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Billet d’humeur

A l’attention de Mme la Ministre

Si « une société se juge à l’état de nos prisons » (Camus), c’est aussi notre système de santé et notre comportement face aux âgés que nous pourrions juger en visitant les prisons françaises.

Je voudrais à cette occasion rendre hommage aux services d’insertion et de probation, au personnel pénitentiaire et à l’ensemble des bénévoles, particulièrement ceux de Gradignan avec lesquels j’ai longuement échangé lors de mes visites et dont je mesure les difficultés croissantes. Ce sont eux qui tentent chaque jour de rendre nos prisons plus humaines et c’est eux qu’il faut soutenir dans une démarche de progression de chaque établissement. Nous savons combien la tâche est lourde…

Le taux de pathologies psychiatriques est 20 fois plus élevé en prison que dans la population générale (cf. Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé).

A Villepinte, plus de 50% des détenus sont atteints de troubles allant des psychoses évolutives jusqu’à des troubles majeurs de capacités de relation : pas étonnant lorsque l’on sait que cette prison compte 1000 détenus pour 500 places.

Pas étonnant non plus, quand on sait que plus d’un détenu sur 3 en France (40%) est psychologiquement très fragile, que l’insertion sociale soit difficile à la sortie et que le taux de récidive soit particulièrement élevé.

La pathologie en détention n’est pas autonome, elle n’est pas non plus le fruit du hasard, elle dépend avant tout de l’environnement et de la politique pénale choisie par le gouvernement en place.

De 2001 à 2009, le nombre de détenus est passé de 49 000 à 64 000, et l’administration pénitentiaire pronostiquait récemment 80 000 détenus en 2017. Cela signifierait une surpopulation accrue alors que le taux d’occupation des maisons d’arrêt dépasse en moyenne 140 % avec des pointes à 200 et parfois 300 %. Vous reculez pourtant aujourd’hui sur le principe de l’encellulement individuel…

Comment peut-on accepter, Mme la Ministre, quelles que soient les volontés exprimées ou non, qu’une cellule de 9 à 12m2 soit partagée par trois détenus ?

Même un chien enfermé dans moins de 4 m2 d’espace vital deviendrait fou…Comment peut-on imposer 4m2 à un homme!

L’inévitable altération, dans ces conditions, du discernement chez le détenu, devrait constituer une circonstance atténuante ; elle entraîne au contraire souvent un allongement de la peine et une dégradation des conditions d’enfermement (régimes différenciés, séjours multipliés en quartier disciplinaire…).

Lorsque l’on connaît le taux élevé de suicides en hôpital psychiatrique, on imagine facilement la fragilité de l’être en milieu carcéral. Et on ne réglera pas cette question, Mme la Ministre, avec des draps en papier !

Vous n’apportez pas de réponse non plus sur le sens de la peine et la détention des malades souffrant de troubles psychiatriques, mais préférez une fois de plus reporter le débat sine die en créant une mission d’information.

Je tiens à saluer le courage de mes confrères des UCSA (Unités de consultations et de soins ambulatoires) dont je sais que la pratique est aujourd’hui très proche, trop proche malheureusement, de la médecine humanitaire, notamment par son manque de moyens.

Nous utilisons les mots de prévention et d’anticipation depuis plus de dix (vingt?) ans maintenant et pourtant… et pourtant…en prison comme dans les milieux défavorisés, des hommes souffrent et meurent en France de n’avoir pas bénéficié des soins ou de l’attention nécessaires.

De même, la politique de l’âge que je réclame haut et fort dans notre société, nous devons la souhaiter pour nos prisons. Quand le taux est de 17,1 suicides pour 100 000 habitants dans la population générale, il est de 32 pour les 75-84 ans (Inserm). Plus d’un tiers des détenus ont aujourd’hui plus de 40 ans, certains resteront plusieurs dizaines d’années en détention ; il faut tout faire pour éviter la « prison-hospice ». Une médecine gérontologique de qualité et disposant de moyens réels est indispensable pour les âgés n’ayant pas bénéficié d’aménagements de peine.

La section 5 de ce projet intitulée « De la Santé » est encore trop légère Mme la Ministre ; je vous proposerai donc avec mes collègues d’en renforcer le contenu, notamment par l’obligation d’un bilan de santé complet avec dépistages et information active à l’entrée des détenus.

Si comme le rapporteur M. Lecerf au Sénat l’a dit, « la prison n’est ni de droite ni de gauche », alors prouvez-le nous, Mme la Ministre. Permettez une amélioration de ce texte en adoptant nos amendements visant l’intérêt des victimes, des détenus et de la société dans son ensemble. Permettez aussi et surtout au projet de loi de finances et au budget pour la justice d’être à la hauteur des enjeux ici débattus.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel