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La journée de solidarité

A-t-elle encore un sens, autre que son utilité concrète ? Combien de Français sont-ils capables de dire à quoi elle correspond et les circonstances de sa mise en oeuvre ?

Il n’y a pas là-dessus de chiffres mais force est de constater que les nombreux aménagements qu’elle a subis lui ont fait perdre beaucoup en lisibilité. Pour certains elle demeure une journée travaillée en remplacement du jour férié du lundi de Pentecôte. Ceux-là sont loin d’être la majorité. Le plus souvent elle a été transformée en une journée de RTT travaillée et dans d’autres tronçonnées en heures et quelquefois en 1/4 d’heures supplémentaires dans le cours de l’année.

Initialement très contestée car elle s’adressait aux seuls salariés, elle concerne aujourd’hui tout le monde, ainsi que les revenus boursiers, à l’exception des travailleurs indépendants. Le vieillissement est universel, le risque de handicap aussi, reconnaissons qu’il ne serait pas hors de sens ni de bon sens que cette contribution le soit aussi.

Cette journée, mise en place après la déflagration de la canicule d’août 2003, rapporte 2,4 milliards au budget de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie, elle aussi installée dans le sillage des 15000 morts de 2003. Cela ne constitue qu’un plus de 10% du budget total de la CNSA, le reste étant issu de l’ondam médico-social et de la CSG.

Les Français peuvent et doivent être rassurés : le fruit de leur journée supplémentaire de travail va bien aux âgés et aux handicapés : investissements dans les établissements, améliorant à la fois les conditions de vie des résidents et les conditions de travail des équipes, « médicalisation » c’est à dire financement des postes d’aides soignantes, soutien du secteur de l’aide à domicile.. et aussi, marginalement, financement de travaux de recherche pour une meilleure prise en charge de l’âge.

L’extension cette année de cette journée aux retraités imposables, sous la  forme d’une contribution additionnelle de solidarité (CASA) d’un taux de 0,3% de leur revenu annuel (la proportion d’une journée de travail) contribuera dès 2014 au financement de la loi sur le vieillissement et l’autonomie que j’ai mission de préparer pour fin 2013.

Un billet un peu technique ? Plus que cela, du moins je le voudrais ainsi : comprendre le sens des choses constitue le premier pas, et un pas indispensable, à la participation à la vie publique.

 

Chers vieux

Vous, je sais pas, mais moi, j’en suis sûre. J’ai reçu personnellement un courrier du Maire de Bordeaux, à mon adresse d’inscription sur les listes électorales.

Ce courrier fort civil au demeurant, je dirais presque cordial, me saluait pour mon âge et me proposait à ce titre de retirer en la Mairie de notre ville mon « pass senior ».

J’ai pensé d’abord qu’Alain Juppé saluait ainsi mon action ministérielle et mon engagement pour cette belle cause de l’âge. Las, il n’en était rien puisque tous mes proches et amis, nés avant 1948 avaient eux  aussi reçu un courrier personnel strictement identique.

Incrédule, je poursuivai mes investigations et j’allai de surprise en étonnement à découvrir que c’est bien l’ensemble des Bordelais de plus de 65 ans qui ont reçu un courrier timbré leur étant personnellement adressé.

Ce qui fait un total appréciable de 11 122 courriers. Je me suis tout d’abord réjouie qu’un nombre aussi élevé des ressortissants de mon Ministère habitent notre belle ville et soient en bons citoyens inscrits sur les listes électorales; pour autant, j’en suis venue peu après à regretter que notre pays n’ait plus la chance d’avoir un Ministre des postes : celui-ci se serait réjoui de l’apport substantiel et répété du Maire de Bordeaux à son budget.

 

La République est une femme. Son service aussi

Cent femmes représentant la fonction publique dans sa grand diversité. C’est la belle initiative du Préfet de la région Aquitaine Michel Delpuech de les avoir réunies pour marquer le 8 mars. Initiative hautement significative à laquelle notre quotidien régional n’a consacré qu’un timbre poste ce qui est je crois une erreur : incarner la République en cette période de dureté  est chose nécessaire.

Cent femmes donc, dans des professions éminemment variées où bien souvent on ne les attend pas : démineuse (elles ne sont que 4 en France à éxercer cette profession à risque), motard(e) de la police, policière aux frontières, douanière.. Et tant d’autres qui ont choisi la fonction publique et le service de l’Etat et qui s’y sont illustrées par leur engagement.

On oublie trop souvent que les femmes représentent, globalement, 60 % de la fonction publique avec des pics qui méritent d’être salués  : fonction publique hospitalière 77% de femmes, secteur de l’âge : 87%.

A elles, le travail du dimanche, les gardes de nuit, les astreintes, les horaires décalés, toutes les difficultés possibles à harmoniser vie familiale et vie professionnelle. Et pourtant, autour du Préfet, représentant l’Etat dans notre région, beaucoup de gaieté et de fierté.

J’ai pour ma part marqué également ce 8 mars en inaugurant l’extension de la maison Marie Galène à Caudéran. Soins de suite, EHPAD, soins palliatifs, elle est l’exemple même de l’engagement des femmes. Un engagement où à la dureté des circonstances s’ajoute souvent la pénibilité physique et une disponibilité de tous les instants. Pas une ligne de langue de bois dans ce que j’écris : sous un soleil presque printanier cette inauguration fut une célébration de la vie et de la sororité de celles qui travaillent pour elle.

La République est une femme. Son service majoritairement aussi et il me semble que cette journée si bien partagée à donné de la force à toutes.

Vivre dans la dignité

J’ai été très frappée qu’Henri Caillavet meure dans sa 100ième année et si je ne me suis bien sûr pas réjouie de sa mort, je l’ai fait de constater que cette mort fut tardive et naturelle.

Henri Caillavet, ancien Ministre, parlementaire prestigieux, auteur de nombreuses lois et projets de lois, a présidé à deux reprises l’association « Droit de Mourir dans la Dignité ». Je ne sais rien de sa mort, ni des années qui l’ont précédée, mais je pense qu’elles furent en conformité avec cette dignité dont il a été l’ardent défenseur.

Il démontre en tout cas qu’on peut aborder le grand, voire le très grand âge, et demeurer dans cette dignité et dans ce désir de vivre qui est celui des candidats centenaires. Tous les gériatres le confirment : la demande d’euthanasie est très rare quand l’âge prévisible de la mort approche et c’est tant mieux.

Cette disposition n’est pour autant pas générale : beaucoup (en proportion des autres décennies) d’âgés se suicident. A chaque dizaine d’années que l’on gagne, le taux de suicide augmente. Au dessus de 80 ans, il est trois fois supérieur à la moyenne nationale tous âges confondus (44/100 000 au lieu de 15/100 000) et 3000 âgés se suicident chaque année.

Je n’ai pas de chiffre précis, on s’en doute, mais l’expérience des médecins et en particulier des gériatres montre que la demande d’euthanasie de la part de la personne elle-même est à ces âges pratiquement nulle (ce n’est pas le cas de la demande des familles).

Tout se passe comme si les âgés qui voulaient en finir avec la vie ne comptaient que sur eux-mêmes. Leur suicide est radical, sans possibilité de voir leur main retenue et se fait par arme à feu, pendaison ou défenestration. Hors de ce groupe, relativement faible en nombre, plus la vie devient vulnérable et fragile, plus on a à la défendre, plus on désire continuer à vivre. L’expérience de mes malades m’a aussi enseigné ce principe.

Henri Caillavet (et heureusement tant d’autres) a démontré que l’on pouvait vivre jusqu’au bout dans la dignité, et je l’espère davantage : dans l’honneur, le respect et l’affection, le bien être.

Les EHPAD sont-ils des lieux restrictifs de liberté ?

J’ai eu le privilège au cours de ces dernières semaines d’un long entretien avec Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui rend public aujourd’hui son rapport d’activité 2013.

Lors de cet entretien comme à l’occasion de la remise de son rapport, cette personnalité éminente et unanimement respectée pour la pertinence de ses recommandations (la dernière à propos de l’état des Baumettes à Marseille) a évoqué avec moi la possibilité d’intervenir dans les EHPAD (Etablissements d’Hébergement des Personnes âgées Dépendantes) dont on sait que certaines, nombreuses, comportent des unités fermées pour les malades d’Alzheimer.

Il conçoit cet éventuel élargissement de son champ d’action dans une perspective de prévention. Des inspections administratives sont possibles en EHPAD (diligentées par les Agences Régionales de Santé (ARS) et/ou les Conseils généraux) mais reconnaissons qu’elles surviennent souvent à la suite d’incidents ou d’accidents et d’événements considérés comme relevant de la maltraitance. La possibilité d’une visite inopinée du contrôleur général constituerait en effet un message de vigilance susceptible de prévenir et d’éviter des comportements non adaptés ou de voir perdurer des locaux inadéquats.

Pourtant, cette proposition qui a d’ores et déjà le mérite de poser des questions essentielles sur la liberté et les droits des résidents, se heurte à la fois à des difficultés concrètes et à des questions que je qualifierais de déontologiques.

Tout d’abord les lieux « privatifs » de liberté constituent par définition des lieux où l’on entre contre sa volonté. Une révision de cette définition imposerait un recours à la loi et il faudrait sans doute compléter par « lieux privatifs » par « lieux privatifs ou limitatifs de liberté ».

Mais une première question est tout de suite posée : le consentement d’entrer des âgés est-il toujours plein et entier ? Les conditions du recueil de ce consentement sont-elles bien celles dans lesquelles on reçoit le « consentement éclairé » des personnes entrant dans des essais de recherche clinique et ce consentement répond-il à sa pleine définition? Ma réponse est : nous pouvons et nous devons améliorer les unes et l’autre. Je compte beaucoup sur notre loi d’adaptation de la société au vieillissement pour avancer dans ce domaine. Les droits des âgés sont les droits de toute personne humaine mais ils doivent être explicités pour toutes les circonstances spécifiques qu’elles sont amenées à connaître. Celle-ci en est une et pas la moindre.

Par ailleurs, et c’est un point majeur au regard de la diversité des EHPAD mais plus encore de la diversité des résidents et de leur état cognitif, est-il plus adéquat d’assimiler ces établissements à des lieux limitatifs de liberté ou seulement considérer  individuellement les droits des personnes, sans considération du lieu ?

Dans l’état de nos règlements et de notre perception du grand âge, ma faveur va à la deuxième proposition. Considérer le lieu en soi comme limitatif de liberté aurait deux conséquences fâcheuses.

Il s’agirait d’un signe peu encourageant pour les âgés eux-mêmes de penser qu’ils sont susceptibles d’entrer dans un tel lieu ainsi défini, eux qui ont vécu jusqu’à un âge avancé avec leur pleine autonomie, dans un domicile qui leur était propre et qui, bien souvent, ont eu à traverser des moments (je pense en particulier aux guerres) où ils ont été amenés à défendre leur liberté.

De plus, comment le vivraient les personnels de ces EHPAD ? Ils ont, à tous les niveaux, un métier difficile, exigeant où le dénominateur commun de leur engagement est de conserver aussi longtemps que possible, voire d’améliorer l’autonomie des résidents ? Ne serait-ce pas là aussi un mauvais signe que d’assimiler le lieu de leur exercice comme un lieu limitatif de liberté et non comme un lieu où tout est tenté pour la préserver ?

Mon échange avec M. Delarue a été parfaitement positif. Il n’a méconnu aucune de ces réserves et n’en a écarté aucune. Nous avons parlé des portes fermées, des unités fermées, des digicodes, de la possibilité de dispositifs de géolocalisation pour retrouver des résidents égarés. Sans tabou. Pour ma part la liberté de chaque résident, à tout instant et quel que soit son degré de perte d’autonomie, doit être l’astre supérieur qui commande chacune des décisions et des pratiques (portes fermées, dispositifs de géolocalisation…) en EHPAD. Comme partout.

 

 

 

 

 

 

 

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