoire » de Nicolas Sarkozy. C’est au contraire l’histoire de la France et son avenir qui mettent le pied en terre africaine.

Forte aussi par sa justesse. On le sait, le français est d’abord une langue latine mais le latin lui-même était sans doute bien davantage parlé en terre africaine que dans ce que nous appelons aujourd’hui l’Italie. Staline demandait « le Vatican, combien de légions ? ». On serait sans doute surpris de connaitre la réponse à la question « Le latin, combien de locuteurs africains ?

Comme on l’est d’apprendre que 80% des locuteurs français sont des Africains. Et c’est bien le point le plus aigü de la phrase de Hollande : l’avenir de notre langue se joue de l’autre côté de la Méditerranée. Qui l’avait jusqu’alors exprimé ainsi et qui en avait mesuré toute la signification ? Oui, l’avenir du français se joue là-bas.

Ce que Hollande a bien compris en ouvrant à plus d’étudiants sur notre sol, en les appelant à ce partage d’un même outil et à son utilisation pour la défense des droits et des libertés. Langue de la colonisation sur une part de son territoire, le français peut constituer pour l’Afrique une langue d’identité et de défense contre les appétits économiques et les hégémonies culturelles.

 

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel