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La morosité tue

Comme le tabac, la morosité tue. Plus sûrement encore, sa grincheuse cousine la critique, bête et cynique pour laquelle nous n’avons pas de mot aussi bien sonnant que l’anglais « bashing ». Tous cela mine, empêche, affaiblit, détruit, bref précipite dans ce qui l’a (peut-être) causé.

Je connais tous les chiffres du « noir » : chômage, dette, déficit commercial, illettrisme, décrochage scolaire, suicide.. ce long cortège d’indicateurs dont plusieurs font de nous des leaders européens. Je sais ce qu’il y a de misère, mot ringard et pourtant très actuel, derrière chacun. Et pourtant, notre situation est de très loin moins mauvaise que ce qu’elle fut pendant ou après la guerre de 14 quand chaque famille était endeuillée de l’un au moins de ses combattants, au moment de la défaite de 40 et de l’occupation du pays, pendant la dépression économique qui mena au Front Populaire… La liste pourrait être plus longue. Cela nos parents ou nos grands-parents l’ont vécu et jamais il ne fut question de « déprime » et la réponse fut toujours au final de résister et de réagir.

Je sais la pauvreté des femmes seules avec leurs enfants, je sais aussi le labeur de celles qui « trimaient » à la campagne ou dans les usines. Je sais le sentiment d’exclusion des jeunes des banlieues, je sais aussi celui des fils d’ouvriers polonais ou italiens dans les mines et des petits paysans pauvres qui ne voyaient devant eux que la perspective d’être « placés » pour les uns ou de rejoindre leurs pères à la mine pour les autres.

On ne fera pas en quelques mois des Français autant de pionniers prêts à se battre pour leur pays. Les batailles n’ont plus les visages d’antan. Elles n’en sont pas moins réelles. Essayons-nous donc au moins d’essayer à nous y enrôler…

Elles me paraissent de deux ordres aujourd’hui : la bataille de l’emploi, dont notre gouvernement a fait avec raison sa priorité. Si nous n’inversons pas la courbe du chômage et celle de la désindustrialisation, notre pays continuera de s’enfoncer et atteindra un niveau d’impuissance publique et individuelle non récupérable. Non, personne ne se sauvera seul, les exilés fiscaux pas plus que les autres qui n’auront plus pour monnayer leur talent le prestige de la marque France.

La seconde, qui est moins souvent présentée comme telle, est la bataille de la solidarité. Elle est pourtant à la précédente ce qu’Aaron était à Moïse, non pas l’inverse mais l’indispensable double. Nous avons des années difficiles à passer. Des catastrophes, naturelles ou non, attendent peut-être à l’un ou l’autre tournant. L’évidence de notre destin collectif, la fondamentale égalité qui fait que nous n’avons chacun qu’une vie démontrent chaque jour l’urgence d’un nouveau mode de relations humaines. Sous l’ouragan à New York, il était plus utile d’être proche de son voisin que du Président des Etats-Unis. Les acteurs de la solidarité ne sont pas moins décisifs que ceux de l’économie. On les oublie trop souvent.

La morosité tue, la proximité, la conscience de l’autre, son aide et l’aide qu’on lui porte soignent. Je veux y croire, parce que justement j’y crois.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel