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Double culture, double richesse

Aujourd’hui, la grande majorité de ceux qui obtiennent la nationalité française deviennent de facto des « binationaux », les pays dont ils sont originaires étant de moins en moins nombreux à rejeter la double nationalité et à faire perdre leur nationalité de naissance à ceux qui en acquièrent une autre. Ils étaient 80 en Gironde le 4 février dernier à devenir Français et à se voir remettre leur décret de « naturalisation », ce mot étant à lui seul une source de curiosité et de réflexion.

Quatre-vingt, ou presque, à devenir ce jour là binationaux et à être donc à la fois Français, égaux en droits et en devoirs avec tous les Français, et à avoir une nationalité d’origine (32 étaient représentées) ; 850 00 en 2015 ont bénéficié de cette même démarche.

Les récents débats sur la « déchéance de nationalité » ont soulevé de multiples questions et, s’ils ont eu un intérêt, c’est d’apprendre à chacun de nous des notions auxquelles il n’avait pas jusqu’alors réfléchi. Certains binationaux se sont sentis désignés du doigt par ce projet et en ont souffert et l’objet de ce billet n’est pas d’entrer à nouveau dans la discussion, mais au contraire d’exprimer à tous les binationaux d’où qu’ils viennent combien cette situation est une chance et un privilège.

Devenir binational en France suppose qu’on le demande et que l’on réponde à un certain nombre de qualités : durée de résidence, connaissance de la langue, des usages et des principes républicains,  inclusion professionnelle et sociale.. En un mot, cela manifeste que l’on possède deux cultures, au sens le plus large de ce beau terme.

Double culture, double richesse, double outil pour connaitre et pour comprendre. Richesse pour soi même, richesse pour les pays concernés, celui d’où l’on vient et celui où l’on réside. Richesse pour les enfants nés ou à naître dans ces familles.

La binationalité sous sa forme actuelle est une notion relativement récente. L’histoire le montre aisément pour certains pays qui furent par exemple des départements français (l’Algérie) et qui sont aujourd’hui indépendants.

J’ai évoqué dans ma prise de parole du 5 février le souvenir d’Albert Camus. Né en 1913 à Alger, de parents français, il était bien évidemment de nationalité française. Ceux qui l’ont lu attentivement et connaissent son attachement à l’Algérie et à sa mère qui y vécut toute sa vie, sa connaissance de ce territoire et je dirais même son appartenance à ce territoire, savent que dans d’autres circonstances politiques, il eût été fier d’être binational algérien et français, la langue française étant pour lui le dénominateur de se double appartenance.

Combien d’écrivains étaient (ou sont, pour Milan Kundera) de fait des binationaux et eussent réclamé d’en porter « la gloire » : Albert Memmi, Eugène Ionesco, Emil Cioran, Franz Kafka, Mircea Eliade, Frantz Fanon, Virghil Georgiu, Mouloud Mammeri, Milan Kundera, Alfred Doeblin, Malaparte, Elias Canetti, Jorge Semprun, Stefan Zweig, Leopold Sedar Senghor …. Combien le sont devenus, combien ont-ils été empêchés de l’être « sur le papier » par les circonstances historiques ; de combien nous ne savons pas même quelle est la « vraie » nationalité car ils étaient si profondément multi- ou binationaux que ça n’a aucune importance.

Je parle des écrivains car, grâce à leur maniement de plusieurs langues et à leur expression sur ce sujet de la nationalité, nous sommes plus à l’aise pour parler d’eux et quelquefois à leur place que s’il s’agit de musiciens ou de sportifs. Mais tous les domaines, fût-ce bien sûr aussi la politique, les binationaux ont eu place majeure dans les grandes figures dont nous avons envie de nous réclamer et dont nous avons constamment à apprendre : Frédéric Chopin, Marie Curie, Billy Wilder, Vladimir Horowitz, Bruno Walter, Marlene Dietrich…

Parmi nos ministres, quatre sont binationaux. D’un petit quizz que j’ai fait autour de moi, Fleur Pellerin a été nommée en tête. Elle ne l’est pas : adoptée dans sa prime enfance par des parents Français, elle n’a que la nationalité française et n’a jamais vécu dans le pays où elle est née. Elle y est cependant considérée comme une star et très appréciée. A ma connaissance et sous réserve, Manuel Valls s’il a bien acquis la nationalité française par naturalisation à l’age de 18 ans, n’a pas conservé sa nationalité d’origine. Les quatre heureux binationaux sont : Axelle Lemaire, Najat Vallaud-Belkacem, Matthias Fekl et Myriam El Khomri. Tous sont très fiers de cette double nationalité qui au demeurant ne les empêche nullement de devenir demain Président(e) de la République même si cela n’est jusqu’alors jamais survenu.

Ils ont raison … Quelques jeunes gens ont assez bien réussi avec cet exceptionnel bagage : Daniel Cohn-Bendit, Henry Kissinger, Willy Brandt, Rosa Luxemburg, Anne Hidalgo, Kofi Yamgnane, Melina Mercouri et là encore, Jorge Semprun …  Et que dire de Charlemagne ! Mais bon, d’accord, là c’est un peu loin, et nous devrions alors citer à ce titre tant de rois et de reines.

J’avoue, je suis quelquefois jalouse… Posséder deux langues, et avec elles la culture qu’elles véhiculent, quel inestimable trésor ! Que ceux qui apprennent aujourd’hui notre langue pour devenir Français ne se sentent pas pour autant moins considérés : leur effort donne plus de prix encore à cette double richesse.

Je dédie ce billet aux 80 que nous avons applaudi le 4 février à la Préfecture de la Gironde : qu’ils portent comme un honneur de devenir Français, de la même manière exactement que nous nous honorons qu’il aient voulu le devenir.

 

 

 

Les mots de la presse

Dimanche matin, régulièrement consacré à la revue de presse hebdomadaire. Heureux moment à essayer de saisir le durable derrière l’écume des jours, à s’aventurer dans des « papiers » de fond sur des sujets qui me sont peu familiers.

L’agrément vient aussi de la langue, de saisir sa mobilité, ses tendances, ses modes où le journalisme a une grande part. Certaines évolutions me séduisent, d’autres m’amusent et quelques-unes m’irritent. Celle que je vais évoquer se situe à mi-chemin entre amusement et irritation.

Elle est surtout présente dans les interviews où les interviewés se sont sans doute donné le mot, qu’ils appartiennent au monde de la politique, du spectacle ou des faits de société. Plus aucun n’ « affirme », ne « souligne », n' »assure » quoi que ce soit ; pas davantage, les uns ou les autres ne « regrettent ». Rares sont ceux qui s' »inquiètent » ou tout simplement s' »interrogent ». Non, les interviewés sont désormais plus dynamiques et leurs expressions (supposées) de visage se lisent dans le vocabulaire journalistique.

Les deux stars qui tiennent la corde sont « lâche » et « glisse ». Dans le Monde, Mme Trierweiler « glisse » qu’elle ne rechigne pas à choisir la couleur des nappes à l’Elysée. L’aurait-elle affirmé plus fortement que nous en serions sans doute restés saisis. Les Ministres quant à eux « lâchent » volontiers le coût d’une réforme et les parlementaires une opinion peu amène sur un de leurs collègues. Le choix de « lâche » laisse entendre que cette petite (fausse) bombe est sortie presque hors de la volonté de son auteur.

Mais c’est dans l’insatisfaction que le vocabulaire donne de la voix. Ces dernières semaines, entre amis de l’ump, on a beaucoup « fustigé » et on ne s’est pas moins beaucoup « irrité ». « Fillon est un irresponsable et met en péril l’unité de notre parti » fustige un copéiste, tandis qu’un filloniste s’irrite de voir l’aiglon de Meaux s’accrocher à son siège.

Mme Trierweiler, encore elle et dans le même article « martèle qu’elle ne fait plus de politique ». On l’imagine le poing sur la table assénant cette vérité qui nous importe au plus haut point.

Pourquoi cette évolution ? Sans doute pour remplacer l’image et rapprocher l’article papier de l’interview « live ».

La valeur éducative de la digitale pourpre

Je parlais dans le billet ante-penultième (c’est un mot qui m’a toujours fait rire, mais on verra qu’il a un lointain rapport avec le sujet de ce billet) de ma riche journée d’hier samedi 31 mars. Toutes mes rencontres furent centrées sur l’éducation et l’instruction, sous des jours bien différents, et je veux parler de l’une de ces rencontres.

Elle a eu lieu à l’issue du « Forum des métiers », belle initiative des structures enseignantes du nord de Bordeaux qui se tenait au lycée Condorcet. Un lycée qui porte le nom de Condorcet ne peut qu’avoir mon amitié, mais dans le cas il l’a trois fois : outre ce nom, il se situe dans « mon » canton (« Grand Parc-Jardin Public ») et il bénéficie de la conjonction enjeu de mixité scolaire/engagement des enseignants qui fait de l’ « Ecole », la clef d’un des problèmes majeurs de notre société.

La digitale pourpre parait loin. Elle ne l’est pas. L’enseignement est une chose merveilleuse, qui ne s’interrompt pas, qui coule au travers des générations et des personnes, qui se transmet et se renouvelle et dont on retrouve la trace, comme celle d’une racine d’arbre qui émerge de la terre, là où on l’attend le moins.

Une enseignante m’aborde à l’issue du forum. « Je voulais vous raconter une histoire qui m’a beaucoup marquée … Je savais que j’aurais l’occasion de vous en parler un jour ».

L’introduction était mystérieuse, j’ai été tout de suite captivée. On a compris dans ce blog que j’adore les belles histoires, surtout quand elles sont vraies.

Cette enseignante me raconte qu’un des enseignements qu’elle a reçu elle-même l’a accompagnée dans toute sa vie professionnelle et personnelle : l’importance du langage, dans son insondable étendue, dans sa merveilleuse diversité.

Je me suis souvenue d’un billet récent où je disais « Ce n’est pas l’idée qui appelle les mots, mais les mots qui font surgir les idées ». Elle partageait la même conviction.

Elle-même (mon enseignante de Condorcet) avait reçu une part de sa formation d’une enseignante plus âgée, qui tenait elle-même le précepte que je vais dire d’une autre enseignante… Je précise cela pour bien montrer que l’enseignement, comme la culture, comme la pensée, est une balle qui se transmet de mains en mains au travers du temps et de l’espace.

L’enseignante « au carré », si je peux dire ainsi, lui avait appris qu’une des grandes règles, à l’école comme dans sa famille, était de veiller à la variété et à la richesse du vocabulaire. « Quand vous parlez aux enfants des couleurs, par exemple du rouge ou du rose, en désignant des objets, montrez leur bien l’infinie variété de ces deux tons : ce velours est cramoisi, cette fleur est vermillon, cette rose est en réalité mauve, ce fuchsia a justement donné son nom à la couleur fuchsia… Apprenez leur à voir et à nommer. Leur cerveau se développera pour autant qu’ils auront la capacité de voir, et ils ne verront que pour autant qu’ils auront la capacité de dire… ».

Ca parait compliqué comme ça, mais faites l’expérience : vous ne vous souvenez que des parfums que pouvez nommer. Et tant d’autres choses ainsi.

Mon enseignante de Condorcet m’a dit : j’ai appliqué cette connaissance à tous les domaines de la vie. Ensemble, nous avons convenu qu’une part de la violence des jeunes « défavorisés » étaient due au fait qu’ils ne savaient pas nommer, ni exprimer leur détresse, ni tout ce qui la causait.

Elle a ajouté : « je crois qu’un des mes plus grands plaisirs de maman, a été quand ma fille, encore très petite, m’a dit en regardant une plante haute sur sa hampe et bien colorée : « Regarde, c’est une digitale pourpre ! »

Je crois que dans les trois ou quatre cent billets de ce blog, je ne lui ai jamais rendu hommage. L’enseignante « au carré » qui avait transmis ce précepte à l’autre enseignante dont mon professeur de Condorcet l’avait reçu, c’était ma maman à moi. Cette évocation m’a beaucoup touchée, tout simplement parce que je n’avais jamais aperçu que la diversité du vocabulaire put être un précepte pédagogique ; j’avais reçu moi aussi ce précepte tout simplement sans le savoir.

Avec le recul du temps, grâce à cette conversation, je découvrais quelque chose dont on m’avait instruit et que pourtant je n’avais pas eu à apprendre. La quintescence de l’éducation en somme.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel