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Parti pris, c’est bien possible, mais je trouve bien souvent les âgés plus incandescents que les jeunes. J’ai des tas de (mauvaises) raisons à ce jugement et en premier le privilège de mon Ministère qui m’amène à rencontrer les plus engagés, les plus brillants, les plus stimulants de ces âgés.

Tous me démontrent la vigueur de pensée et de comportement qui les a menés non seulement à cet âge mais à ce rôle d’éclaireurs du siècle où ils sont parvenus et je suis frappée toujours de la simplicité de leur abord. Tel qui fut et demeure un grand acteur paraît presque s’excuser de l’être encore, tel qui accéda aux plus hautes cimes de l’Etat paraît le tenir pour bien peu et surtout ne vouloir donner aucun conseil, telle autre choisit de sourire avec grâce de ce qui fut pour mieux se tourner vers ce qui vient. Comme si l’âge apprenait une essentielle modestie en face, justement, de l’essentiel.

Pour faire bref, je n’ai pas rencontré dans le cours de cette année de Ministère un seul de ces agés, en en étant déçue. Tous m’ont donné envie. D’être, et un tant soit peu de leur ressembler.

Pour autant, de ces dernières semaines, de ces derniers mois, l’un émerge, par la complétude de ce qu’il dégage : simplicité, profonde gentillesse (j’allais écrire « gentillesse philosophique »), attention au monde, culture perceptible comme une sorte de terreau naturel… Tout cela sous des sourcils broussailleux, une grande aptitude à sourire, ni propension, ni réserve factice à parler du soi, bref le type dont vous ne saviez rien dix minutes avant que ce que tout le monde en sait et dont, en le quittant, vous aimeriez savoir tout et même au-delà.

Plus j’en dis, plus j’hésite à dire son nom. Une telle pépite, comme on dit désormais dans le champ de l’économie, devrait être tenue secrête. Venu à mon Ministère moitié métro, moitié pied, connu rigoureusement de 100% de ceux qui l’allaient croiser lors de sa visite (huissiers, secrétaires, cuisinier, agents administratifs divers..) ce qui n’est pas le cas des plus en vue des politiques, il fut tel qu’en quelques minutes la conversation était naturellement engagée, je dirais presque poursuivie alors que je ne l’avais jamais rencontré. Avouons-le, cet homme a pour cela un atout : il écrit.

Cet atout, qui le met délibérément au-dessus de bien d’autres, qui font écrire ou qui prétendent écrire, se double d’un autre, qui au premier abord paraît anodin: il parle.

On s’étonnera qu’une telle qualité soit discriminante. Tout le monde parle de nos jours, et pas seulement à tort et à travers, pas seulement pour ne rien dire, pas seulement pour dire quelque chose. Celui-là parle comme il écrit : naturellement.

Pas une once de langue de bois, pas une autre de  m’as-tu-vu-isme, il parle comme j’aime, dans le poste et ailleurs, pour qu’après l’avoir écouté, on sorte plus fort et plus instruit.

Je dis, je dis pas ?  Ce jeune homme aux sourcils broussailleux, à l’accent mêlé d’une fine et rassurante pointe de gascon, comme devait l’avoir Montaigne, s’appelle Michel Serres.

Comments 13 commentaires

  1. 09/05/2013 at 18:46 Marc Loraison

    je ne le connais pas mais je l’apprécie autant que vous pour ses chroniques qui apprennent toujours quelque chose et la manière chaleureuse dont il s’exprime

  2. 09/05/2013 at 22:53 brigitte Beulaygue

    Bel hommage à Monsieur Serres, agrégé de Philosophie…
    Vous avez pu décrouvrir la richesse de nos Pères et Mères, qui ont appris parfois que quelques années à l’école publique, mais qui ont su tout au long de leur vie accumuler des talents, de beaux exemples pour nous tous. L’éducation, la culture étaient un véritable ascenseur social.
    Je pense à certaines de nos mamies de années 1919, 1922,1928 avec qui nous partageons notre quotidien, certaines étaient des « malgré elles » pendant la 39-45….Elles ont la vie dans le regard, et comme vous l’indiquez la gentillesse, la simplicité font leur quotidien.
    Alors, j’espère que notre société aura la capacité de reconnaître la « richesse » de notre patrimoine et que l’on prendra plus en considération leurs motivations de vivre autonomes.

    je vais me permettre de faire un parallèle avec notre patrimoine historique, pour lequel les français sont s’y fiers…. imaginez qu’on laisse à l’abandon le Chateau de Versailles, Notre Dame de la Garde ou le mont Saint Michel….désolation absolue…

    Alors mobilisons nous pour nos anciens qui sont bien vivants et qui ont une richesse de savoir faire, de métiers, de connaissances…. Ils sont notre patrimoine vivant, qui donnent du sens à nos vies et qui nous transmettent les éléments essentiels à notre culture.

    bien à vous

  3. 10/05/2013 at 01:14 Francois

    Bonjour,

    je suis tombé sur cet intéressant article :
    https://geopolitique.over-blog.fr/article-la-prochaine-crise-europeenne-est-deja-annoncee-117158632.html
    Auriez-vous un commentaire ?
    Merci
    (et bravo pour votre blog)
    « D’ici la fin de la décennie et durant la suivante cette population va atteindre donc l’âge de la retraite, avec une part croissante qui n’aura pu cotiser complètement, sans parler de celle qui même travaillant n’a connu qu’une majorité d’emplois mal payés et précaires. Pire, une part substantielle de cette population va être concentrée dans des zones déjà pauvres, banlieues ou régions désindustrialisées, accentuant la concentration de la pauvreté, le découplage territorial entre zones pauvres et aisées, et la ségrégation sociale qui va avec. Le problème n’est pas spécifiquement français, il sera réel dans toute l’OCDE, et se manifeste déjà aux Etats-Unis où la misère des seniors devient un phénomène de masse. « 

  4. 10/05/2013 at 07:59 Alain

    Michel Serres est un vieux sage – comme on dit une sage-femme -, celui qui sait, héritier en ligne directe d’Homo Sapiens Sapiens, c’est-à-dire porteur en indivis de la sagesse, de la science, du savoir et de la saveur, quadruplés monozygotes descendant du latin « sapientia ». Il honore Athéna / Minerve, déesse de la Sagesse qui, avec les yeux de sa chouette, éclaire notre nuit utérine de la lumière du dehors pour nous mettre au monde. Puisse l’émerveillement de son travail durer longtemps encore.

  5. 10/05/2013 at 10:35 Klaus Fuchs

    On ne peut qu’être d’accord avec les deux beaux commentaires précédents de Brigitte et d’Alain. Et si la transition démographique, loin de toute définition technique, c’était cette transmission de la culture comme un élément naturel et familier. La comparaison avec les chefs-d’oeuvre que l’on n’entretiendrait pas est parfaitement juste. Le patrimoine immatériel est l’essence même du patrimoine matériel et il faut en faire retrouver le désir aux jeunes générations.

  6. 11/05/2013 at 17:55 sylvie

    Mais oui ! on a bien compris que Madame Delaunay fait partie de notre patrimoine et c’est pour cela aussi que nous la soutenons !

  7. 12/05/2013 at 10:26 alphonse

    Petite pointe d’impertinence, Sylvie..?

    « Le patrimoine immatériel est l’essence même du patrimoine matériel et il faut en faire retrouver le désir aux jeunes générations. »
    …voilà en tout cas un formidable éloge de la richesse,
    laquelle ne peut donc évidemment pas tomber en n’importe quelles mains!

    Alain,
    vous préparez la Mémoires d’Outre Utérus d’un Homo Zygote de la Transition..?

    Bon dimanche!
    Comme c’est l’heure de la grand’messe, j’espère que tout le monde s’est ressourcé à l’émission-culte des Secrets de l’Histoire selon Stéphane Bern, l’autre jour, sur « Jésus »..!
    Le cardinal de Paris y mettait heureusement fin à une polémique insupportable sur la conception virginale: « Il n’y a pas eu accouplement. » Point!

    De l’importance du patrimoine immatériel, fut-il génétique.

  8. 12/05/2013 at 13:29 sylvie

    A Alphonse

    Tout le monde ne souffre pas de vos maux

  9. 12/05/2013 at 14:35 Alain

    @ alphonse

    On a beau avoir les idées larges, il demeure choquant que Jésus ait pu dévirginiser sa mère.

  10. 12/05/2013 at 16:59 citoyen

    « alphonse », que veut dire votre charabia? Quel message, quelle logique? Prenez une petite pause avant de revenir sur ce blog.

  11. 13/05/2013 at 11:20 francis

    Personnellement, l’omniprésence de Michel Serres dans les médias, particulièrement sur France Inter, sa prétention de donneur permanent de leçons, ses anecdotes sans intérêt,
    m’insupportent.
    je préfèrerais un esprit plus novateur pour nous penser le monde.

  12. 13/05/2013 at 19:07 citoyen

    de gustibus non est disputandum

  13. 14/05/2013 at 14:32 le pousseur

    si j’ai bien compris le titre et l’article, il faut traduire :
    Michel Serres , cet inconnu…
    l’inconnu qui vient promouvoir son dernier bouquin
    « pousse toi de là, que je m’y mette »
    sur toutes les ondes….

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