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Faire d’une voie de garage une voie d’excellence

Disons-le sans faux semblant : l’apprentissage demeure une voie considérée comme répondant à des situations d’échec, mal valorisée, mal portée par la classe politique. Hors du constat, nulle proposition de la part de ceux qui prétendent le rendre plus attractif, ne serait-ce que de la part des Ministères de l’Education et de l’enseignement « supérieur ».

L’urgence est pourtant réelle : la baccalauréat, examen qui connait 90% de taux de réussite, ne peut être considéré comme le sésame automatique ouvrant la porte de l’Université, avec les frustrations que l’on connait dès la fin de la 1ère ou de la 2ième année, quand ce n’est pas à la fin des études devant l’absence de débouchés de la carrière choisie.

C’est l’Université qui doit alors évoluer, ne serait-ce que dans son vocabulaire. Parlons de ce que je connais le mieux : les facs de médecine et les formations scientifiques. Pourquoi ne pas réunir les premières années et l’externat sous le nom d’ « École d’apprentissage » ? Même chose pour les stages divers dans les services hospitaliers, auprès des médecins libéraux ou dans des laboratoires. « Mon fils fait son apprentissage de prothésiste, de physicien nucléaire, d’imagerie cérébrale, de clinique pratique »… Ce qualificatif seyant particulièrement à nombre de spécialités qui s’apprennent bien davantage outil en main (qu’il s’agisse d’un scanner ou d’un bistouri) que cerveau dans les livres.

Bref, « apprenti » sera un mot d’autant mieux évalué qu’il s’appliquera tout autant au carénage des bateaux, à la mise en place d’une orthèse qu’à la mise au point d’un appareil à résonance magnétique ou d’une caténaire de tram.
Et, pour ma part, c’est un mot que j’aime beaucoup. Rester « apprenti », c’est ne jamais vieillir.

Absentéisme, le mal français

Si on devait écrire une nouvelle édition du célébre ouvrage d’Alain Peyrefitte , analysant les causes du « mal français » (1976), l’absentéisme figurerait aujourd’hui dans le groupe de tête de ces déterminants.

Le rapport de la chambre régionale des comptes consacré à la gestion de la ville de Bordeaux (conseil municipal du 29 janvier 2018) en donne la douloureuse illustration.

Entre 2010 et 2015, l’absentéisme des 4469 agents de la ville a augmenté de 6,9 jours par agent portant le total de jours d’absence à 33,2 jours pour les agents titulaires (jours d’absence qui s’ajoutent aux 7 semaines de congé annuel concédées à ces agents)

Le coût pour le budget municipal est de 9 millions d’euros, portés à 10,5 millions d’euros par la garantie de maintien de salaire qui fait partie des avantages qui leur ont été donnés.

Cette augmentation continue et rapide concerne dans 61% des cas « la maladie ordinaire ». Nous connaissons tous la phrase tristement répandue « j’ai pas pris ma grippe cet hiver « ; ceci simplement pour expliquer ce qu’est la « maladie ordinaire ».

A Bordeaux, comme partout ailleurs, ce sont les salariés de plus de 45 ans qui constituent le plus gros contingent d’absentéistes. La relation à la pénibilité n’est pas évidente puisque, par exemple), la direction des affaires financieres et de la gestion, avec deux autres, figure dans le peloton de tête.

Un élément qui à la fois rassure quant à la dégradation de l’état sanitaire de notre pays, et à la fois inquiète en terme de progrès social, ce sont les titulaires qui sont le plus souvent absents. Le total de jours d’absence des intérimaires n’est que de 6 jours/ans contre 33 chez ces titulaires.

Les conditions de travail, au sens facilités faites aux salariés, primes, compensations,temps de travail ne peuvent etre considérées ici comme déterminantes. Nous avons démontré au contraire lors du débat qu’elles étaient particulièrement favorables du fait, comme l’a dit l’adjoint aux finances, « d’une longue tradition de partenariat entre la ville et les représentants des salariés ». Euphémisme qui cache une tradition, antérieure même à Alain Juppé, d’achat de la paix sociale par des libéralités répétées et bien souvent sans fondement légal. Que constate-t-on ? Que l’absence de « vagues », de mouvements de grève, ne fait pas le bonheur au travail des salariés et ne les vaccine pas contre les aléas des maladies et inconforts ordinaires.`

J’ai pris l’exemple de la Mairie de Bordeaux, car le rapport déjà évoqué vient d’être communiqué et ne souffre pas de contestations dans ses chiffres. Il n’est qu’un exemple. Si la fonction publique territoriale figure en tête des 3 fonctions publiques pour l’absentéisme, le mal est largement partagé.

Tous ces chiffres sont formidablement inquiétants sur notre modèle social et sur la bonne santé (au sens propre comme figuré) de notre société. Je pourrais cependant donner d’autres exemples, la plupart publiés, d’autres tus. Comment se fait-il par exemple qu’il existe au sein du ministère de l’éducation un corps d’enseignants remplaçants, et qu’il n’en existe pas dans le corps soignant hospitalier ? Je laisse la question sans réponse car on n’en trouvera nulle part d’assise sur des chiffres fiables.

Quels remèdes ? En ce qui concerne la Mairie, une prime d’assiduidité récompensant les « petits absentéistes » avait donné des signes positifs, elle a été diluée dans un système de primes qui la rend à la fois inapparente et inopérante. Le mal continue donc de progresser sans coup férir. Des mesures de prévention, d’entretiens infirmiers..  agissent comme des cautères sur jambe de bois, mais font bonne apparence.

Cette progression de l’absentéisme, résistant chez nous aux progrès sanitaires comme aux progrès sociaux, est pour moi une source d’inquidétude et quelquefois d’un découragement que je ne sais pas contrer. C’est la question du bonheur au travail, mais aussi de la perception du travail comme une monnaie d’échange entre les hommes qui est posée. Dans les grandes villes, comme Bordeaux, les difficultés de déplacement, l’éloignement du domicile au lieu de travail, ne suscitent pas la motivation de se rendre quotidiennement à son travail, en ajoutant à la durée du travail proprement dite, le temps et la fatigue des déplacements. Le télé-travail, les plates-formes de co-working en périphérie vont peut etre aider à pallier ce type de difficultés. Je place aussi un espoir dans l’application de méthodes de management, valorisantes pour les personnels. Mais il faudra un mouvement profond pour réduire, sinon guérir, ce mal français et redonner au travail le sens qu’il devrait avoir.

 

 

 

 

 

 

Le travail, une valeur de gauche

Beau et surtout très, très intéressant discours de Benoît Hamon à Bercy devant 15000 personnes. Changement de ton et magistral retour aux valeurs fondatrices de la gauche, en lettres majuscules. La GAUCHE historique, fondamentale, essentielle et qui, en effet,  fait toujours « battre le coeur ».

C’est un champ souvent évoqué dans ce blog, qui me retient une fois encore : la place et la valeur du travail. Ce champ est à ce point fondateur de la gauche que j’ai été gravement troublée de le voir jusque-là trop absent ou malmené dans la campagne de Benoît. Oubliées aujourd’hui, ou en tout cas non mentionnées, les phrases-clefs des Primaires :  « Notre rapport au travail doit changer », « le travail ne doit plus être au centre de la société », « qui n’est pas heureux dans son travail doit pouvoir arrêter bénéficier d’un revenu » .. (Je cite non littéralement, mais sans changer le sens) . Exit aussi, le fait que le travail doive inéluctablement se raréfier, voire disparaître, et en tout cas ne plus fonder notre rapport au réel. Il va changer, plus radicalement encore qu’on ne le croit, avec un retour majeur du travail non substituable par la technique quand nous serons demain près de 10 milliards de terriens, mais il demeurera à la base de notre place dans la société et de nos liens sociaux sous peine de basculer dans une socièté façon « le meilleur des mondes ».

J’ai entendu aujourd’hui dans le discours de Bercy : « Comme vous, je crois à l’effort, comme vous je crois au travail ». Et dans une phrase que je ne sais plus citer exactement, un salut sans réserve au rôle émancipateur du travail. Merci Benoit. Merci pour la petite fille dont tu as parlé et qui demain sera peut-être à ta place à Bercy, candidate comme toi à la Présidence de notre République ; merci pour les milliers de jeunes qui t’entouraient, merci pour tes parents (et en particulier ta maman, ce que toi seul comprendras..) qui ont travaillé, peiné, pour que tu sois ce que tu es. Merci tout court : mes grands parents et mes parents étaient, en tous points, semblables.

Et bravo pour tout ce discours. Pour ces accents de tribun, pour cet incroyable effort de concentration que suppose un tel exercice. Ne le négligeons jamais : ceux qui s’y appliquent n’ont pas « de la mémoire » mais de la volonté et une exceptionnelle capacité de travail. Toutes les cases susceptibles de rassembler la GAUCHE en lettres majuscules, celle que j’évoquais tout à l’heure, tu les as marquées et personne d’entre nous ne peut y être insensible. Oui, mon coeur a battu. Et c’est avec le coeur, mais aussi avec les mains de l’artisan, les pieds du marcheur et le réalisme du père de famille gérant un budget, que nous devons construire dans une Europe que, toi comme moi, nous aimons et à laquelle nous voulons appartenir pleinement.

 

« Tu me donnes de ta boulange, je te donne de ma chasse »

Notre meilleure monnaie d’échange, ce n’est pas l’argent -et heureusement- , c’est le travail.

Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Giono dans une petite nouvelle de rien du tout, devenue un grand film via Marcel Pagnol. Ni l’un, ni l’autre n’étaient des politiciens avisés et n’avaient d’ailleurs aucune envie de le devenir. Et pourtant, « la femme du boulanger » devrait être étudiée à Sciences Po pour cette simple réplique:

– « Tu me donnes de ta boulange et moi, je te donne de ma chasse. »

C’est le vieux marquis à monocle, Castan de Venelle, qui dit presque sans y penser cette phrase  au boulanger Raimu. Le premier a une perdrix dans la main, l’autre une fougasse. Notons au passage que le Marquis ne se doutait guère de pondre à cet instant précis un aphorisme digne de figurer dans le « petit livre rouge » de Mao.

Le vieux chasseur et le boulanger, on voit que je donne au mot « travail » un sens très large ; le même qu’en voyant Salvatore Caputo,  faire battre des mains sur le rythme de Carmen à un Grand Théâtre bordelais bondé jusqu’aux ceintres. N’oublions pas le vieux Gide: « La littérature, c’est 10% de talent, 90 de travail ». La musique aussi.

J’entends déjà mes détracteurs: Mao est un auteur très oublié, Gide plus encore. Ringarde, je suis, ringarde je reste. Il y a quand même du monde sur ce thème : de Marx à Michelle Obama, dans son dernier discours officiel, on est plutôt nombreux sur ce thème.

Le travail est une chaîne entre nous, un lien tendu dont Pierre doit remercier Paul, et Paul, Fatima ou Kevin. Celui qui défend dans son patelin la présence d’un médecin, sait bien que, s’il n’y a pas une école ou un garagiste pas loin, il n’y aura pas non plus de docteur. Alors oui, quelquefois, on n’a pas envie de se lever pour aller au boulot, alors -plus encore- quand on a un boulot dont le sens n’est pas évident et que la technique doit pouvoir remplacer, il faut avoir à disposition toutes les possibilités pour se former et évoluer. Alors -et plus, plus encore- quand on n’a pas de boulot du tout, on a le droit d’avoir toutes les aides pour découvrir la variété de ce que j’appelle « travail » et dénicher celui où l’on pourra se réaliser.

Mais, merde*, arrêtons de dire que le travail est un boulet, une valeur en voie de disparition et même que ce n’est pas une valeur du tout ! Rien de ce dont on est fier ne se fait sans travail. Les femmes sans doute savent tout cela mieux que leurs congénères masculins : c’est le travail et rien d’autre qui leur a permis de gagner leur liberté.

 

*je précise que ce « merde ! », est un merde poli, savamment calculé et modestement revendiqué…

 

 

 

 

 

 

 

 

Revenu universel, travail optionnel ?

Je m’interroge de longue date sur le revenu universel, et ceci sans lien avec les « primaires citoyennes » où la proposition a été introduite par un des candidats de la gauche (Benoît Hamon). C’est bien davantage deux constatations qui m’y ont amenée. Tout d’abord, la diversité non pas des avis, mais de ceux qui le soutenaient : des personnalités très diverses, de droite comme de gauche, s’y sont montrées favorables. Un groupe de chrétiens de gauche (les « poissons roses »), parmi lesquels un petit nombre de députés amis, en a fait sous le nom de « revenu de libre activité » * un de ses axes majeurs de réflexion, arguant que toute vie a une valeur et que cette valeur est égale pour toutes. Ce à quoi on ne peut que souscrire, en particulier quand on a choisi la voie de la médecine.

Mais est-ce vraiment la question ? Je laisse de côté l’applicabilité de la mesure, c’est à dire son périmètre (celui des citoyens d’un pays ou tous les citoyens du monde, fussent-ils nouveaux arrivants dans ce pays), son niveau (minimal ou permettant une vie décente), son coût pour l’ensemble de la société qui y souscrit. C’est plutôt son principe, universalisant la dissociation entre le revenu et le travail, qui m’interroge.

Je ne suis pas une femme de parti, mais je me vis comme fondamentalement socialiste. Nous voilà bien par les temps qui courent où tant d’augures de tout poil prédisent la disparition et du mot et de la chose de la scène politique. Socialiste veut dire habité par l’idée d’égalité en dignité, en droits et en possibilités d’aller au meilleur de soi-même. C’est ce troisième membre de phrase qui ne colle pas tout à fait avec le revenu universel.

Ces « possibilités » supposent la liberté d’en user, l’éducation qui permet de les découvrir et le travail de les accomplir. Marx et la primauté du travail sur le capital** n’ont fait que tardivement (au moment du bac) leur entrée dans mon champ de vision. Le travail comme moteur d’une vie, comme combustible tout terrain de son accomplissement et de la découverte de soi (« faire au mieux ce pour quoi on est le moins mal fait ») a au contraire fait partie dès l’enfance de la boîte de Pétri où je me suis construite.

S’y ajoute, pour ma génération, l’idée que la libération des femmes n’allait pas sans leur indépendance professionnelle, matérielle, intellectuelle et je redoute que le revenu universel ne soit un piège tendu à leur émancipation.

Pour tout dire, le travail est pour moi fondamentalement une valeur de gauche et il a animé tous ceux qui ont mis en place notre système d’éducation et d’émancipation. Il y a dans le revenu universel une sorte de résignation à la diminution annoncée de l’emploi. Le Bureau international du Travail a là-dessus des prévisions  à la fois réalistes et désespérantes : nous serons demain 9 milliards quand les emplois tels que nous les connaissons seront réduits par le numérique et toutes sortes de progrès technologiques.

Je préfère penser que ces « emplois » seront d’un autre ordre. La transition démographique ouvre un champ considérable dans le domaine de l’aide et du soin. La transition écologique ouvre les mêmes perspectives dans l’habitat, les transports et les modes de consommation. L’art, la culture et la création vont-elles tout d’un coup se réduire ou au contraire faire découvrir des territoires nouveaux ?

Je choisis pour ma part la confiance en l’incroyable capacité d’adaptation qui a fait de l’homme de Neandertal, l’homo sapiens. Il lui a fallu pour cela beaucoup d’effort, d’énergie, de volonté d’aller plus loin. C’est un peu tout cela que j’appelle « travail ».

 

A lire, deux petits livres aussi différents que leur couleur:

*un petit livre rose « A contre courant », éditions le cerf

**un petit livre orange « Contre le revenu universel », éditions lux

 

 

 

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