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Qu’est ce que la silver économie ?

Un débat s’est récemment engagé autour de cette question. La réponse la plus certaine est celle qui permet de définir et de former une filière de cette forme particulière d’économie.

Alors que j’étais ministre des personnes âgées, nous avons lancé conjointement avec Arnaud Montebourg, Ministre de l’économie, la filière de la Silver Economie. Enorme succès, que nous attendions à peine : le 25 avril 2013 à Bercy, près de 800 personnes représentant des entreprises, étaient présentes et ont toutes souscrites au « contrat de filière » que les deux ministères avaient élaboré ensemble.

Tout à fait entre nous, si nous avions conservé le terme de « gérontechnologies », utilisé alors, le succès n’était pas attendre. En face d’une innovation, il faut un mot nouveau et attractif. Celui -ci contrariait l’usage strict du français dans des textes officiels. J’ai cependant obtenu de conserver « Silver » mais « économie » a légitimement remplacé le mot anglais « economy » dans les textes ultérieurs au lancement.

Par définition, une filière réunit des entreprises et non des structures publiques, comme les hôpitaux ou les EHPAD non commerciaux* (on disait alors « EHPAD lucratifs » et j’ai accédé à la demande de ce type d’entreprises de préférer dans les textes le terme de « commercial ». Reconnaissons que les deux termes ont été légitimés par leurs résultats.

Voici les premières lignes du texte officiel initial.

La Silver Economy regroupe toutes les entreprises agissant pour et/ou avec les personnes âgées. Création de services personnalisés, de technologies pour l’autonomie, ces biens et services seront bientôt indispensables et sont autant d’activités appelées à se développer fortement dans les prochaines années.

Au sens économique de constitution d’une filière, la définition est donc claire.

Récemment une définition plus large a été proposée : celui de système réunissant tout ce qui concerne le soin, la santé, l’alimentation, le mode de vie… des personnes âgées. Voilà qui est tout à fait acceptable et qui correspond à un objectif commun de contribuer au bien vieillir des âgés. Mais il n’est pas question alors d’une filière mais d’un système au service d’un objectif.

Le « lancement de filière » a été fort mal vécu par ma Ministre de tutelle, Mme Marisol Touraine, à laquelle il déplaisait que, même partiellement, mon « ministère délégué » travaille avec un autre Ministre qu’elle même et je me souviens d’un définitif « Occupe toi des ehpad ! » qui m’a laissé entrevoir que ma longévité ministérielle serait écourtée. Ce fut le cas et l’acte II de la loi d’adaptation de la société (« grand âge, autonomie) n’a pas eu lieu. Ce fut rès regrettable, car l’ensemble eût été le totem social du quinquennat de François Hollande.

Twitter s’est enflammé pour rien sur cette définition de la silver économie. Elle est au contraire aisée à comprendre : l’une (« filière ») est précisément définie, l’autre (« écosystème ») est plus large et accueillante et peut par exemple comprendre au moins sur le principe un service de gériatrie dans un hôpital public ..

Je remercie une fois encore, à l’occasion de ce texte, ma petite équipe ministérielle de son travail sur tous les sujets qu’en deux ans nous avons abordé et auxquels nous espérons avoir apporté quelque chose. ; En particulier pour la silver économie, mon remerciement va à M. Fabien Verdier.

Herbe à nigauds, herbe à Nicot (2*)

Un point réunit le tabac et le cannabis : l’échec relatif pour l’un, total pour l’autre des politiques appliquées qui fait de la France dans les deux cas le mauvais élève de l’Europe..

Un Français sur trois est fumeur, les femmes presque totalement épargnées jusqu’aux années quatre-vingt comptent aujourd’hui pour l’essentiel dans l’augmentation des cancers dus au tabac et c’est au total 73000 personnes* qui meurent chaque année du tabac. Le cancer pulmonaire de la femme est, de tous les cancers, celui dont la fréquents augmente le plus. Il tue aujourd’hui plus de femmes que le cancer du sein, pourtant beaucoup plus fréquent chez elles.

On n’est pas en mal non plus de chiffres inquiétants à propos du cannabis. Le nombre de personnes en ayant consommé dans l’année est de 8,64 % (population de 15 à 64 ans). Cette prévalence est une des plus élevées d’Europe et ce sont chaque jour 550 000 individus qui fument quotidiennement des joints. Les jeunes sont les premiers concernés par l’augmentation de la consommation et là est le drame.

Le cannabis n’est pas pour autant le « serial killer » qu’est le tabac et si les jeunes en étaient totalement épargnés, on pourrait le considérer comme modérément dangereux. Hélas consommé dès l’adolescence il réduit de 8 points le quotient intellectuel et est responsable de lésions cérébrales anatomiques et physiologiques en détruisant les transporteurs de dopamine. Les fumeurs précoces puis réguliers sont significativement atteints dans leur vie sociale et professionnelle.

Les deux produits sont addictogènes : loin devant, le tabac dont on considère qu’il dépasse l’héroïne pour le risque d’addiction (Inserm). Le cannabis compte pour un risque 6 fois moins important mais le problème est bien souvent plus complexe car addictions et risques sont souvent intriqués (qui fume l’un, fume souvent l’autre).  C’est au sommet le cas pour l’association cannabis et alcool (sous la forme du « binge drinking »), dévastatrice pour les jeunes cerveaux.

Tout cela est connu de plus ou moins longue date mais n’est en aucun cas une révélation. Pour autant, nos politiques demeurent frileuses, incables de remises en questions comme d’initiatives d’envergure. Une étude récente du groupe Terra Nova, venant à la suite du rapport Vaillant auquel je m’étais associée lors de la précédente législature, analyse les bénéfices et les effets de 3 scénarios faisant évoluer notre législation d’interdiction/ répression du cannabis. Ces 3 scénarios sont les suivants : dépénalisation de l’usage du cannabis, légalisation avec monopole public , légalisation concurrentielle. Dans les 3 cas, le nombre d’usagers quotidiens augmente, mais les dépenses publiques liées à l’arsenal répressif diminuent et en cas de monopole d’Etat, permettant une augmentation du prix elle même génératrice de fléchissement de la consommation, génèrent un bénéfice global pour l’Etat de 2 milliards. La question a été au moins posée.

En ce qui concerne le tabac, nous nous sommes privés à l’Assemblée en 2014 de l’arme majeure de diminution de la consommation en premier lieu chez les jeunes : l’augmentation du prix. Seul, le « paquet neutre » a été accepté par le Président de la République et votée. Celle ciest gelée pour deux ans. Heureusement, la ministre Agnes Buzyn, préalablement directrice de l’Institut National du Cancer a fixé l’objectif du paquet à 10 euros, que j’avais proposé à répétition à l’Assemblée et en tant que Présidente de l’Alliance contre le tabac.es chiffres de la consommation dans la population (prévalence) augmentent et on continue comme avant ou presque.

Pour le cannabis, c’est le risque politique qui freine toute avancée. Plusieurs personnalités (Duflot, Peillon…) en ont déjà fait les frais en recevant les foudres d’une partie de l’opinion en se limitant pourtant à s’interroger sur l’inefficacité de l’attitude actuelle.

Une politique européenne dans les deux cas permettrait d’avancer. Mais qui pour la porter ? Je plaide à répétition pour l’établissement d’un prix minimum européen de vente du tabac, ce qui diminuerait de beaucoup la contrebande. Ce petit pas serait un grand pas en terme de santé et de sécurité publique. publique etCelui-là pourtant marquerait l’histoire de ce petit continent et lui donnerait du sens.

Si la question, une sorte de « choix de Sophie » politique, vous était posée : « aujourd’hui, si aucun des deux produits n’était en vente légale, lequel légaliseriez vous ? » (Ma réponse dans un billet ultérieur)**

*un billet antérieur de 2014, paru sous le meme titre fait état de la situation à cette date. Seule l’augmentation du prix du tabac a marqué un progrès et obtenu une diminution de consommation, hélàs mise à mal dans la période de confinement.

** 79000 morts par an selon les chiffres réactualisés

** J’ai à plusieurs reprises depuis ce billet, pris position pour un assouplissement majeur de l’usage du cannabis thérapeutique . Il figurait dans mes propositions à l’occasion des législatives 2017

Une famille de conte de fées

Tout le monde connaît sa voix chantant « j’ai deux amours » et sa silhouette hanchée, marquée par une ceinture de bananes. Moins nombreux déjà sont ceux qui savent qu’elle fut une authentique résistante et décorée pour cela ; beaucoup trop peu se souviennent de son aventure de mère cosmopolite dénonçant toute ségrégation raciale et adoptant 12 enfants d’origines et de couleurs de peau différentes.

C’est ce dernier chapitre qui a réjoui ma jeunesse. Ces douze enfants étaient en réalité 13 : le premier n’a jamais été vraiment adopté mais accueilli après une rencontre dans un restaurant où il était un petit serveur de 14 ans* et qui a écrit un livre joliment appelé «Un château sur la lune »). Les douze autres l’ont rejoint.

Un souvenir merveilleux pour moi. Sans doute rêvais-je un peu de cette famille de conte de fée réunie dans un château de Dordogne « les Milandes ». Le père, Jo Bouillon, était un chef d’orchestre connu qui avait noué dans notre période parisienne des relations cordiales avec mon père. Je me souviens ainsi d’une répétition de son orchestre sur le plateau du studio des buttes Chaumont et d’une longue conversation qui m’avait presque donné l’impression de faire partie de la tribu… 

Cette mère étonnante était, on l’a deviné, Joséphine Baker. J’en ai très souvent entendu parler à la maison sans pouvoir dire si elle-même avait jamais rencontré l’un ou l’autre de mes parents pour expliquer la place qu’elle tenait dans mon imaginaire. Pendant des années, je me suis interrogée sur le devenir de cette famille inhabituelle, sans rien en savoir vraiment et, ce qui est plus curieux, sans semble-t-il qu’aucun journaliste, ni romancier ne se soit intéressé à son histoire. Le château des Milandes a été vendu aux enchères en 1969 et la tribu arc-en-ciel s’est sans doute dispersée sans qu’on ne sache plus rien d’elle…

Quelques jours après avoir fêté les cinquante ans de sa carrière d’artiste sur la scène de Bobino et devant un parterre de personnalités célèbrissimes, Joséphine Baker meurt d’une « attaque » cérébrale le 12 avril 1975. Presque un demi-siècle plus tard, je reste tout aussi curieuse de cette histoire étonnante et que j’ai presque cru partager …

*Jean Claude Bouillon-Baker « Un château sur la lune »

Mourir dans la dignité ?

Mourir dans la dignité est une exigence qui devrait être inscrite dans les droits de l’homme. Mais qu’on ne se fourvoie pas, cette dignité n’est certainement pas synoyme de la seule mort par euthanasie, comme l’association « Droit de Mourir dans la Dignité » (ADMD) pourrait le laisser penser. 

Etudes comprises, j’ai vécu 44 ans dans la médecine hospitalière : je ne me souviens pas de morts dans l’indignité et pourtant ma spécialité (cancérologie), n’a été que trop généreuse à me permettre la fréquentation de la mort.

Qu’est-ce « mourir dans l’indignité » ?. Mourir dans une souffrance incontrôlée, dans des conditions de soins et d’hygiène qui ne respectent pas l’intégrité ou le soin du corps. ; ce peut-être aussi mourir dans des lieux inadaptés, médiocres, inconfortables comme dans les situations de guerre ou de misère, et n’être pas accompagné de personnes attentives, respectueuses et aimantes. Seul ce dernier point, une présence aimante, a pu manquer au cours de mon demi-siècle de fréquentation de la mort : oui, des malades meurent sans la main de leurs proches, sans le réconfort de leurs présence et de leurs paroles, mais c’est un tout autre sujet, qui ne relève certainement pas de la loi.

Hors de cela, ayant échappé aux guerres, aux catastrophes naturelles, aux morts du fait d’actes de violence ou d’accidents, je n’ai pas souvenir de morts indignes. Aussi chaque fois que j’entends « les François doivent avoir « droit à mourir dans la dignité », je ressens une sorte de révolte et presque de fureur car cela va tellement à l’inverse de l’accompagnement professionnel, amical ou familial que la grande majorité reçoit et que, pour le premier nommé, toute mon équipe hospitalière a continument éxercé.

Certes, le personnel des hôpitaux est en nombre insuffisant ; tout autant le personnel des EHPAD, particulièrement la nuit qui est pourtant le moment où la mort survient le plus souvent. Les familles sont souvent éloignées et la mort au domicile et souvent difficile à organiser et il peut arriver qu’elle soit solitaire. 

Certes aussi et peut-être surtout, les structures de soins palliatifs sont en nombre trop faible pour pouvoir répondre de ceux qui sont amenés à en avoir besoin. La première mesure pour que ce droit à la dignité soit assuré, c’est d’abord de les multiplier. Nous en sommes loin…

Alors, l’euthanasie à date choisie ? Je n’y suis pas totalement opposée par exemple dans une situation telle que celle qu’a vécu ma bien-amie Paulette Guinchard qui ne fut jamais une porte-parole de la loi qui revient aujourd’hui  à l’Assemblée. Elle a au contraire lutté des années, accompagnée d’un époux remarquablement présent, mais « in fine », épuisée, elle a décidé qu’elle ne devait pas aller plus loin. Je n’en ai pas de preuve, mais je suis convaincue que sa conscience était totale.

Ce que je redoute infiniment, c’est que des décisions soient prises par simple crainte du malade de peser sur ses proches, ou qu’elles soient engagées par les familles elles-même comme quelquefois il m’a été demandé. Cela peut être initié sur la foi de directives anticipées datant de plusieurs décennies, alors que le malade n’est désormais plus totalement présent.

Quand nous avons voté à l’Assemblée la loi Claeys-Léonetti, j’ai eu en mains des chiffres bouleversants montrant que les malades d’Alzheimer étaient largement majoritaires parmi les sujets euthanasiés*, ce que des élus Belges nous ont confirmé. 

La crainte la plus grave est que l’euthanasie soit facilitée par l’épuisement et la charge des familles (y compris financière) concernant des malades en perte cognitive irrécupérable. Pour parler crûment, la société elle-même commence de s’interroger sur le maintien en vie de malades très âgés et coûteux. En Belgique une fois encore, des voix s’élèvent pour s’abstenir de soins coûteux après 85 ans. En France la crise du Covid a popularisé l’opinion de quelques beaux esprits s’indignant qu’on « sacrifie la jeunesse » pour des personnes qui n’avaient que quelques mois à vivre**. 

Alors, plus encore dans ce sujet que dans tout autre, la rigueur des mots s’impose. L’immense majorité des malades meurt dans la dignité et notre devoir est de tout faire qu’il en soit ainsi. A ceux qui disent « la dignité, c’est de pouvoir choisir le jour et l’heure », j’ose répondre, tout au contraire, que crois que l’Homme n’est pas fait pour connaître le jour de sa fin. A preuve, le fait qu’aucun d’entre nous ne voudrait vivre en ayant, inscrits dans son agenda, le jour et l’heure de sa mort.

* Il semble que cette situation soit aujourd’hui mieux encadrée mais les références sont nombreuses sur cet état de fait

** au contraire l’analyse de l’âge des morts du covid pendant la première vague a montré que la perte d’années de vie était comprise entre 6 et 10 ans.

Qui se souvient de Caryl Chessman ?

Mon premier (modeste) acte politique fut une pétition contre l’exécution de Caryl Chessman et contre la peine de mort en général. Les souvenirs rattachés à quelque événement d’importance ont ce mérite qu’on peut en retrouver la date. C’était en 1960, j’avais donc 13 ans et faisais mes humanités dans le lycée de filles Camille Jullian à Bordeaux. 

Les filles y étaient alors en blouses à fins carreaux rouges qui effaçaient toute comparaison sociale et nous ne nous en trouvions pas plus mal. L’idée même que ces filles globalement très studieuses pussent être à l’origine d’une pétition concernant un sujet extérieur à la vie lycéenne n’était pas imaginable. L’affaire me valut très vite une convocation au bureau de la proviseure. Cette honorable demoiselle était une proviseure de bande dessinée : âgée, sèche, rébarbative et constamment habillée en noir. Seul le fait qu’on l’appelait mademoiselle précise seul mon souvenir, son nom, pourtant alors redouté, a disparu.

Rencontre peu amène me souvient-il mais ma position de fille de préfet et de plutôt bonne élève m’évita l’exclusion même transitoire et aussi le signalement aux parents qui, entre nous, n’en auraient pas été si mécontents. Un simple rappel à l’ordre conclut l’affaire sans que le but de ce modeste mouvement lycéen ait jamais franchi les grilles de la cour de récréation. J’ose dire que j’en fus décue : sans espérer emporter l’amnistie de Caryl Chessman, j’attendais meilleur écho.

J’ai parlé de la faveur qui entourait ma position de lycéenne. Elle n’était que peu mise à l’épreuve de la part de la proviseure car j’étais plutôt bonne fille mais, au contraire, beaucoup plus visible venant du professeur de français. Je pouvais écrire n’importe quoi , la meilleure note me revenait au point de m’inspirer une stratégie de contrôle. 

Je proposais donc à deux de mes proches camarades d’écrire leur rédaction. Etait-ce alors une rédaction, une composition française ou une dissertation ? je penche pour la « composition française » mais sans aucune certitude. Je pondais donc trois « compositions » et nous tirâmes au sort … Hélàs, la meilleure note revint comme à l’habitude à la copie qui portait mon nom, ce qui me confirma dans une vision néo marxiste de la condition humaine qui ne connut d’ailleurs aucune suite tangible, ni ne suscita d’engagements tant soit peu révolutionnaires.

*Caryl Chessman n’était pas un condamné ordinaire. Il avait écrit trois livres pendant sa détention et sa responsabilité dans de nombreuses attaques et surtout dans plusieurs viols ne fut jamais totalement démontrée. Il n’était en tout cas coupable d’aucun meurtre et son exécution par chambre à gaz conserve aujourd’hui encore tout son caractère révoltant. 

De son vivant, comme après, son histoire a fait couler beaucoup d’encre et Serge Gainsbourg lui a consacré une chanson « Qui se souvient de Caryl Chessman ? ». La chanson, sensée dénoncer la peine de mort, est restée inédite. 

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