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Le cycle des acanthes

S’il y a un moment où je regrette de n’être pas entourée de petits enfants, c’est quand la nature se révèle autour de moi pour ce qu’elle est : le plus formidable des outils pédagogiques.

Tout à l’heure, bienheureusement atterrie dans mon jardin, je me suis adonnée à un sport très fin : la cueillette des graines d’acanthes.

Il faut à cet exercice un peu de familiarité avec cette grande et noble plante qui n’a pour autant aucune valeur marchande. On  comprend le facile symbole. L’acanthe, qu’aucun pépiniériste, aucune chaîne jardinière n’a encore repérée, est de ce point de vue de l’ordre des biens de l’esprit, de ceux que l’on partage, que l’on donne ou que l’on échange pour les seuls plaisir et amitiés.

Elle n’en est que davantage un outil pédagogique enviable et tout autant le cycle exemplaire de son cours. Fort résistante, elle sort de l’hiver ridée, fanée ou carrément gelée. Une coupe sévère des feuilles endolories accélère le prodige : d’autres plus petites, plus vertes, plus fortes, plissées mais cette fois comme des nouveaux nés, non comme de très vieilles dames, repartent dès les jours suivants. L’acanthe est robuste, preuve que les mauvaises herbes peuvent être belles et bonnes.

Quelque part entre avril et juin selon les climats, part du coeur de ce qui ressemble alors à une somptueuse salade dont trois feuilles suffisent à faire un fragile déguisement à une petite fille, une sorte de tout petit champignon qui va bientôt se hisser, se hisser, sur une hampe solide, dépassant glorieusement la plus haute feuille. La plus grande de celles que j’ai coupées ce matin mesurait un bon 2 m 50.

De semaine en semaine (et pour moi de  dimanche en dimanche quand je les retrouve), ces hautes hampes se couvrent de boutons puis de fleurs mauves, penchées de chaque côté de la hampe, le tout avec une élégance très aristocratique : port droit et élevé, grâce des fleurs courbées comme des petites princesses timides et étonnées d’être là.

L’été avance. Les petites princesses fanent doucement autour d’une noix verte et lisse qui va bientôt brunir.  En se promenant le long de ces « vivants piliers », on entend bien souvent des craquements : la surface de la noix éclate, le petit nid bien protégé où dorment les graines se découvre et les uns et les autres peuvent s’arrondir au doux soleil jusqu’à être gorgé de toutes les chaînes de réactions chimiques qui les feront le printemps suivant revenir à l’alpha du cycle de l’acanthe.

Il est souhaitable de ramasser ces graines, au demeurant brillantes et brunes comme de doux grains de café  : elles sont sinon projetées au quatre coins du jardin, lequel en 2 ou 3 générations s’en trouvera couvert à l’égal du jardin d’Yves Saint Laurent à Marrakech qui partageait avec moi cette belle amitié. Oserais-je dire : « excusez-moi du peu », car comme on sait ce sont nombre de poètes, de tailleurs de pierre, de joaillers et de bâtisseurs de cathédrales qui se trouvent réunie dans cette confrérie.

Seul tout petit désagrément : outre la prolificité de la plante, les petites piqûres du bout des doigts quand on veut séparer la graine de son cocon de petites feuilles séchées et acérées. Rien de vraiment désagréable, juste un petit rappel que l’homme n’intervient jamais tout à fait impunément dans le cycle de la nature.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel