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J’ai été à plusieurs reprises interpellée sur le travail « Quoi, vous en parlez tout le temps, n’y a-t-il pas autre chose dans la vie ? »

Je résume comme il me vient à l’esprit : le sens est « pourquoi mettre le travail au cœur de nos sociétés, n’est-il pas temps de passer à autre chose ? »

« Vaste sujet.. » aurait dit le général de Gaulle. Sujet fondamental pour moi, qui m’est chevillé au corps et à l’esprit sans que j’aie toujours pris le temps d’en mettre en forme les raisons. Donc, pourquoi j’aime plutôt le travail (encore que je sois tout aussi paresseuse que la moyenne, mais passons…) et pourquoi je crois qu’il est une pierre angulaire d’une société qui marche. Et ajoutons : d’un système éducatif en mal de sens.

Les raisons qui me viennent se situent à des niveaux très différents. Débarrassons-nous, si l’on peut dire, de celles que l’on peut qualifier de philosophiques. Elles sont en réalité très simples et tout un chacun en a fait l’expérience, peut-être les femmes encore plus que les hommes, je ne sais pas. Une amie un jour m’a frappée en me disant : « Je suis de celles qui, quand elles sont angoissées la nuit, vont nettoyer à fond sous l’évier ». Dit plus savamment, je crois que la condition de l’homme est fondamentalement source de ce mélange anxiété-dépression qui nous accompagne journée après journée comme un gros chien encombrant.

Il y a sûrement d’autres moyens de tenir le gros chien dans son rôle d’animal de compagnie, de ne pas le laisser prendre toute la place, mais le moyen le plus humain, c’est de faire quelque chose. On choisira le mot qu’on veut : agir, réaliser, se bouger… C’est vrai à l’échelon d’un moment d’inquiétude, c’est vrai à l’échelon d’une vie. Oui, globalement, je crois qu’il vaut mieux nettoyer sous l’évier que prendre du hasch ou tout simplement rester à broyer du noir dans son coin.

La deuxième raison est en lien direct avec la société et on ne l’explique jamais, en particulier aux enfants. Je me permets une parenthèse, qui est très importante pour moi : dans une lettre de ma mère à une dame qui lui demandait des conseils d’éducation pour son jeune enfant, j’ai trouvé au premier rang de quelques avis simples : « Ne lui présentez jamais le travail comme quelque chose de négatif. Même en rentrant d’une lourde journée, ne dites jamais que vous avez assez… ».

Ceci seulement pour introduire ma deuxième raison : le travail est notre contribution réciproque à la société. Et pour cela, il est fondamentalement positif. Etre soigné, recevoir du courrier, avoir de l’électricité, tout cela dépend du travail de l’un ou de l’autre . Et moi, qu’ est-ce que j’apporte ? Et pourquoi ne pas essayer de le faire le moins mal possible ?

Tout cela est élémentaire, mais je crois que nous avons fondamentalement perdu le sens de notre interdépendance, de l’équilibre nécessaire entre donner et prendre, entre contribuer et bénéficier.

Je me souviens d’une phrase anodine du film « La femme du boulanger » : « Puisque tu me donnes de ta boulange, je te donnerai de ma chasse.» Mon couvreur répare mon toit, je suis bien contente de soigner sa fille …

La troisième raison, c’est que le travail, c’est la construction de l’être. Je dois avoir dit déjà plusieurs fois dans ce blog que le thème de ma campagne législative en 2004 était « le travail, une valeur de gauche ». C’est le travail et encore le travail qui fait que nous avons quelque chose dans la tête (rien n’y rentre tout seul), que nous savons exercer des activités, réaliser des gestes qui nous rendent contents et qui font partie de nous (Taniwha, un de mes contradicteurs anti-travail, est un sportif parce qu’il a travaillé, c’est tout, pas parce qu’il a regardé le sport à la télé !) ; c’est le travail et encore le travail qui a permis où que ce soit dans le monde aux petits, aux modestes de « s’en sortir » ; c’est le travail qui a permis l’émancipation des femmes, et combien elles ont bossé (et combien elles bossent) pour cela !

Apprendre, quel bonheur ! Qui a le courage de le dire ? Qui dit aux gamins qui rament sur leurs devoirs : « Quelle chance tu as de savoir à ton âge faire des équations du deuxième degré, d’accéder à ce drôle de monde des mathématiques qui a permis d’aller se promener sur la lune ! »

Ai-je besoin d’exprimer la quatrième raison : le travail, c’est le lien social. Une des phrases que je rabâche c’est : « Le logement c’est notre place sur cette terre, le travail, c’est notre place dans la société » .

J’entends déjà toutes les contestations à ces beaux discours, et en particulier la plus importante : « A quoi ça sert d’apprendre aux enfants à travailler et même de leur en donner le goût puisque le travail ne les met plus à l’abri du chômage ? »

C’est vrai ; une réponse un peu dure tout d’abord : le travail ne met pas à l’abri du chômage mais le non travail le garantit. Avoir le goût de travailler et de se bouger est une arme incroyable pour la vie. Je dirais même que c’est la première.

Une deuxième contestation tombe aussitôt, plus dure encore : comment un enfant peut apprendre à travailler et à aimer travailler quand ses deux parents sont au chômage et à la dérive ?

Je sais tout ça, mais je m’accroche. Bien sûr, il me semble que j’arriverais à montrer à ce petit loulou qu’il est très bon dans une matière, qu’il a des facilités, que j’essaierais de lui donner l’estime de soi et le désir. Pour ça, il faut des enseignants dont on met le travail en valeur. Toujours pareil.

La société a besoin de changer de valeurs et de pratiques. Une de ces valeurs est le travail, et non l’argent. François Hollande a dit, je crois : « Je n’aime pas les riches ». Pour ma part, je n’aime pas les riches qui ne vivent pas de leur travail et au niveau de leur travail. Le pouvoir de l’argent, cette espèce de respect et de révérence imbécile qu’il entraîne partout (là encore, parce que c’est l’exemple le plus facile : les émissions sur le plus riche, l’hôtel le plus cher, la bouteille de vin la plus coûteuse), tout cela est générateur d’un incroyable malaise.

Comment en effet faire aimer le travail à un petit employé si une paire de chaussures de Berlutti représente deux mois de son salaire ou si son PDG gagne 500 fois plus que lui. Rien n’a dévalorisé autant le travail que ce hiatus. Je crois que Nicolas Sarkozy devrait réfléchir à cette idée simple avant de dire sans se poser d’interrogation : « Il faut qu’on puisse travailler plus pour gagner plus ». Mais il faut d’abord que le revenu du travail ne soit pas complètement dévalorisé. Et que, tout simplement, les gens soient estimés pour ce qu’ils font, pas seulement pour ce qu’ils gagnent ou ce qu’ils possèdent.

Plein d’autres contestations. « Comment une caissière qui travaille deux heures le matin et deux heures le soir, avec deux heures de transport pour aller chez elle, peut-elle croire, je dis bien croire, au travail ? » C’est une évidence et nous devons nous interroger (je parle de la gauche) : nous ne nous sommes pas assez battus sur les conditions de travail, au moins aussi importantes que le temps de travail. Je crois que nous ne savons pas encore parler simplement et positivement du travail.

J’ai essayé.

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