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Avons nous perdu tout sens du sacré?

J’ai gâté ce matin presque une demi-journée à la découverte d’un tweet issu d’un « antivax/antipass » , et illustré de l’image d’un manifestant à longs cheveux, portant une lourde croix de bois à la manière dont est figuré Jésus portant sa croix.

La barre horizontale de la croix portait ce message, assez peu charismatique « le vaccin tue votre immunité naturelle ».

Le lien avec l’image de Jésus portant sa croix et ce qu’elle représente pour quelques millions d’humains croyants ou non croyants, était évident, comme le sont la porte du camp d’Auschwitz  et la dérision de son avertissement* et/ou le port d’une étoile jaune, odieusement utilisé pour témoigner de la « dictature sanitaire » où nous serions désormais condamnés. Des centaines de tweets avaient à leur tour condamné cette utilisation indigne de l’Histoire. J’ai pensé immédiatement que cette image soulèverait le même opprobre. 

L’histoire de Jésus n’est pas véritablement un fait historique, bien que nombreux soient les témoignages de son existence et, probablement, de sa mise à mort par crucifixion comme tant de condamnés sous l’empire romain le laissent à croire. Peu à voir en effet sur le plan strictement historique avec les millions de juifs massacrés au temps du nazisme.

Le rapprochement est pourtant évident quand on se situe au niveau de la conscience humaine. L’une et l’autre image font partie de ce que l’on peut appeler « le sacré laïc »* auquel nul ne saurait toucher par respect de tous les autres ; par respect de la souffrance, par respect même de l’espérance que ces images inspirent : espérance que cela ne se reproduise jamais, espérance d’un monde meilleur, sur la terre ou ailleurs, preuve dans tous les cas de notre spiritualité.

L’étoile jaune, comme les chaînes des esclaves, comme l’image d’un homme crucifié sont des références qu’un usage médiocre ne devrait jamais atteindre. Et pourtant cette image d’un homme portant sa croix, cette croix elle-même qui par sa forme est celle de la crucifixion, n’a éveillé pratiquement aucun blâme..

*je souscris à ce « sacré laïc » à l’exemple de Régis Debray et de bien d’autres

** « Arbeit macht frei » : « le travail rend libre »

5 aout

5 aout. J’étais assise au bord de son lit, suivant sa respiration difficile. Et puis, le hoquet final dont je recueille la mousse dans un mouchoir. Papa. il y a 23 ans.

5 aout encore. Une bande de jeunes dans le jardin de L’arrayade, criant, hurlant en plus de la musique au plus fort.

Le monde a changé. Ces maisons d’été, en front de mer, étaient louées par des familles traditionnelles. Ce sont aujourd’hui des bandes de jeunes, ou beaucoup mieux, une colonie de surfeurs. On comprend au passage que les parents aient préféré contribuer pour s’en débarrasser.

L’incapacité à ne rien faire

Les années passant je me vois chaque année confirmée dans une certitude : la race humaine comporte deux espèces : les incapables de ne rien faire, et les réticents à faire. Pour les seconds, j’ai modéré mon vocabulaire : certes ils ne sont pas vraiment incapables de faire (ils peuvent au contraire être talentueux, mais il n’aiment rien tant que de ne pas faire.

Les deux espèces peuvent être également exaspérantes quand elles vont au fond de leur nature. L’incapable de ne pas faire est considéré comme ayant la bougeotte, le tracassin et autres vocables plus ou moins régionaux. Bien sûr, on qualifie les réticents à faire de paresseux ou de flemmards, mais globalement une aménité plus grande les accompagne. Certes, ils sont rêveurs, posés, tranquilles et ceci peut être porté à leur actif. Dans des situations où l’action semble urgente et nécessaire, l’exaspération peut cependant monter et confiner à la crise. Les vacances ou leur préparation en est souvent l’occasion.

Il y a dans ces deux grandes espèces, des sous espèces. Les incapables de ne rien faire peuvent être à leur meilleur dans l’action concrète, ou au contraire dans la réflexion active qui mène à l’écriture ou à d’autres formes d’exercices intellectuels.

Mon père et ma mère représentaient ces sous espèces mais de manière hybride. Ami régulier de l’écriture, mon père savait pouvait s’adonner au delà de ses forces au travaux du jardin. Ma mère qui a condamné ses deux filles dès l’arrivée dans la maison des vacances à la peinture de volets, de tables et de mobilier de jardin, ne passait pas un jour sans gratter quelques lettres ou des feuilles d’agenda. Le repos bête et vulgaire lui était étranger.

J’ai hérité des deux tendances de manière cumulative et j’exaspère ma meilleure moitié qui aspire à la lecture, au repos, à l’écoute de la musique, dédaignant volontiers tout travail de bricolage dont on sait pourtant qu’il vaut beaucoup d’admiration de la part de leurs conjointes.

Bref, rien n’est simple. Les Boomeuses, ont eu l’opportunité -car c’est une chance- de cumuler en grand nombre exercice d’un métier et travail de la maison. On se souvient de la double, voir triple journée qui leur permit l’accès à l’indépendance financier et aussi du titre d’un livre qui a marqué « les héroïnes sont fatiguées ».

Qu’en est-il aujourd’hui ? Je suis mal placée pour en parler n’étant pas dans la proximité de jeunes familles. Les femmes sont-elles plus souvent des abeilles ouvrières que les garçons des frelons agités ? Je n’en sais rien. Je connais quelques exemplaires des deux espèces et de leurs deux variétés… et je ne tire d’autres conclusions de mes travaux zoologie-éthologiques que de m’apercevoir que la période des vacances exacerbe curieusement la franche opposition des cigales et des fourmis, mâles ou femelles..

Aout

Aout est le premier mois où l’on perçoit sans pouvoir l’éviter, le raccourcissement des jours. Enfant déjà, il me forçait à compter les jours jusqu’à la fin des vacances. Je ne nous vois avec ma mère, près de cette fenêtre (celle de la chambre des parents) écrire une lettre à ma grand mère de retour chez elle pour quelques semaines. Il y avait sa fête et son anniversaire et nos lettre étaient à peu près quotidiennes.

A Bordeaux, elle se tenait près de la vitre du premier salon, son ouvrage en mains comme au siècle précédent. Elle était la première à entendre le déclic de la porte que les policiers dans la conciergerie, déclenchaient. Chaban, un jour, la voyant à son poste, s’était précipité pour la saluer et en avait profité pour lui dire tout le bien qu’il pensait de sa fille. Avec son bon sens de paysanne éclairée et avait ensuite déclaré « il est quand meme fort, il a trouvé le seul compliment qu’il m’était possible de croire ». Chaban, en effet, était fort pour plaire… A moi, il avait prédit « toi, petite, tu feras de la politique… ». Je pense vraiment qu’il considérait que c’était une belle prédiction et un grand compliment, de faire un jour « comme lui ».

Je ramasse à la fourchette, les quelques souvenirs qui trainent par là. Quand le futur se tait, quoi d’autre pour remplir le silence intérieur que les bribes de passé qui trainent par là. Les fenêtres sont toujours un utile repère. Le soleil sur les parquets de saint Laurent quand l’après midi avançait, les verres colorés qui s’allumaient au matin dans ma chambre et si l’on ouvrait la fenêtre le bruit des oiseaux presque aussi intense que dans ma chambre d’aujourd’hui à Bordeaux.

Des bruits de raquettes en ce moment sur la plage privée de soleil et l’inlassable bruit des vagues. Cela aussi, intemporel, lié à cette maison. Je me raconte souvent qu’il était exactement semblable aux oreilles de Montaigne quand il chevauchait les dunes aux confins de son Aquitaine. On ne finit jamais de se raconter des histoires…

Si ce n’est le fond, il n’est pas loin

gris du temps, vide du cerveau, si ce n’est pas le fond du trou, ce n’est pas loin. Le gérontopole m’a fait vieillir de dix ans, ce qui est quand meme un comble, en tout cas l’expérience de ce que peut être une entreprise de dévalorisation de la part d’une âpre au gain et au pouvoir, puis d’un Président au comble de sa satisfaction de lui même.

Partir ou tenir, et pour les deux, à quel prix ? K voit mon avenir dans le trio ménage, repassage, cuisine et, seule évasion, jardinage. J’ai du mal. Mon changement de genou approche, je ne vois pas d’éclaircie. Trop de tweets (ou plutôt trop de tentatives de tweets qui ont du sens), pas d’écriture vraie, pas d’espoir ni de chance en vue.

Que faire de mon âge, de ce que j’ai appris à son sujet, de ce qu’il me fait maintenant apprendre de l’intérieur ? La société ne donne guère de chances aux âgés. Seules, la politique et l’écriture ne connaissent pas de barrière officielle, ou en tout cas moins hautes qu’à peu près toutes les autres activités.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel