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Mitterrand

Le souvenir le plus impressionnant que j’ai de Mitterrand n’a rien de politique. Encore que, même cela se discute. Chacun en jugera.

Cet excellent homme était alors à la fleur de l’âge. Fleur qu’il a, reconnaissons-le, portée longtemps de la plus belle façon. Les hommes de caractère ont ce  privilège de vieillir à leur avantage ; ce fut son cas.

Il était alors, dans mon souvenir, Ministre de l’intérieur et  il passait à Hossegor des morceaux de ses étés. Quelque part autour du lac marin, cercle d’une bienséante tranquillité où l’ont rejoint depuis lors une remarquable sélection de politiques. Ils se reconnaîtront.

Je n’étais pas de ce bord-là. Je parle ici de rive et de rivage. Le mien, le nôtre, était l’océan. Nous avions alors un gros chien, très gros et très beau, d’une exubérante et baveuse impétuosité qui au regard de son volume et de sa denture ne ralliait pas de prime abord tous les suffrages. C’était un berger briard, variété particulièrement massive et chevelue, dont la particularité réside dans l’épais rideau de poils couvrant les yeux et dérobant à un interlocuteur potentiel les intentions du canidé.

Mon briard –je le considérais comme grosse peluche chaude m’appartenant en propre- était noir, massivement noir, pesamment noir. Mitterrand, ce jour-là, blanc, élégamment, impeccablement blanc. De la chemisette légère au pantalon de fine laine ceinturé haut, comme le portaient les hommes qui entouraient Coco Chanel ou Mme Lanvin. Le voyant de l’autre côté de la vitre avancer vers notre porte, la petite fille de 6  ou 7 ans que j’étais le trouva fort bel homme. Le briard semble-t-il aussi qui s’apprêtait à s’élancer de tout son large sourire baveux dès qu’il pénétrerait.

Je n’avais pas été seule à le reconnaître. Un léger moment d’inquiétude parut saisir la maison toute entière. La transformation de l’élégante mise du Ministre en un essuie-pattes humide et terreux eût pu n’être pas sans conséquences désobligeantes.

Mitterrand ne se souciait pas de frapper, ni d’attendre qu’on l’accueillit. Il ouvrit largement la porte-fenêtre, tendit la main en apercevant le noir briard, qui aussitôt médusé, le rejoignit sagement, tête légèrement courbée pour l’offrir à la caresse.

La caresse vint. A la fois négligente et magistrale et la conversation s’engagea selon les règles les plus aimables de la civilité. Le briard resta couché au pied du Ministre tout le temps de l’entretien, le raccompagna selon les règles du respect et de la bonne distance, laissant immaculé le bas du large pantalon.

Des années plus tard, nul parmi les témoins de la scène n’éprouva d’excessive surprise quand Mitterrand fut élu Président de la République.

 

 

 

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