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700 000 consommateurs quotidiens. On fait quoi ?

Rien de pire qu’une loi qui n’est pas appliquée, ni d’ailleurs applicable. Rien de moins dissuasif, rien qui porte autant à se dire « finalement, le droit, les lois, ce ne sont que des mots… ».

Si nous devions aujourd’hui accueillir les 170 126 usagers adultes de cannabis (c’est à dire en possession d’une dose « modeste », éliminant l’incrimination pour « détention de stupéfiants ») qui ont été interpellés en 2014 et sont redevables de par la loi de 1970 d’une peine d’un an de prison et d’une amende de 3750 euros; la surpopulation carcérale dont nous souffrons si cruellement serait portée d’un jour à l’autre à l’intolérable et même à l’impossible.

Examinons les chiffres donnés aujourd’hui dans un excellent papier du »Monde » et issus d’un rapport interministériel dont la diffusion a été jusqu’alors prudemment retardée : sur 170 126 interpellés, 33 645 ont été condamnés, dont 3200 à une peine de prison qui n’a été de la prison ferme que pr 1426 d’entre eux

Quand on en arrive à moins  de 1% d’effectivité de la loi, c’est qu’il faut urgement agir. Cette loi est non seulement inutile, elle est, pour les raisons énoncées plus haut, dangereuse .

Le rapport (un de plus car la proposition n’est pas nouvelle et de nombreux débats auxquels j’ai participé arrivaient à la même conclusion) avance un « remède » : la « contraventionnalisation ». Le mot sent son juriste, mais au moins en avons nous un pour exprimer que la peine sera changée en contravention amenant au paiement d’une amende. « Elémentaire, mon cher Watson », et pourtant difficile à faire passer, trop de Français imaginant que l’on va ainsi « déclassifier » la sanction et donc faire un pas vers la dépénalisation, ce que le rapport (non plus que moi) ne préconise aucunement.

Il s’agit seulement de rendre la peine applicable. Tout n’est pas résolu d’un trait de plume : le montant de l’amende (la somme de 300 euros est avancée), la manière de s’en acquitter (sur le champ ?), les limites de doses, le nombre de fois où le recours à l’amende demeurerait possible …, Mais nous touchons presque au but, celui de conserver le cannabis dans la catégorie des drogues, d’en sanctionner l’usage et par ailleurs de conserver les dispositions en vigueur concernant la détention de grandes quantités et/ou le trafic.

Le moment n’est pas bien choisi, à proximité de l’élection présidentielle ? Eh bien, justement, je crois que si. Les Français ne sont pas dupes et ce qu’ils attendent des politiques, c’est du courage et de la clarté. Le courage ici, c’est d’aller à pas responsables, de faire comprendre, de démontrer qu’on ne peut demeurer avec une législation qui n’empêche aucunement l’augmentation de la consommation, en particulier chez les jeunes où le cannabis a des effets cérébraux particulièrement délétères.

 

 

 

 

 

Cannabis, tabac, légaliser ou pas ?

Aujourd’hui, du tabac et du cannabis, lequel des deux produits légaliseriez-vous si vous en aviez le pouvoir ? Mais, zut, pour l’un, est-ce que ce n’est pas déjà fait ?

Question théorique donc mais qui DOIT être posée, alors qu’aujourd’hui les dégâts sanitaires du tabac sont universellement et unanimement établis, et que par ailleurs l’interrogation est de plus en plus fréquente sur l’opportunité d’une forme ou d’une autre de légalisation de la vente du cannabis. C’est aussi l’échec de nos politiques (la France est dans les deux cas le mauvais élève de l’Europe) qui impose de ne pas demeurer bras ballants et regard rivé au sol, sans réflexion ni réponse. On ne peut aujourd’hui examiner le dossier de l’un des deux produits sans obligatoirement s’interroger sur l’autre.

Une proposition de loi arrive en ce moment sur nos bureaux de l’Assemblée visant à un « usage encadré » et à une »légalisation contrôlée » du cannabis sous monopole d’Etat, c’est à dire s’apparentant à ce qui est aujourd’hui en France la vente du tabac. Après de nombreux articles de presse et une très belle étude du think tend terra nova, elle positionne une fois de plus cette interrogation dans l’actualité.

En ce qui concerne, le tabac, il y a en France et je crois partout un consensus : dans le contexte actuel (état des connaissances, enjeux politiques, coûts des dégâts humains et sanitaires du tabac), PERSONNE, NULLE PART, ne légaliserait le tabac. Ceux qui l’ont introduit dans nos sociétés seraient tenus pour des mafias dangereuses, motivées par de considérables intérêts financiers et des intentions politiques destructrices. Lors de la précédente législature, j’avais eu l’idée de demander un rapport en perspective d’une éventuelle légalisation du tabac. Peu avaient compris qu’il s’agissait d’un deuxième, voire troisième degré, n’ayant d’autre but que de démontrer que cette légalisation aurait relevé de la folie.

Ma réponse est donc claire : ni moi, ni personne ne légaliserait le tabac, ni dans l’absolu, ni par comparaison à n’importe quelle autre drogue.

Reste le cannabis. Après de nombreuses auditions faites sous la direction de l’ancien Ministre de l’intérieur Daniel Vaillant, j’en étais arrivée à m’interroger sérieusement sur l’intérêt d’un monopole d’Etat. Le coût de la pénalisation est considérable pour l’Etat, son résultat très peu efficace. Fallait-il évoluer ?

Entrant plus profondément dans les multiples arcanes expliquant notre manque coupable de courage concernant le tabac, j’ai radicalement évolué. Les retraits -et quelquefois les retraites en rase campagne- des gouvernements successifs, TTC (Toutes Tendances Confondues), devant le double lobby des multinationales du tabac et des buralistes n’ont pas mis longtemps à me convaincre que la situation serait pire encore en face des mafias de la drogue et des divers mouvements (intégristes, terroristes, djihadistes..) qu’elles alimentent. L’Etat serait alors menacé ou prisonnier de ces forces considérables, insaisissables et irrationnelles. Je ne suis plus, aujourd’hui, particulièrement aujourd’hui, favorable à aucune forme de légalisation du cannabis, pas plus que de toute autre drogue.

Je ne veux pas dire que le statu quo est le bon. Il faut en particulier étudier la possibilité d’un usage médical élargi. J’examine spécialement les publications scientifiques concernant l’usage antalgique et apaisant du cannabis chez les âgés. Combien de ces âgés (et/ou handicapés) n’éxercent pas d’activité physique tout simplement parce qu’ils souffrent, qu’ils sont confinés dans une prudence trop grande, un manque de confiance voire une crainte paralysante de sortir et de participer à la vie des autres ?

Je ne suis qu’au début de ce travail et pourtant j’ai déjà la conviction qu’il y a quelque chose à faire de ce côté. Dédramatiser l’usage thérapeutique du cannabis pour les adultes, déculpabiliser ceux qui osent en parler, voir le prescrire, en un mot, évoluer.

Parlons-en, discutons, réfléchissons sans tabou et en particulier en faisant tomber ce mur qui fait que fumer du tabac ne choque personne, pratiquer ou même parler de la consommation du cannabis fait lever un brouhaha irrationnel jetant les uns aux gémonies, portant les autres au pinacle de la modernité, alors qu’ils s’agit d’être rationnel toujours, scientifique le plus souvent et exempt de tout autre souci que la santé, le bien-être et l’autonomie des jeunes comme des vieux.

 

 

 

 

 

Herbe à nigauds, herbe à Nicot, on a tout faux

Un point réunit le tabac et le cannabis : l’échec total des politiques appliquées qui fait de la France dans les deux cas le mauvais élève de l’Europe..

Un Français sur trois est fumeur, les femmes presque totalement épargnées jusqu’aux années quatre-vingt comptent aujourd’hui pour l’essentiel dans l’augmentation des cancers dus au tabac et c’est au total 73000 personnes* qui meurent chaque année du tabac. Le cancer pulmonaire de la femme est, de tous les cancers, celui dont la fréquents augmente le plus.

On n’est pas en mal non plus de chiffres inquiétants à propos du cannabis. Le nombre de personnes en ayant consommé dans l’année est de 8,64 % (population de 15 à 64 ans). Cette prévalence est une des plus élevées d’Europe et ce sont chaque jour 550 000 individus qui fument quotidiennement des joints. Les jeunes sont les premiers concernés par l’augmentation de la consommation et là est le drame.

Le cannabis n’est pas pour autant le « serial killer » qu’est le tabac et si les jeunes en étaient totalement épargnés, on pourrait le considérer comme modérément dangereux. Hélas consommé dès l’adolescence il réduit de 8 points le quotient intellectuel et est responsable de lésions cérébrales anatomiques et physiologiques en détruisant les transporteurs de dopamine. Les fumeurs précoces puis réguliers sont significativement atteints dans leur vie sociale et professionnelle.

Les deux produits sont addictogènes : loin devant, le tabac dont on considère qu’il dépasse l’héroïne pour le risque d’addiction (Inserm). Le cannabis compte pour un risque 6 fois moins important mais le problème est bien souvent plus complexe car addictions et risques sont souvent intriqués (qui fume l’un, fume souvent l’autre).  C’est au sommet le cas pour l’association cannabis et alcool (sous la forme du « binge drinking »), dévastatrice pour les jeunes cerveaux.

Tout cela est connu de plus ou moins longue date mais n’est en aucun cas une révélation. Pour autant, nos politiques demeurent frileuses, incables de remises en questions comme d’initiatives d’envergure. Une étude récente du groupe Terra Nova, venant à la suite du rapport Vaillant auquel je m’étais associée lors de la précédente législature, analyse les bénéfices et les effets de 3 scénarios faisant évoluer notre législation d’interdiction/répression du cannabis. Ces 3 scénarios sont les suivants : dépénalisation de l’usage du cannabis, légalisation avec monopole public , légalisation concurrentielle. Dans les 3 cas, le nombre d’usagers quotidiens augmente, mais les dépenses publiques liées à l’arsenal répressif diminuent et en cas de monopole d’Etat, permettant une augmentation du prix elle même génératrice de fléchissement de la consommation, génèrent un bénéfice global pour l’Etat de 2 milliards.La question est au moins posée.

En ce qui concerne le tabac, nous venons à l’Assemblée (PLFr 2014) de nous priver de l’arme majeure de diminution de la consommation en premier lieu chez les jeunes : l’augmentation du prix. Celle ci est gelée pour deux ans, et si elle venait à se produire se ferait en augmentant le bénéfice des cigarettiers pour lesquels la France est le 5ème pays le plus lucratif du monde. Triste record, s’il en est.
La mise en place du « paquet neutre » est prévue à l’occasion de la loi de santé et c’est une mesure positive mais dont on sait qu’elle s’use à moyen terme avec l’habituation des consommateurs. Les multinationales du tabac se sont d’ailleurs préparées avec des couleurs de paquet rappelant suffisamment la marque pour qu’on n’est pas besoin de l’écrire.

Au total et pour des raisons différentes : les chiffres de la consommation dans la population (prévalence) augmentent et on continue comme avant ou presque. Pour le cannabis, c’est le risque politique qui freine toute avancée. Plusieurs personnalités (Duflot, Peillon…) en ont déjà fait les frais en recevant les foudres d’une partie de l’opinion en se limitant pourtant à s’interroger sur l’inefficacité de l’attitude actuelle.

Concernant le tabac, c’est la pression des buralistes et la stratégie très élaborée des multinationales du tabac qui nous enferme dans un scandale sans proportion avec celui du mediator, pour n’en citer qu’un : nous savons que le tabac tue un fumeur sur deux, engouffre en dépenses sanitaires et sociales correspondant à 3 fois le déficit de la sécurité sociale, et nous regardons nos pieds.

Une politique européenne dans les deux cas permettrait sans doute d’avancer. Mais qui pour la porter ? Celui-là pourtant marquerait l’histoire de ce petit continent et lui donnerait du sens.

Si la question, une sorte de « choix de Sophie » politique, vous était posée : « aujourd’hui, si aucun des deux produits n’était en vente légale, lequel légaliseriez vous ? » (Ma réponse dans un billet ultérieur)**

79000 morts par an selon les chiffres réactualisés 

** J’ai à plusieurs reprises depuis ce billet, pris position pour un assouplissement de l’usage du cannabis thérapeutique . Il figurait dans mes propositions à l’occasion des législatives 2017

 

 

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