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Loi santé : intervention en discussion générale

Monsieur le Président, Madame la Ministre, Mme la Présidente, chers collègues,

 

Permettez moi tout d’abord de rendre hommage à toutes les victimes des jours tragiques que la France a vécu et de saluer  mes confrères et l’ensemble des soignants pour leur engagement , puis leur fierté d’avoir sauvé des vies, évité des amputations et des drames plus grand encore. Non, les métiers du soin, du secours et de l’aide ne sont pas des métiers ordinaires comme ne l’est pas non plus la santé sans laquelle aucune de nos valeurs ne trouve son plein exercice.

Le texte que nous allons de nouveau examiner a un caractère décisif dont aucun article, aucun amendement n’est indemne

–       décisif pour tous les Français, pour leur qualité de vie à tous les âges, pour leur longévité. La santé est notre meilleur outil et notre meilleur atout dans toutes les circonstances de la vie. A nous tous d’être à la hauteur de ce grand rendez-vous qu’est une loi de santé publique

–       décisif pour l’avenir de notre système de santé et de notre sécurité sociale, unique trésor de ceux qui n’ont rien, allié du nouveau-né comme du grand vieillard

Trois clefs et seulement trois pour nous garantir de pouvoir assumer autant le coût de ce formidable cadeau qu’est la longévité que les remarquables progrès technologiques et thérapeutiques que connaît la médecine, en particulier dans le domaine du cancer :

1-la prévention,

2-la prévention

3-la prévention c’est à dire la réduction des maladies et des évitables et de leur formidable coût sanitaire et social

Je veux dire : une politique de prévention ferme, assumée dans ses objectifs ce qui n’est pas toujours le cas, convaincue pour avoir quelque chance d’être convaincante ; bien au delà de celle, trop souvent incantatoire, que nous pratiquons depuis des décennies dont les résultats sont maigres, sinon d’augmenter la fracture entre ceux qui y sont le plus accessibles et au contraire ceux qui y ont culturellement, matériellement le plus éloignés. Leur santé doit être pour nous une priorité plus grande encore ;

Faisons un rêve : celui de voir proposé à notre ambition et à celle de tous les Européens, au lieu du CAC 40, du DAX, du dow jones, ou du nikkei, un barometre de la santé sociale, taux de mortalité prématurée, taux de suicide, prévalence du tabagisme, alcoolisme des jeunes, couverture vaccinale..  Les Européens auraient plus de fierté à les voir réduits de moitié que de n’entendre parler que de leurs dettes et de la notation de l’agence Moody ou de standard & poors

Le renforcement de la prévention, qui constitue l’un des piliers de ce texte, est cependant fragilisé par des initiatives visant à satisfaire à des intérêts autres que la santé publique : mes chers collègues, dans une loi de santé, il s’agit de santé, rien que de santé pas d’œnotourisme, et pourtant vous savez à quel point je suis attachée à ma région ; pas non plus de défendre des intérêts financiers de toutes sortes pas même d’accompagner les buralistes dans l’évolution de leur métier, comme nous le souhaitons tous, sans qu’eux-mêmes acceptent de décrocher leurs revenus tabac des volumes vendus. Sans cela, nous ne parviendrons pas.

 

Ayons une vision politique de la santé !  Demain, si nous faisons rien, tous nous serons comptables des dégâts sanitaires causés par les  drogues de toutes sortes : 220 morts par jour du tabac en France ; 130 de l’alcool et des milliars de jeunes qui entrent chaque jour en addiction.

Nous savons, comme nous savions hier pour l’amiante, ne laissons pas dire demain ni jamais que nous n’avons rien fait.

 

Le vin n’est pas un produit comme les autres, la loi Evin non plus

Non, le vin n’est pas un produit comme les autres parce qu’il est un produit culturel et son usage en quantité modérée  n’est pas addictif, ni véritablement toxique. Quand il est bu de manière conviviale et, je le répète, en quantité modérée et de préférence occasionnelle, il est un vecteur de lien social, de culture et de plaisir partagés. A ce titre, il a un caractère bénéfique sur les fonctions cognitives. Loin d’être un(e) ayatollah de la santé, je suis -le concernant- d’une libéralité  très grande, jusqu’à avoir suscité dans le temps de mon ministère des dégustations de vin (Bordeaux contre Bourgogne) dans un milieu de grands âgés. En tant que Bordelaise, je suis fière que le nom de ma ville soit mondialement connu à cause de son vin et que ce produit né des siècles précédents et toujours   « élevé » avec le plus grand soin, soit à l’origine d’une vraie culture et de belles traditions.

Mais.. Il n’a échappé à personne que nous sommes dans une société marchande et bien souvent vénale. Des prédécesseurs courageux ont mis en place des lois et des règlements pour que ce produit d’exception ne soit ni banalisé -sur aucun plan- ni dévié. Si nous introduisons des failles supplémentaires dans ce corpus législatif, nous ouvrons grande la porte aux pressions, aux intérêts territoriaux et aux lobbies ; ceux qui profiteront de ces failles ne seront pas les viticulteurs, moins encore  les petits viticulteurs, mais les alcooliers, les grands brasseurs et les cigarettiers.

En voulant définir ce qui est publicité ou information, nous facilitons la tâche aux tricheurs. Deux groupes d’exemples. Les uns concernant l’alcool, les autres dans un domaine différent, mais relevant des mêmes textes : le tabac.

Quand on écrira : « La bière de Munich (ou tout autre territoire) est fabriquée à partir de houblon bio, garanti sans pesticides, ni colorant », est-ce de l’information ou de la publicité ? « Le pinot noir d’Ottrot est le seul à bénéficier d’un ensoleillement de x jours par an, seul à pousser exclusivement sur des collines exposées en plein sud et à être vendangé exclusivement à la main ». Publicité ou simple information ?

Même chose pour les cigarettiers, puisque le tabac relève des mêmes textes. Après l’ineptie de la « cigarette bio », élevée sous la mère, pure nicotine sans OGM, le cigare roulé à la main par d’accortes cubaines, qu’inventeront-ils ? Qu’inventent déjà les cigarettiers qui s’emparent du marché de la cigarette électronique car ils savent qu’inéluctablement la consommation de tabac va baisser et qu’ils doivent équilibrer autrement leurs revenus colossaux ? Oui, la cigarette électronique aide à sortir du tabac mais elle peut être aussi un vecteur d’agents addictifs, et je crains que la grosse pression qui est faite en ce moment pour la « tape » n’en soit le témoin.

Non, l’amendement « César » n’apporte ni simplification, ni clarté. Il suffit d’ailleurs de le lire : l’exposé des motifs est incompréhensible d’un Pékin moyen, or « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », comme ce qui se conçoit dans un but de clarté. Il n’empêchera ni les recours, ni les contestations, mais ouvrira la porte aux pressions, aux stratégies de contournement et aux lobbies.

Mon expérience de la lutte contre les cigarettiers me démontre la faiblesse des lois relativement aux tanks Sherman des multi-nationales. Le moment n’est pas d’affaiblir la loi Evin, loi de santé publique structurante, mais de s’assurer de son application en multipliant contrôles et sanctions. Pour la première fois depuis le vote de la loi Evin, j’ai vu ce mois-ci des mannequins posant pour Saint-Laurent dans un magazine féminin avec une cigarette à la main. Sans doute demain, cela deviendra-t-il de l’ « information ».

L’amendement César a été voté hier en commission mixte paritaire. Comme il a été voté conforme à la version du Sénat, il ne devrait pas revenir en séance. Sauf si..

Pour ma part, députée de Bordeaux, fière de ma ville et de ma région, je n’aurai jamais deux positions, l’une pour le vin (c’est à dire l’alcool car les deux ne peuvent en droit être dissociés), l’autre pour le tabac, bien que le degré de dangerosité du premier soit moindre et surtout différent. Le seul lobby  qui me décide est celui de la santé et de la lutte contre les maladies comportementales (addictions, troubles du comportement alimentaires..) qui sont en train de mettre en péril notre système de santé.

 

Olivier : la lourde tâche de montrer que la politique ne rend pas fou

Olivier Veran, suppléant de Geneviève Fioraso, rapporteur de la loi santé, retourne à l’hôpital après le retour annoncé à l’Assemblée de Geneviève Fioraso qui quitte ses fonctions ministérielles pour cause de santé. Le raccourci de ce seul mot « santé » ne manque pas d’intérêt.

Tous les deux, Geneviève et Olivier sont mes amis,  à des niveaux différents, je connais Geneviève depuis 2007 (elle fut élue avec moi dans la même promotion de députés), Olivier seulement depuis une visite en Isère alors que j’étais Ministre et lui tout jeune député, praticien des hôpitaux en disponibilité du fait de la nomination ministérielle de « sa » députée.

Nous n’avons tous les trois que des raisons de nous comprendre sans mot dire. La santé -ou son masque sombre, la maladie- nous réunit.

Quand à la fin d’une question d’actualité, il y a quelques jours, Olivier Veran a interrogé la Ministre @MarisolTouraine sur la loi « santé », rebaptisée in extremis « loi de modernisation du système de santé » et annoncé son départ (une première: aucun suppléant de Ministre ne l’avait fait jusqu’alors), j’ai été la première à me lever dans l’hémicycle pour susciter une « standing ovation » en direction de mon jeune confrère et de son travail.

Le voici aujourd’hui en charge d’une lourde tâche, lourde mais majeure : démontrer qu’on peut retourner à la vie réelle après trois ans d’imprégnation par la vie parlementaire et ministérielle, la renommée plus ou moins grande qui vient avec elle et aussi l’impression de « pouvoir quelque chose » au niveau national ; ce « quelque chose » fût-il bien moindre que le Pouvoir médical qui, chaque jour, décide du vécu et quelquefois de la survie de personnes individuelles qu’il marque définitivement ainsi que leur famille.

On l’a compris : le Pouvoir médical me paraît d’un autre ordre que le pouvoir politique, du moins à l’échelon où un parlementaire, voire un ministre, l’exerce. Cet ordre, au sens pascalien, penche infiniment en faveur du médecin. Il s’en éloigne au contraire, s’il s’agit de notoriété médiatique, d’écume des jours, et quelquefois de durabilité. La loi Evin est toujours présente dans nos vies, comme la loi Veil, elles ne sont pas si nombreuses à le faire. Inutile de dire que j’aurais voulu que la « loi de transition démographique » fût de celles-là. Je n’en ai eu ni le temps (l’acte II de cette loi n’aura pas lieu), ni la liberté de la faire accepter et connaître en tant que telle : un bouleversement sociétal et social.

Olivier va (probablement) retourner à l’hôpital, comme je l’aurais fait, si ma courte victoire de 2007 en face d’Alain Juppé avait basculé en sens contraire. Dès le lendemain, j’aurais retrouvé la redoutable suite d’obligations intangibles de la vie hospitalière : l’heure des visites et des contre-visites, l’examen des scanners avant l’annonce de leurs résultats aux patients, les horaires de consultations, que même grippé, fiévreux, en deuil ou pas loin de l’être, on doit assumer parce qu’une vingtaine de personnes inquiètes venant de plusieurs dizaines ou centaines de kilomètres vont s’y présenter. Tout cela dans cette sorte de faux anonymat du médecin hospitalier : rares sont ceux que les médias connaissent, très nombreux sont ceux que les malades et leurs familles n’oublient jamais.

Olivier, si tu retournes à l’hôpital, tu vas retrouver cet extraordinaire abîme : on te parlera avec respect à l’hôpital quand on te vilipende facilement dans ta fonction de député, tu regretteras cette ouverture sur le monde et sa diversité, cette possibilité de se forger un avis sur tout que donne la politique, mais tu renoueras des liens souvent tacites mais éternels avec des patients de tous milieux, degrés de culture et de fortune, qui t’accorderont leur confiance au premier regard, au premier sourire (et les tiens, cordiaux et ouverts,  y incitent) avec lesquels tu les accueilleras dans ton grand hôpital.

Tu reviendras en politique, j’en suis sûre.  Et avec cette force particulière de connaître les multiples et changeants visages de la réalité. « Il n’y a qu’une vérité, disait Kafka, mais elle a un visage changeant ». « Changeant » est une mauvaise traduction, mais tous l’utilisent. Kafka disait « lebendig », »vivant ». Le visage de la vie.

 

 

 

La santé, c’est de la politique (« Il faut aimer la politiqueXI)

S’il y a un domaine, UN, qui doit faire aimer la politique, c’est la santé. Je suis de parti pris j’en conviens, mes antécédents professionnels ne plaident pas de ce point de vue en ma faveur, mais je crois aussi pouvoir en faire la démonstration.

Ministère fondamentalement politique, sans doute celui que j’aurais préféré, non pas plus mais autant, que celui qui a été le mien, même si cette dimension n’apparaît pas au premier abord. Il concerne un des plus gros budgets de l’Etat (la Sécurité Sociale n’est pas stricto sensu un « budget de l’Etat » et pour cela bénéficie d’une loi de finances spécifique mais elle n’est pas pour cela politiquement « off shore »). Et en parallèle, ce beau Ministère régit le premier souci, le premier outil de chaque Français : sa santé.

La maladie relève d’abord de la médecine, la santé de la politique. C’est la politique qui peut réduire les inégalités de santé, lesquelles relèvent beaucoup moins de la génétique ou du hasard que de facteurs bien concrets où le politique a un rôle décisif : conditions de vie, logement, alimentation, information et éducation. Et bien sûr : revenus.

L’évolution de la pathologie qui bascule chaque jour davantage des maladies infectieuses (bactéries, virus)* ou des maladies lésionnelles (malformations, tumeurs..)* vers les maladies comportementales (addictions, troubles du comportement alimentaire..) alourdit chaque jour le poids du politique dans l’état de santé, ses succès, ses échecs. Chaque jour, ce Ministère devient plus déterminant et m’est avis qu’à lui seul il peut faire basculer l’opinion dans la considération pour la politique ou dans son désamour total.

Quel enjeu, quelle responsabilité! J’en donne un exemple : la politique anti-tabac. Cet exemple peut être décliné pour d’autres dossiers, il constitue une véritable question de cours qu’aucun Gouvernement n’est parvenu jusque-là à régir, dans notre pays comme dans l’ensemble de l’Europe.

Soixante-treize mille morts par an dans la seule France et combien de pathologies chroniques, invalidantes, réductrices, de l’insuffisance respiratoire à l’artérite qui coûtent à ceux qui en sont touchés la joie d’une vie « normale » et au budget de la sécurité sociale une part majoritaire de son déficit.

Je demanderai à l’Assemblée (où viendra prochainement la « loi de santé ») que soit réalisé un rapport sur le coût sanitaire du tabac, même une fois déduites les recettes liées aux taxes sur le produit. Je n’ose avancer de chiffres mais traduit en écoles et en Universités, sa réduction redonnerait du sens et des moyens à la politique.

On le sait, le coût global de la médecine, médicaments, autres traitements, méthodes d’examens, techniques diverses, a augmenté de manière exponentielle. Deux exemples parmi des milliers.

Quand j’ai commencé mes études de médecine, on décelait les tumeurs pulmonaires par des radios simples dont le coût était équivalent à 60 à 100 euros. Puis ce fût le scanner (500 euros). Et enfin le Pet-scan (2000 euros). (Tous ces chiffres à moduler selon le nombre de clichés, d’incidences.. , les proportions demeurant justes).

Aujourd’hui, des médicaments tels que les anticorps monoclonaux, coûtent 1000 à 2000 euros l’ampoule. Le traitement d’un psoriasis sévère revient à 60 000 euros par an…

Nous allons à coup sûr dans le mur sans des décisions fortes, le renoncement à des remboursements inutiles et inflationnistes (la plupart des transports médicaux, mais pas eux seulement), le remembrement du système de santé et… la responsabilisation de chacun.

Faut-il faire bénéficier d’un meilleur remboursement un obèse qui a fait l’effort de perdre du poids de manière significative ? Qui a réduit ou abandonné l’alcool ? Cela est en cours d’expérimentation dans certains pays et je l’approuve.

Et j’en viens au tabac. Même chose que pour l’alcool pour ceux qui parviennent à interrompre leur consommation mais il y a plus. Nous ne pouvons pas continuer à porter le fardeau des addictions les plus toxiques sans revoir nos logiciels, y compris certains principes de la sécurité sociale de 45, élaborée dans un tout autre contexte. Il y faut du courage et la volonté de dépasser nos frontières.

Le prix du tabac doit être calculé au regard de son coût pour la société, selon un principe qui est de l’ordre de celui du « pollueur-payeur ». On comprend qu’il puisse y avoir une taxe sur les camions pour l’entretien des autoroutes. De manière beaucoup plus indispensable encore, le prix du tabac ne peut continuer à être fixé sans considération de son coût sanitaire et social. Nous arriverons sans cela à ne plus pouvoir (voire même pouvoir) payer des soins de haut niveau à l’ensemble des malades.

Soyons optimistes : gageons que le premier pays qui aura ce courage entraînera les autres. Cette politique sera d’autant plus efficace qu’elle sera européenne.

Les critiques ne manqueront pas et la première sera d’effectuer une sélection par l’argent. Ne serait-il pas plus dramatique de réserver les techniques ou les médicaments innovants et coûteux à ceux qui pourraient les payer, ou payer une assurance individuelle inabordable pour la plupart ?

L’enjeu est du même ordre que sortir un jour du nucléaire. Si les instances européennes avaient un programme « sortir du tabac en 2030 », elle serait plus lisible, plus humaine, plus compréhensible de tous.

Il faut aimer la politique : elle seule peut cela, à condition d’une volonté qui transparaisse dans chaque décision et aussi d’un langage et d’un visage plus humains, plus proches du réel et de la vie.

 

 

 

 

 

Ma médecine

Nommée Ministre, je me suis promise d’éxercer cette honorable fonction en Médecin, ce que j’ai été pendant 45 années. Qu’on se rassure : je n’ai pas exercé la médecine en Ministre, je n’avais qu’une vague idée de ce que cela pouvait être, loin en tout cas de la pratique particulière de mon Ministère et surtout, je n’avais ni le moindre plan, ni la plus petite hypothèse qui me laisse augurer de l’être un jour.

Être Ministre comme on est médecin, j’imagine que l’on devine un peu ce que cela signifie. Je ne voudrais pas utiliser un vocabulaire archi-rebattu, mais c’est mettre les gens avant ce qui les entoure. C’est aussi mener une équipe (les membres de mon cabinet), comme une équipe hospitalière et cela veut dire beaucoup. Mon équipe en effet n’a pas changé depuis sa composition, il me semble qu’elle va bien compte tenu du contexte difficile qui est le nôtre. C’est une équipe jeune -comme le sont les équipes hospitalières où infirmières, externes, internes ont majoritairement moins de 30 ans-,  qui sait pourquoi et surtout pour qui elle travaille, une équipe engagée et talentueuse, qui sait être joyeuse et aussi râler juste ce qu’il faut. La « dream team » m’a dit vendredi dernier un visiteur auquel elle avait été présentée. Je lui laisse la responsabilité du compliment. Il n’est pour autant pas totalement infondé.

C’est donc à la médecine que je pense souvent. Je réfléchissais aujourd’hui aux 45 années qui furent les miennes. Pas une heure, ni dans mes études, ni dans la pratique, n’a jamais été consacrée à l’aspect régional, territorial, de notre éxercice. Quelles sont les spécificités de l’état de santé des Aquitains, comment marche le maillage territorial à la fois médical et médico-social ? Quelle collaboration entre ces deux champs ? Quelle relation aux collectivités territoriales? Quel agencement des professionnels entre eux ? Bref, de cela qui m’occupe beaucoup aujourd’hui, je n’ai jamais entendu parler en tant que médecin.

Dans chacune de mes visites de terrain, vendredi dernier en Bretagne, la précédente en pays nantais, la précédente encore à Montpellier et juste avant dans le Nord,  je suis frappée des spécificités de chaque territoire. Profil pathologique différent, inégalités de santé autrement distribuées, engagement variable des collectivités, coopérations plus ou moins anciennes et plus ou moins vivaces.. Bref, Lille n’est pas Lyon, Guincamp a bâti un tissu de solidarités qui lui est spécifique, la pauvreté n’est pas le même dans le Pas-de-Calais que dans l’Hérault… Ce n’est sans doute pas un scoop, mais après un certain nombre de déplacements, on découvre comme une évidence l’urgence de la territorialisation de nos pratiques de la santé social, ce couple indissociable dont les Etats-Unis ont fait des chaires universitaires et qui se bâtit chaque jour sur le terrain. Le « mariage pour tous » n’est pas que celui contre lequel on défile aujourd’hui même, mais celui des Conseils généraux avec les Agences Régionales de Santé (ARS), des aides à domicile avec les services infirmiers, et des gériatres avec les démographes.

Ce mariage-là, différemment conjugué dans chaque territoire, reste encore à élargir. On ne doit plus soigner, prévenir, accompagner, aujourd’hui comme hier. La formule d’un de mes coéquipiers au Cabinet doit inspirer jusqu’au projet de loi que je prépare : l’intelligence du terrain.

Pas facile dans une loi, par essence normative, de partir du terrain pour bâtir de meilleures pratiques. Le risque est de rajouter une couche là où il y en déjà plusieurs, fondamentalement diverses et spécifiques du territoire. Dali avait inventé des montres molles, ce qui laissait entendre que l’on pouvait négocier avec l’implacable métronome du temps, il nous faut inventer une loi « intelligente » (« smart ») qui puisse se gorger des pratiques du terrain sans se dénaturer.

De tout cela, pendant ces 45 années, je n’ai jamais entendu parler. La pratique des dix dernières années l’a peu ou prou suscité puisque nous avons travaillé en faisant une place plus grande à l’ambulatoire et en déléguant davantage aux acteurs de terrain, grâce par exemple à l’hôpital à domicile. Ma spécialité (cancérologie), je le reconnais, invite davantage à la centralisation hospitalière qu’à la pratique locale. En langage ministre, elle peut même être qualifiée de « régalienne », mais sa déclinaison pratique, une fois les traitements décidés est pour autant elle aussi territoriale et fait appel aux complémentarités et aux solidarités locales.

C’est très étrange, je n’avais jamais pensé à cela comme un tout. Cet après-midi, dans le silence joyeux de mon jardin, cela m’est apparu comme une évidence.

 

 

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel