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Vote en commission de la proposition de loi « Fin de vie »

Vote à 2 h ce matin 17 février, en commission des affaires sociales du projet de loi « fin de vie » qui viendra en discussion dans l’hémicycle les 10 et 11 mars.
Cette proposition correspond à la volonté d’obtenir le plus large consensus autour d’avancées concrètes pour une plus grande égalité des Français. Elle est signée de deux députés @AlainCleys PS et @JeanLeonetti UMP : je salue pour ma part ce travail qui se situe au-dessus des engagements partisans et qui a demandé a chacun de faire des pas en direction de l’autre.
Trois avancées majeures:
– le droit à la sédation prolongée et continue jusqu’au décès pour que les dernieres heures soit hors de toute douleur et souffrance
– la prise en compte de la volonté du patient, sous la forme de volontés anticipées ou de souhaits clairement exprimés. La volonté de la personne elle-même est prépondérante sur toute autre considération, proches et familles n’étant si nécessaire consultés que pour savoir ce qu’aurait voulu la personne et/ou ce qu’il a exprimé.
– la mise en place d’un plan triennal de soins palliatifs permettant enfin que tous aient accès à ce qui est aujourd’hui un DROIT.
Le débat a été long, dans le respect de la position de chacun. Je salue également les deuxrapporteurs (et auteurs de la PPL) pour leur esprit constructif et leur attention à tous.

La mort va rentrer dans nos vies

Il n’y a guère que le « jour des morts » ou, la veille, la « Toussaint », que les médias osent ce mot brutal et rustre par son absence de circonlocutions: « la mort ». Dès demain, nous reviendrons à la « fin de vie » et à tous ces mots des faire-parts « nous a quittés », »s’en est allé », qui ont majoritairement effacé les « montées au ciel » « a rejoint le  Seigneur », et tant d’autres formules qui habillent de libre arbitre ou d’espoir ce mot de quatre lettres qui est  de tous, le plus « gros mot ».

Nous entrons dans une période particulière, accélératrice de ce que l’on appelle aujourd’hui « la transition démographique » : il s’agit de l’arrivée dans le champ de l’âge des générations des trente glorieuses : les « boomers ».

Ceux-ci, tels l’éléphant dans le boa du Petit Prince, vont déformer les courbes démographiques, puis d’ici 2040, 2050, peut-être davantage, « s’en aller » comme tous les autres avant et après eux. La longévité continuera d’augmenter, mais cette bosse démographique s’atténuera et s’effacera.

Je n’en suis pas autrement contente, faisant partie de ces « early boomers » qui sont appelés à prendre la tête du peloton. D’autres le sont à ma place : les groupes d ‘ entreprises funéraires que les fonds d’investissement se disputent toujours plus, les fondations et les associations caritatives qui appellent chaque jour sur les ondes aux dons et aux legs, et quelques autres petits métiers comme ceux qui récupèrent les métaux précieux des couronnes dentaires et des prothèses après incinération. J’en oublie, comme par exemple les assureurs qui vendent « clefs en mains » des contrats-obsèques sans préciser quelle porte ouvre la dite clef.

Une embellie majeure donc pour le funéraire. Qui le mérite bien, après une mauvaise année 2014, où la clémence du temps a gardé sur terre 5% des promis à leur business plan. Ajouté à la concurrence de la crémation (un Français sur trois), avouons que le désagrément est fort et qu’il est grand temps que les générations 1945-50 envisagent de remplir leurs devoirs.

Il est difficile de parler de la mort autrement qu’avec ce qu’on appelle « la politesse du désespoir ». Un élément plus profond et que d’aucuns trouveront peut-être réconfortant vient compléter, et peut-être radicalement modifier, les perspectives des 30 ou 40 prochaines années.

Le nombre de décès annuel, grossièrement stable depuis 1950, va dans cette même période augmenter  de 50%. Chiffre considérable, surtout au regard de ce que l’on appelle « le nombre d’aidants potentiels » (les proches disponibles) et l’évolution obligatoire du système de santé. Ces fins de vie, de plus en plus nombreuses, devront être accompagnées. Tous et heureusement, ne pourront mourir à l’hôpital, dans les services d’urgence ou, seuls, dans les EHPAD ou ce qui en fera office. La mort va ainsi retrouver le décor de la maison, s’installer de manière plus apparente et plus marquante dans la vie des familles, familles biens souvent beaucoup plus difficiles à cerner qu’il y a 60 ou 70 ans quand cela était encore fréquent. (Rappelons en effet qu’à 80% aujourd’hui la mort survient en « établissement » et non à domicile).

Ces familles (décomposées, recomposées, construites sur d’autres bases) n’y sont pas préparées. Elles le seront : une nécessité si prégnante et si brutale fera loi et, inéluctablement, fera sens. Les enfants auront vu des morts et des morts familiers avant d’entrer dans l’âge adulte et de vieillir eux-mêmes. Leurs parents auront accompagné leurs grands-parents et leurs propres parents avant de se trouver en première ligne. La « fin de vie », l’agonie ensuite, ne représenteront plus pour eux une visite hebdomadaire dans un hôpital et un coup de téléphone quand « c’est fini ».

Eux aussi, au tout dernier moment, auront serré une main, perçu un dernier hoquet et puis ce départ radical, instantané, violent, ce froid rapide à venir, qui s’appellent la mort.

De même que les rites funéraires très marquants des Malgaches ont de tout temps modifié leur vision du monde, ce retour de la mort dans la vie va en modifier l’appréhension et le sens. Je n’exclus pas que cette modification soit positive, elle sera en tout cas obligatoirement forte.

Tout cela, nous devons le penser et le préparer, même ceux qui n’en verront pas le cours entier. Renforcement majeur des structures de soins palliatifs, interrogation collective et individuelle sur ce monde de 7 milliards d’humains, bientôt 8, bientôt 9, rapports différents au sacré, qu’il soit laïc ou religieux, reprise d’un dialogue autre que sectaire, doctrinaire ou intégriste entre les religions..

Le pire n’est jamais sûr, sauf cette mort que nous renvoyons plus loin, chaque jour plus loin, et qui finalement profitera de cette longue attente pour redevenir plus familière.

 

 

 

L’accompagnement de la fin de vie est un droit

De retour du procès du Dr Nicolas Bonnemaison, j’ai une fois encore plus de questions que de réponses. Quand le Président de la Cour m’a demandé de dire « la vérité, toute la vérité » et de jurer, j’ai eu la fugitive envie de dire: « La vérité, je serais bien contente de l’avoir.. ». J’ai juré et finalement, j’ai en effet UNE vérité : l’accompagnement de fin de vie est un droit.

Nul ne doit mourir seul, sans une main amicale sur la sienne ou une voix familière pour l’accompagner, fût-il dans le coma. Nul ne doit mourir sans le secours de l’apaisement de la douleur mais plus encore de la souffrance. S’étouffer est horrible, ne laissons personne seul avec cette souffrance ultime.

On se souvent (de moins en moins) de Bossuet : « Madame se meurt, Madame est morte ! ». A ceux qui disent « c’était mieux avant », je rappelle les terribles souffrances, les odeurs putrides, les vers commençant de dévorer le corps, de la mort d’avant la médecine efficace.

Comment se décline, dans la pratique, au quotidien, cette vérité ?

Pour les grands âgés, qu’ils soient au domicile ou en maison de retraite, doit être offert le même secours que je pouvais donner aux malades qui m’étaient confiés (qui se confiaient à moi) au CHU de Bordeaux : le rassurement de soins de qualité, d’une équipe tout de suite réactive, de l’appui de soins palliatifs si souhaité et nécessaire. Vingt cinq mille de ces grands âgés, résidents d’EHPAD, meurent aux urgences, lieu particulièrement impropre à un accompagnement humain calme, posé, privilégiant le « care » au « save » puisque le « save » n’a dans bien des cas (pas tous) plus de sens. Soixante-quinze % de ces grands âgés, brutalement transférés et hospitalisés, n’atteignent en effet pas la deuxième nuit.

Même exigence pour les patients en fin d’évolution d’une « maladie longue et douloureuse » selon la formule pudique des faire-parts. Toute mort prévisible, anticipable, attendue doit être accompagnée et soulagée s’il en est besoin. Nous sommes nombreux à dire que nous voudrions mourir chez nous. Moins nombreux à savoir combien c’est difficile, quelle organisation cela suppose, quelle solidité cela exige de la part des proches. Ceux-ci ne doivent pas être laissés dans la solitude. Des soignants expérimentés doivent pouvoir être appelés, donner appui, soins et conseils, avant, pendant et après le deuil. Nous sommes loin encore de cela. Réseaux et équipes mobiles de soins palliatifs sont encore trop peu nombreux et bien souvent épuisés et inquiets de n’être pas en mesure de répondre aux besoins.

Cela au moins est une certitude, une vérité maintes fois confirmée par l’expérience, autant celle de médecin que celle de ministre : nul ne doit mourir seul, sans la main d’un proche, sans le secours d’un soignant et si possible avec l’un et l’autre. Le soignant n’est pas toujours nécessaire mais il est très souvent nécessaire qu’il accompagne l’accompagnant, l’appuie, le rassure sur la qualité de ses gestes, ne le laisse lui non plus pas seul.

Cela suppose « des moyens », comme on dit : développer les équipes mobiles de soins palliatifs, soutenir les réseaux de gérontologie et de soins palliatifs, faire qu’aucun EHPAD ne soit sans lien avec une structure de soins palliatifs, et ne puisse bénéficier de l’appui d’une infirmière la nuit, fût-ce dans le cadre d’une mutualisation entre 2 ou 3 EHPAD ou avec un service hospitalier. Je n’ai pu inscrire ces mesures dans la loi que j’ai élaborée autrement qu’en écrivant « favoriser », « développer » .. Mais ce doit être le prochain pas dès que la contrainte financière se désserera.

Le Defenseur des Droits aura-t-il un jour à se prononcer sur la bonne  observance de ce droit suprême ? Est-il besoin de dire que je le souhaite, que je l’attends et que dans mon mandat de député j’inclus cette exigence et le devoir d’y concourir.

Vivre dans la dignité

J’ai été très frappée qu’Henri Caillavet meure dans sa 100ième année et si je ne me suis bien sûr pas réjouie de sa mort, je l’ai fait de constater que cette mort fut tardive et naturelle.

Henri Caillavet, ancien Ministre, parlementaire prestigieux, auteur de nombreuses lois et projets de lois, a présidé à deux reprises l’association « Droit de Mourir dans la Dignité ». Je ne sais rien de sa mort, ni des années qui l’ont précédée, mais je pense qu’elles furent en conformité avec cette dignité dont il a été l’ardent défenseur.

Il démontre en tout cas qu’on peut aborder le grand, voire le très grand âge, et demeurer dans cette dignité et dans ce désir de vivre qui est celui des candidats centenaires. Tous les gériatres le confirment : la demande d’euthanasie est très rare quand l’âge prévisible de la mort approche et c’est tant mieux.

Cette disposition n’est pour autant pas générale : beaucoup (en proportion des autres décennies) d’âgés se suicident. A chaque dizaine d’années que l’on gagne, le taux de suicide augmente. Au dessus de 80 ans, il est trois fois supérieur à la moyenne nationale tous âges confondus (44/100 000 au lieu de 15/100 000) et 3000 âgés se suicident chaque année.

Je n’ai pas de chiffre précis, on s’en doute, mais l’expérience des médecins et en particulier des gériatres montre que la demande d’euthanasie de la part de la personne elle-même est à ces âges pratiquement nulle (ce n’est pas le cas de la demande des familles).

Tout se passe comme si les âgés qui voulaient en finir avec la vie ne comptaient que sur eux-mêmes. Leur suicide est radical, sans possibilité de voir leur main retenue et se fait par arme à feu, pendaison ou défenestration. Hors de ce groupe, relativement faible en nombre, plus la vie devient vulnérable et fragile, plus on a à la défendre, plus on désire continuer à vivre. L’expérience de mes malades m’a aussi enseigné ce principe.

Henri Caillavet (et heureusement tant d’autres) a démontré que l’on pouvait vivre jusqu’au bout dans la dignité, et je l’espère davantage : dans l’honneur, le respect et l’affection, le bien être.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel