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Laurent (« Il faut aimer la politique VII »)

Ses amis l’appellent « Laurent » avec dans la voix un gros tantinet de fierté à le nommer ainsi par son prénom ; et quelquefois « Fafa » dans un charmant second degré qu’il doit finalement apprécier. J’avais, dans la même veine, un Professeur à l’Université, hyper-classieux, qu’un de ses collègues -qui, lui-même ressemblait plus à Foucher qu’à Talleyrand-  avait surnommé « Julot, l’aristo ».

J’ai toujours eu de l’admiration pour « Fafa » (le second degré adoucit un peu ici la componction). Sauf une fois*, mais nous sommes loin du sujet. Peu, dans les médias sociaux, ont seulement pensé  à saluer son action dans ce cœur de mois d’aout où les drames explosent de toutes parts. Le sans faute de notre Ministre des Affaires Etrangères mérite pourtant qu’on lui prête attention. Je le fais d’autant plus volontiers qu’il souscrit à une thèse qui m’est chère : l’adéquation d’un homme à sa mission est une clef de la politique.

Laurent ne pouvait avoir meilleure fonction dans ces trois gouvernements Hollande où, a priori, les moins bonnes langues pouvaient craindre discords et rivalités. C’était incontestablement sans compter sur l’intelligence aigüe des deux protagonistes. On connaît les « petits noms » dont Fafa a affublé François, mais on ne sait rien de l’inverse. Je ne jurerais pas pour autant qu’il n’y ait pas eu en retour quelques sobriquets dont la rumeur ne nous a pas permis de goûter la saveur.

Tous les deux en tout cas ont dépassé ce stade. Dans « le Monde » , il y a quelques mois, le journaliste Thomas Wieder rapportait que Laurent s’adressait parfois à François en l’appelant « Professeur ». Il y voyait de l’affection et je ne suis pas loin de le rejoindre. Disons, une connivence affectueuse. De l’humour aussi sans doute, dont le Ministre est bien pourvu, tendance « Quai » plutôt que Groucho.

Laurent donc est  sur tous les fronts, économe dans ses mots (ce qui est la première vertu du diplomate) mais sachant les choisir et les mettre en résonnance avec la situation. Hier , il était à Bagdad accompagné de dix tonnes d’aide humanitaire française, quand toute la diplomatie européenne s’affichait aux abonnés absents. Aujourd’hui il annonce l’envoi d’armes aux militaires kurdes. Les djihadistes sont à 35 kilomètres de Erbil, le tempo est le bon : la décision qu’il faut sans la précipitation.

Point n’est mon intention d’inventorier l’action du « Quai » au cours des deux années passées. Même les plus grincheux en ont rendu l’hommage à François Hollande et à son Ministre. Je veux en rester à cette osmose entre la fonction et le Ministre.

Au cours des Conseils des Ministres auxquels j’ai eu l’honneur de participer, il y eut, n’en faisons pas mystère, un nombre non négligeable de quarts d’heures où le recours à la vie intérieure s’avéra salvateur. En ont toujours été épargnées, les communications du Ministre des Affaires Etrangères dont on sait qu’elles constituent une figure obligée du Conseil. Le plus souvent grave, mais jamais dans un ton dramatique ou excessif, le Ministre posait l’essentiel, y ajoutait son commentaire qui appelait ceux du Premier Ministre et du Président, puis se taisait. Ce commentaire était toujours pertinent, concis et quelquefois teinté d’une pique ou d’une pointe d’humour, brève et british, qui accusait le côté absurde des situations de conflits que nous traversons depuis des mois.

Quand la situation l’autorisait, qu’il s’agisse de l’accréditation d’ambassadeurs inconnus de pays inconnus dont beaucoup autour de notre table connaissaient à peine le nom, ou de sujets mineurs, l’humour l’emportait. Humour presque impossible à transcrire car souvent né de la manière élégamment distante et flegmatique dont Fafa les contait.

Un jour présentant un volumineux rapport européen que notre Conseil devait approuver, il risqua une merveilleuse réponse. Je ne me souviens pas précisément du sujet du rapport, quelque chose comme « Les règles et les limites de la pèche au filet dans les mers secondaires de l’espace européen ». Fafa avançait en parlant l’épais dossier du rapport. Hollande interrogea l’air pénétré

-Monsieur le Ministre, conseillez vous à notre Assemblée, d’approuver ce document ?

-Sans aucun doute, Monsieur le Président de la République, car il nous revient soit de l’approuver, soit de le lire..

Tout a été dit des délicates pochettes blanches qu’affectionne Laurent. Pas un twitto, fût ce le plus corrosif, qui ait jamais trouvé à redire à la hauteur dont elle dépassait de sa poche ni à son plie, non plus à l’angulation de ses cravates relativement à ses revers de costume. Pas plus qu’aux costumes lui-même et à l’impeccable cassé de ses revers de pantalon au contact du mocassin. J’avoue avoir beaucoup souri de voir un jour supposé de « rencontre informelle » de voir Laurent pour la première fois dans une veste de fin tweed. Laurent décline le « casual » à la manière d’un Lord.

Laurent était le doyen masculin des deux gouvernements auxquels j’ai appartenu. On m’a plusieurs fois questionné sur le sujet quand je me laissais aller à des considérations sur l’erreur que l’on ferait de mettre aux métiers et fonctions de leur imposer des limites d’âge. Je tournais la question en devinette « Savez-vous qui sont la doyenne et le doyen de notre Gouvernement ? » Je doute cependant qu’aucun journaliste n’ait eu jamais l’impudence d’interroger Laurent sur son vécu du titre pourtant éminemment gratifiant de doyen. Je doute plus encore qu’il l’eût goûté mais je suis sûre  que rien n’en aurait paru.

Manière légère de dire que Laurent  s’est coulé dans sa fonction ministérielle avec perfection. On sait qu’il eût préféré d’autres fonctions mais il a endossé celle-ci avec plus que  de l’élégance, portant sans une faute, sans un manque  dans la cacophonie du monde « la voix de la France » à bonne hauteur.

* Certains ont imaginé des faits étranges ou tenus secrets derrière les trois mots « sauf une fois ». IL s’agit du choix de Laurent Fabius de se positionner contre le traité constitutionnel européen. Je pensais que ce n’était pas un bon signe pour la construction européenne, pas en accord avec les engagements de LF pour cette construction et que c’était un signe de division pour le Parti Socialiste. Ce qui fut, me semble-t-il. Rien de mystérieux en tout cas dans mes trois mots

 

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