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Magie des tweets

Faites l’expérience : prenez 6 tweets occupés d’autre chose que du seul quotidien, ramassez-les ensemble dans l’ordre inverse de leur ponte, laissez entre chacun ce qu’il faut de silence; et c’est le début d’un livre … Ou d’un poème, ou d’une forme nouvelle fruit d’un PACS improbable entre l’un et l’autre.

On néglige trop -y compris dans l’enseignement du français- cette approche. La langue se construit. Il y a des innovations de rupture (« les essais » de Montaigne), des tâtonnements de génie (les petits poèmes en prose), des expérimentations, des destructions, des réussites, des catastrophes… Mais il y a toujours à faire pour que vive la francophonie, y compris dans notre propre pays, car ce n’est pas là qu’elle est dans son meilleur état de santé.

Une expérience, hier soir . Par conformisme, l’ordre des tweets est ici à l’inverse de l’ordre où ils ont été écrits (mais ça marche aussi dans l’ordre « naturel »)

« Même au cœur de la nuit, quand le cœur de la ville n’a pas encore cessé de battre, l’incroyable sérénité de mon jardin ../..

 

Toute la tension de l’écriture, on peut la trouver dans une suite de courtes phrases, rien qu’en introduisant entre elles le silence ../..

 

Prenez des tweets (mot détestable, impropre, ennemi),  faites les se succéder, jouer ensemble, l’écriture est déjà là

 

Le rythme est donné, le style s’impose. Il suffit d’assez de nuits pour écrire le livre entier, le poème déjà y est entré ../..

 

Magie du silence, ce vide particulier qui appelle le plein, curieuse loi d’un curieux organe nourri de rien ../..

 

../.. que de silences. Vide de bruits et plein de mots ». 

 

Une autre expérience, plus contemporaine dans son esprit est de mettre à la suite une dizaine de tweets, tels quels, dans l’ordre où ils sont apparus sur l’écran. Préoccupations quotidiennes, drames de partout, invectives, chiffres accablants.. Toute la cacophonie du monde dans un texte pas plus grand qu’une page de carnet.

Une troisième, et ce n’est pas la moindre : prendre un texte, le découper en tweets comme on le sent, le rythme s’y engouffre et change tout. D’ailleurs Racine, Vauvenargues, Chamfort, ont-ils jamais fait autre chose que des tweets de génie ?

 

 

 

 

 

 

 

En ce moment précis

Nous sommes déjà le 28 et je n’ai encore rien fait. En outre cette espèce de poème qui me lancinait l’esprit maintenant s’éparpille et m’échappe. Je me réveille le matin, j’y pense et puis tout se dilue dans la pâleur blafarde de ces jours de pluie. Je peine, je peine pour regagner le chemin perdu, je crie au pied de la montée « Attendez ! Arrêtez ! Attendez! », mais les pages lentement s’effeuillent, très lentement il faut bien le reconnaître, mais elles ne se posent jamais. Jamais comme nous autres hommes. On s’arrête pour regarder autour de soi, pour allumer une cigarette, pour bavarder un peu. (..) Mais alors que nous sommes arrêtés sur le bord du chemin, rêvant à des choses étranges, les heures, les jours, les mois et les années nous rejoignent un à un et avec leur abominable lenteur, ils nous dépassent, disparaissent au coin de la rue, Et puis le matin, nous nous apercevons que nous sommes restés en arrière et nous nous lançons à leur poursuite.

A ce moment précis, pour parler simplement, finit la jeunesse.

Oui, je sais, nous ne sommes pas le 28 ou du moins je ne crois pas. Et pourtant il pleut, et surtout, c’est de peu d’importance. Les jours passent et depuis ce moment précis me saisissent de la même manière inquiète. Ces lignes que je sais à peu près par coeur, leur accélération finale, vertigineuse et leur conclusion, simple, linéaire comme un couperet, ont marqué ma vie depuis un âge que l’on pouvait considérer comme « jeune ».

Beaucoup les auront reconnues : Buzzati, 1950.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel