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Multiple et mobile splendeur, disais-je dans le blog* avant de partir et j’ai été aussitôt entendue. Le vent s’est levé en bourrasques, la mer s’est hérissée de crêtes blanches jusqu’à l’horizon et je marche maintenant contre vents et marées, dans le brisant tumultueux des vagues, protégeant le magnéto de mes deux mains pour tenter au retour de discerner ma voix au milieu des grondements du vent. La mer est bien belle quand elle est en colère. Un mari amoureux pourrait le dire d’une femme. Tous les amoureux sans doute et d’abord ceux qui le sont des horizons sauvages. (…)

Des roulements graves presque incessants disent mieux que tout autre signe la dangerosité de l’océan. Le mouvement régulier de la mer s’est mué en dieux wagnériens prêts à avaler promeneurs et baigneurs ne se tenant pas à respectueuse distance. Dans ce vent intense de pointe du raz, on ne peut guère se promener épaules découvertes sans être répidement glacé. Une poudre d’embruns couvre les reliefs de la plage et voilent l’horizon. Les lames montent haut et lissent le sable d’un coup, effaçant les pas qui m’ont précédée.

Des dizaines de pages de mes cahiers, des boites entières de cassettes portent ces notations. Leur date est sans importance, le temps est plus immobile ici que partout ailleurs. Il y trente cinquante ans, et même bien avant que je ne les ai perçus moi-même, la mer était toute aussi imprévisible, le vent fantasque, le soleil prompt à se cacher et à réapparaître. J’imagine souvent que Montaigne à cheval aurait pu descendre sur ces côtes et peut-être l’a-t-il fait même si les essais n’en disent rien. Montaigne n’était pas Chateaubriand, les espaces marins ne l’attiraient pas, sans doute le temps n’en était pas venu encore.

On s’inquiète beaucoup aujourd’hui que les côtes reculent, effet parmi tant d’autres du réchauffement climatique et de la fonte des glaciers ; deux cent metres en cinquante ans dans je ne sais quelle plage de la manche. Dans les mêmes cinquante ans ici, la dune a changé, elle s’est arrondie et éboulée, avalant tour à tour les trois blockhaus que les bétonneurs acharnés que nous a momentanément prêté l’armée allemande, avaient planté à sa crête de kilomètre en kilomètre. Toute enfant, mes promenades avaient pour but l’un ou l’autre de ces trois blockhaus. Le troisième, le plus lointain, n’était autorisé que sous surveillance et il représentait un peu la dernière redoute d’où les lieutenants du désert des tartares surveillaient l’horizon silencieux. C’est celui que le sable a avalé le plus tôt, donnant ainsi à mes longues marches l’absence de limites définissables qui leur convenait.

Le premier blockhaus, visible de la maison, s’est d’abord éboulé par gros pans jusqu’à mi-dune. L’un est ressorti un jour du sable, portant en Allemand l’inscription « Lebens gefahr » à laquelle sa position et son état donnaient un air de dérision. « Lebens gefahr » signifie danger de mort, mais la langue allemande utilise la formule à son contraire « danger de vie ». L’année suivante, le blockhaus a fini d’être enseveli. Le temps et l’Histoire avaient fait leur office.

  • enregistré le 15 aout sur la plage, transcrit le 16

Comments 2 commentaires

  1. 16/08/2007 at 18:41 Nicolas D

    N’avez-vous pas remarquer ces jours-ci que l’on ne s’inquiètait plus ou presque de la fonte de nos banquises ?
    Le sujet qui intéresse : Qui va pouvoir hisser son étendard et se prétendre propriètaire du contenu des sous-sols ?

    A quoi cela tient le réchauffement de la planète !

  2. 26/08/2007 at 21:47 noisette

    Belle, intelligente et ensoleillée, Bordeaux est entrée dans le 21e siècle fermement décidée à retrouver une nouvelle jeunesse. Avec conviction et talent, la ville se redessine autour d’un grand projet urbain qui rend à ses habitants le plaisir de vivre en ville et crée les conditions d’un nouveau développement économique, social et culturel collectif.
    Cité au passé prestigieux, métropole touristique et économique, capitale mondiale du vin, pôle universitaire et de recherche, ville de fête et de saveurs, Bordeaux poursuit son mouvement vers 2010. http://www.voyage-vacance.fr

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