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Trouillomètre et pifomètre

J’ai eu la chance de rencontrer lors d’un séminaire d’économie organisée par Gerard Collomb, Alain Merieux, actuel Président de biomérieux, entreprise quasi séculaire qui accompagne la vie de tous les médecins et soignants de par le monde.

Je nommerais volontiers Alain Merieux dans le top ten de mes « Elders », ceux qui ont fait le XXème siècle et sont en bonne voie pour le XXIème. Pourquoi cette dénomination américaine de « Elders » : parce ce que ce club très brillant existe déjà outre-atlantique et qu’il n’est à ce jour en France qu’une lueur dans les yeux de quelques uns d’entre nous.

Dans un discours très plaisant qui venait après celui de Gerard Collomb, non moins plaisant, cultivé et spirituel, Alain Merieux a donné les clefs de la success story de sa famille.

Jeune encore, il interrogeait son grand-père Marcel, ancien élève de Pasteur qui fonda l’empire Merieux. Quelles sont les clefs de la réussite ? Quels conseils me donnerais-tu au moment de m’engager dans la voie de l’entreprise ?

Le Grand-père, mêlant pragmatisme médical et expérience entrepreunariale, réfléchit un instant.

– Plus je réfléchis sur le sujet, je vois en effet deux clefs pour mener une entreprise…

Le jeune Alain n’en attendait pas davantage. Deux clefs, quand elles sont bien employées, sont capables d’ouvrir toutes les portes. Il attendit, au sommet de la curiosité.

-Eh bien, ces deux clefs, ces deux instruments sont le trouillometre et le pifomètre. Tu passeras de l’un à l’autre, l’utilisation de l’un te mènera obligatoirement au second et réciproquement. Il n’y a pas d’autre secret..

La leçon m’a parue d’autant plus juste qu’elle ne s’applique pas qu’au seul monde de l’industrie. Plus encore peut-être, à la réflexion, elle mène la réussite politique.

Emploi

« Emploi » est sans le moindre doute le mot de l’année 2013. Et son contraire « chômage » le rappelle à l’issue du 19ième mois consécutif d’augmentation du nombre des demandeurs d’emploi. Près de 5 millions de Français, Dom-Tom inclus, sont sans emploi aucun ou en sous-emploi, 29300 de plus ont perdu le leur le mois passé. Oui, il faut tout faire pour inverser la tendance.

Oui aussi, la bataille est européenne mais elle doit être aussi une bataille nationale, même si nous savons que la politique européenne n’est pas (ou pas tout à fait) que la somme des 27 politiques nationales.

J’entends par bataille nationale quelque chose qui n’est pas loin du patriotisme. Sommes-nous moins forts, moins réactifs, moins créatifs que les Américains quand ils ont accepté le remède de cheval du « New Deal » de Roosevelt ? Avons-nous moins qu’eux le désir que la France demeure une « puissance » qui compte dans les équilibres mondiaux ? Accepterions-nous de la voir devenir le Finistère touristique d’un continent dépassé et nous des gardiens de musée ?

Critiques, râleurs, déprimés, les Français n’en « aiment pas moins leur pays », suivant la formule à la fois un peu usée et toujours vraie. Il reste à le faire comprendre et à le faire vivre. Les Américains d’alors n’étaient pas avares de formules simples (« Ne te demande pas ce que l’Amérique peut faire pour toi, mais ce que tu peux faire pour l’Amérique »), je n’hésite pas à m’y commettre. Et si chacun de nous faisait chaque jour quelque chose de bon pour la France ou pour son double, la République ? N’importe quoi : un tweet, restituer un trop perçu indu, respecter les règles, marquer de la civilité… Les plus petites choses ont un rôle, en particulier les dernières nommées, qui donnent un poil de moral et d’exemple aux autres. Nous devons retourner le cercle dépression/mécontentement/critiques stériles en sens inverse. Pas facile? Il suffit souvent d’un peu..

Revenons plus précisément à l’emploi. Le problème me parait se situer à deux niveaux : un effort d’urgence, un de moyen et long terme.

L’effort d’urgence concerne en particulier les jeunes (leur taux de chômage est le plus élevé jamais atteint en France). Si un jeune perdure dans la galère, il ne reprend pas facilement pied et c’est toute une vie qui peut être compromise.

Je prendrai l’exemple du secteur qui est le mien : l’âge. Il n’est pas le moins éloquent. A cette urgence peuvent répondre dès les mois à venir les emplois d’aide à la personne. Plusieurs voies : les emplois d’avenir – et beaucoup de contrats sont déjà signés-, la « médicalisation » des établissements pour lesquels nous avons débloqué cette année 147 millions euros supplémentaires, l’aide à domicile à laquelle nous avons apporté 50 millions de fond d’urgence pour éviter la destruction de nombreux emplois associatifs (environ 6000).

Je sais qu’il faut aller plus loin et qu’il faut le faire très vite. L’accompagnement des âgés en établissement n’est pas suffisant et l’aide à domicile doit être professionnalisée, à la fois pour être plus attractive mais surtout pour mettre aux côtés des personnes en perte d’autonomie des aidant(e)s connaissant leur pathologie et capables d’y répondre par les bons gestes et les bonnes paroles afin de leur permettre de rester à domicile.

Voilà, dans ce secteur, une réponse qui peut être rapide et répondre à l’urgence 2013. Le besoin est estimé par la DARES à 300 000 emplois d’ici 2020.

La réponse de moyen terme est d’un autre ordre: elle concerne la « Silver Economie », mot générique englobant les gérontechnologies, l’adaptation des objets, du domicile et des quartiers au défi de la longévité. Ce secteur est infiniment créatif et il est susceptible de répondre aux besoin des « baby-boomers » qui ont tout sauf envie de se laisser surprendre par le grand âge sans l’anticiper. Ce groupe -dont je suis une des honorables représentantes- arrive en nombre dans le champ de l’âge avec de forts atouts : être le plus souvent déjà familiarisé au numérique, avoir pour nombre d’entre eux des moyens financiers acceptables et…avoir vu ses parents devenir très âgés alors qu’eux-mêmes atteignaient la retraite.

Tout ne viendra pas de l’Etat. Les (jeunes) âgés eux-mêmes doivent comprendre qu’ils peuvent quelque chose à leur vieillissement et à sa préparation. Que leur épargne (je vais peut être choquer) quand ils en ont doit d’abord être utilisée à leur bénéfice pour anticiper leur vieillissement.

Tout cela est un moteur considérable pour nos industries qui ne s’empareront de ce champ que si elles perçoivent qu’il y a un marché réceptif aux avancées techniques et aux données de la recherche. La Silver Economie aux Etats-Unis connait un taux de croissance de 15% par an. Saisissons-nous en !

Voilà, dans mon secteur, ce que peut-être le deuxième palier, celui de l’économie productive, pour gagner la bataille de l’emploi. Il en va de même dans bien d’autres champs. Chacun peut y avoir un rôle. A titre individuel mais aussi dans son entreprise, dans son administration..

Mon souhait pour 2O13 ? « Ne baissons pas les bras, musclons-les ! ».

Le Père Noël est un âgé

Mon ministère est en ce moment pressé de courriers venant de tous horizons. C’est bien évidemment la période et nous devons faire face à cette réalité : le Père Noêl est un âgé et relève précisément de nos attributions. Il est, et non des moindres, l’un des 15 millions de ressortissants de ce qu’il faut bien appeler un « maxistère » au regard de ce chiffre toujours en expansion qui nous porte résolument en tête des objectifs de croissance du gouvernement.

Création d’emplois, perspectives d’une Economie nouvelle, les médias ne se faisant pas suffisamment l’écho de notre « chef-de-filat », je le fais à leur place et les invite à relayer cette nouvelle réconfortante au regard de la morosité générale.

Revenons-en au Père Noêl et au courrier qu’il vaut à mon équipe. En cette période de fêtes, on pourrait croire ces missives généralement positives : il n’en est rien. Les Français sont les Français et la majorité ont à notre encontre quelque grief. C’est d’ailleurs la dernière de ces lettres qui m’a décidée à m’exprimer et à défendre tout autant le Père Noël et notre action.

Ce courrier me visait personnellement : « A force de vanter les mérites de l’âge, allez-vous installer une gérontocratie dans notre pays ? (…) Et jusqu’à ce père noêl que vous paraissez soutenir et vouloir perpétuer, enfonçant chaque jour notre pays dans un obscurantisme d’un autre âge ? »

Plus sociale, l’inquiétude d’une formation politique: »Vous défendez publiquement les CDI pour favoriser de fait des contrats courts de moins d’un mois, des emplois pénibles… Nous voyons clairement dans ce double jeu, l’expression de l’amateurisme qui vous qualifie et de l’errance de vos politiques ». Se reconnaitra qui veut.

Les mouvements féministes ne sont pas en reste. L’amitié que je leur porte m’incite à une grande réserve. Reconnaissons pourtant que je ne suis pas épargnée et que la « phallocratie rampante » (sic) contre laquelle s’insurgent tenants et tenantes d’une parité sans faille ne va pas sans m’interroger sur ma coupable mansuétude à l’égard de mon prestigieux âgé.

Car enfin, que dire de sa longévité enviable ? Que savons-nous de son activité, de son quotidien une fois déposé le « rouge de travail » qui est le sien ? Au passage, ce n’est pas jusqu’aux designers que j’ai engagé dans la mouvance de la Silver Economie qui ne me font pas remarquer que j’ai peu de suite dans mon souci de moderniser et de rajeunir l’image de l’âge.

Bref, la fonction de Ministre n’est pas aisée, d’autant que ma bénévolence naturelle me porte à trouver à chacun des arguments. Mais c’est dans ces moments de doute, d’inquiétude parfois, qu’il faut en revenir aux fondamentaux.

Oui, le Père Noël est un âgé, peut-être même un grand âgé. Oui son activité évoque davantage le CDD que le CDI. Oui, tout cela est vrai et je l’assume.

Mais n’est-il pas aussi la quintessence de ce que nous voulons pour nous âgés ? Et d’abord le « reward », plus important encore que le « care » à leur égard. C’est à dire la réciprocité, la reconnaissance pour tout ce que les âgés font et ont fait ? L’estime et pour tout dire l’honneur dont chacun d’eux devrait être entouré?

Et tout cela dans un contexte intergénérationnel s’il en est. Le Père Noêl (et les milliards de ceux qui travaillent chaque année sous son nom pour remplir sabots, baskets, tongs et autres souliers de toutes formes, âges et religions (eh oui !)) constitue peut-être la quintessence de ce « contrat de génération » que Michel Sapin (ça ne s’invente pas) nous a présenté au Conseil des Ministres.

Oui, le Père Noêl est un âgé, et la seule vérité que je veux en retenir : ces jours-ci, comme tous les autres, prenons grand soin de lui et de tous ceux qui lui ressemblent.

Depardieu : l’autre éclairage

J’ai hésité beaucoup avant d’écrire sur « l’affaire » Depardieu. Le « bashing » n’est pas mon truc, mais justement, c’est un autre éclairage que je voudrais apporter.

Gérard Depardieu lors de la campagne électorale a expliqué son soutien affiché à Sarkozy par le fait que l’alors Président lui avait « arrangé » un problème fiscal et qu’il manifestait ainsi sa reconnaissance. Ce ne sont pas littéralement ses paroles, mais je ne modifie en rien leur sens et « arrangé » était bien utilisé.

Ce mot n’est pas en soi très réconfortant sur ce que peut être une intervention présidentielle « arrangeante ». Ce n’est pas aujourd’hui le sujet. Par contre, je n’exclus pas que l’annonce de l’exil puisse venir à point nommé pour permettre à la droite, dans un moment délicat pour elle, de pouvoir taper sur le « matraquage » fiscal du Gouvernement.

Car par ailleurs, je ne doute pas que Depardieu ait d’autres interrogations que le montant de ses impôts. Le talent ne s’achète pas au Carrefour du coin, il nait plus volontiers dans le terreau de l’inquiétude. A preuve -ou du moins commencement de preuve- cette histoire.

Il y a peu d’années, Depardieu s’était rapproché d’un mien ami (le Pr André Mandouze) car il voulait avancer dans la connaissance de la pensée et des textes de Saint Augustin. Il avait fait lui-même la démarche et venait chaque semaine étudier la parole augustinienne au domicile de mon ami.

L’apprentissage a débouché sur une lecture de textes choisis par Depardieu dans la cathédrale Saint-André à Bordeaux. Il faisait un froid de gueux dans le vénérable édifice qui a quelque peu entamé l’adhésion du public aux textes comme au lecteur mais il était évident qu’il ne le faisait ni pour un cachet (il n’en avait pas), ni comme un exercice indifférent.

Je suis sûre que Depardieu est plus attaché à l’admiration du public qu’à un zéro de plus sur ses comptes. Alors, pourquoi cet exil ? Hors l’explication avancée plus haut, je n’en trouve guère d’autre.

Mais peut-être a-t-il gardé, dans un coin de son hôtel particulier, le cahier où il prenait des notes sur les écrits de l’évêque d’Hippone..

Visites ministérielles : à quoi elles servent vraiment

Un article de notre quotidien régional Sudouest m’interpelle. Il met en question les visites ministérielles soupçonnées de n’avoir pour objet que de démontrer qu’un ministre est actif. A moi maintenant de démontrer que ce n’est qu’une très, très faible part de leur raison d’être.

Essayons de mettre en ordre ce qui me vient au fur et à mesure de la réflexion :

– expliquer la politique du gouvernement et répondre aux interrogations de ceux que l’on rencontre ; montrer l’impact des décisions prises
– montrer que la politique n’est pas que des chiffres, des taux, des barèmes, des décisions fiscales ; pas non plus une suite de petites phrases plus ou moins vachardes à l’encontre de l’un ou de l’autre ; prouver qu’elle est au contraire en grand part faite de proximité et d’échanges
– se rendre compte sur place de ce qui va bien, valoriser des initiatives originales et éventuellement s’en inspirer pour les développer à l’échelon national ; inversement, identifier ce qui marche mal et comment l’éviter
– valoriser l’engagement des acteurs de terrain (considérable dans le champ qui est le mien)
– annoncer des engagements du gouvernement en direction des territoires (ex :financement de l’EHPAD du CHU avec ma réserve ministérielle) ; expliquer pourquoi ce choix et ce qu’on en attend
– incarner la politique dans son champ de compétence. Je me suis assignée d’incarner la politique de l’âge mais aussi d’en faire évoluer l’image ; cela ne peut être fait dans mon bureau.

Selon les déplacements, l’ordre de priorité de ces points (j’en oublie certainement) est différent. Les deux premiers sont toujours présents, ils constituent une sorte de fond sonore de chaque visite et de chaque rencontre.

Quel est le coût de ces déplacements ? Objectivement, il ne me paraît pas considérable, ne serait-ce que parce qu’ils mettent en œuvre principalement les services de l’Etat dont c’est la mission.
Le nœud de l’organisation est la liaison entre le cabinet du Préfet visité et le cabinet du Ministre. La complexité est très différente suivant qu’une seule structure est visitée ou qu’il s’agit d’une journée complète de déplacement (ce qui, hors Bordeaux, est toujours le cas pour moi). En ce cas il faut en effet articuler les objectifs, s’assurer de la mobilisation, de l’accord et le plus souvent de l’attente des acteurs locaux.

La sécurité des déplacements demande des moyens très différents selon les Ministres. Mais hors Ministre de l’intérieur et de la justice, je peux assurer qu’elle relève généralement du service minimum. Les Ministres « pleins » ont un officier de sécurité, les autres (dont moi) en ont bienheureusement été exemptés par François Hollande. Protocole et décorum sont le plus souvent aussi très réduits. Il est d’usage qu’un véhicule de la Préfecture, le Préfet ou un membre de son cabinet, accompagnent le Ministre. Pour la plupart d’entre nous, ni motards, ni véhicules de police. Rien de très coûteux, ni de très spectaculaire.

Restent la résidence sur place quand un déplacement dure plus d’une journée, ce qui est rare. Elle a lieu à la préfecture, dont l’ « hôtel préfectoral » est fait pour cela, et ne dégage pas de frais notables.

Dernier point : les transports. Tous les ministres disposent d’un abonnement SNCF annuel pour la France entière. Les transports en avion (de ligne pour tous) ont par contre un coût. Tous les ministres ont en sus un déplacement aller et retour par semaine sur leur territoire d’élection (celui où ils ont été élus).

Ce qui m’amène à évoquer mes visites ministérielles à Bordeaux. L’ump s’en émeut régulièrement et elle a raison. Comme dit précédemment, j’y explique notre politique et suis généralement assez favorablement entendue, j’amène sur notre territoire de belles réalisations bien accueillies des Bordelais : l’ump ne peut trouver à ma présence que des motifs de désagrément. Je m’en excuse auprès d’elle.

Elles ne coûtent rien, puisqu’elles ont lieu soit le vendredi après-midi, soit le samedi ou le lundi matin; que dans bien des cas mon service de sécurité est assuré par mon berger allemand dont la compétence en ce domaine est atavique. De motards, point, de quartiers bouclés comme au temps du précédent quinquennat, pas davantage.

En bref, après 6 mois d’éxercice et en moyenne un déplacement (hors Paris) par semaine, j’ai l’absolue conviction que les visites ministérielles sont un outil de proximité de l’action du gouvernement, une mise en cohérence de ce qui monte du terrain et de la décision politique et un moment où –je crois- ceux qui rencontrent le ou la Ministre peuvent mesurer et comprendre ce qui l’anime dans sa fonction.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel