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Libération, le 17 mars 2009

Peut-on concevoir une loi « portant réforme de l’hôpital » (c’est son titre) qui, à aucun moment, jusque dans le plus petit recoin du texte, n’utilise ce beau mot d’hôpital ? Cette disparition fera date dans l’histoire, pourtant très encombrée, de l’écriture législative comme La Disparition de Georges Perec a marqué celle de la littérature. Elle n’est dans le cas présent ni anecdotique ni innocente. Les mots sont l’arme souterraine de la politique.

Ce qu’il s’agit de faire disparaître, il convient en premier lieu de ne pas le nommer. Dans l’esprit de tous les Français, l’hôpital représente la quintessence du service public. Il constitue, avec l’école, un des piliers de cette République. Hôpital n’ayant aucune déclinaison privée (au fronton de quelle clinique oserait-on écrire « hôpital privé » ?), on lui a trouvé un substitut « établissement de santé » qui n’a d’autre qualité que de pouvoir être indifféremment public ou privé.
Là est le nœud gordien de cette loi : dissoudre le service public hospitalier, perméabiliser les frontières entre public et privé « qui ne se définissent plus selon leur statut mais selon leurs missions » (sic). Voilà qui est oublier un peu vite une composante essentielle de ce statut. Si l’on y regarde de plus près, les deux secteurs ont en réalité le même financeur : l’assurance maladie, c’est-à-dire les deniers publics. Le secteur privé n’est privé que pour ses profits, pas pour son coût, ce qui pourrait constituer une bonne et suffisante raison, en ces temps de crise, de donner une ferme primauté à la médecine et à la santé publiques plutôt qu’au capital privé et aux fonds de pension qui rachètent nos cliniques.
Formulation un peu provocante mais nécessaire : la loi de Mme Bachelot organise la « vente à la découpe » du secteur public hospitalier, dont le statut se voit fragmenter en treize missions (permanence des soins, enseignement, soins en rétention,…). Dans ce bouquet de missions, le directeur de l’Agence régionale de santé (ARS) pourra sans critères définis, sans concertation, sans hiérarchie entre les établissements récipiendaires, sans avis des élus et de la communauté médicale, détacher l’une, l’autre ou plusieurs en faveur du secteur privé.
La gravité de ce possible transfert est double. On imagine mal les cliniques privées disposées à accepter les plus coûteuses de ces missions : elles préfèreront les plus rentables. Le transfert peut avoir lieu à l’unité, sans socle obligatoire de service public (que l’hôpital bien évidemment devra continuer d’assurer). Le problème s’aggrave quand on sait que ce même directeur d’ARS aura la possibilité d’organiser d’une main la pénurie du secteur public dans tel ou tel domaine, pour le transférer, de l’autre, au secteur privé.
Vision manichéenne ? Pas du tout. On connaît s’ores et déjà des secteurs hospitaliers qui ont été fermés faute de « rentabilité », leurs attributions dirigées vers le privé, qui a alors crû sur les décombres de ce qu’on avait asséché.
Aucune loi n’est totalement bonne ou mauvaise. Et c’est le cas de celle-ci : la création des Agences régionales de santé pourrait être une bonne initiative, le rôle du médecin généraliste devait être soutenu et renforcé. La loi de Mme Bachelot n’est pas « totalement » mauvaise, mais elle l’est « fondamentalement », parce qu’elle est entachée dès la première ligne par la volonté, non seulement de rentabiliser, mais de commercialiser la santé.

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