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A qui appartient l’espace public ?

C’est pour moi une interrogation dépassant largement les enjeux bordelais que la confiscation dans nos villes de l’espace public à des fins commerciales. Bordeaux pour autant, est en pointe avec la généralisation du stationnement résidentiel payant et le coût exorbitant des parkings.

Ces derniers jours, pressée d’aller en quelques heures en plusieurs points de la ville, ce à quoi je n’aurais aucunement pu parvenir en transport en commun, j’ai mesuré une fois de plus que l’espace public l’était de moins en moins. Bien sûr, c’est en premier lieu la question des voitures : où les garer quand on ne peut faire autrement que les utiliser ? Je connais leur dégât écologique, je connais leur encombrement de l’espace public, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un outil indispensable pour nombre de ceux qui n’habitant pas le centre urbain viennent y travailler, à des heures où l’on a bien souvent peu le coeur à marcher dans la nuit (infirmières qui embauchent à 7 h ou débauchent à 22 h), de financer des heures de parkings qui amputent lourdement le salaire et/ou qui ont à se rendre en différents points dans un délai restreint (aides à domicile..). Outil indispensable aussi pour tous ceux qui marchent mal, doivent transporter des charges..  Nul n’est besoin de multiplier les exemples. Trop nombreux sont ceux qui les vivent au quotidien.

Lors d’un des deux conseils de proximité auxquels j’ai assisté en deux jours, la plainte des riverains présents -majoritairement propriétaires- était de ne plus trouver de parkings gratuits pour eux-mêmes dans un des derniers quartiers où le stationnement résidentiel payant ne couvre pas encore l’ensemble du réseau. L’adjoint de quartier n’a été que trop heureux de rassurer les participants et de confirmer ce que l’un d’eux avançait : les propriétaires sont en premier lieu les électeurs d’une ville.

Les parkings, livrés aujourd’hui presque totalement au grands groupes du secteur privé, ne font qu’aggraver la situation. La tarification au quart d’heure, incluse dans la loi Hamon sur la consommation, a été complètement déviée de son but : au lieu de bénéficier au pouvoir d’achat des utilisateurs, tout a été fait localement pour qu’elle profite in fine à celui des groupes financiers ou industriels qui bénéficient de la délégation de gestion. Le coût de l’heure de stationnement est devenu prohibitif et en interdit l’usage à la grande majorité de ceux qui viennent travailler à Bordeaux.

Lors de chacun des deux conseils de proximité, des projets -souvent lointains- ont été présentés : tous comportaient la suppression de places de parking, sans qu’aucune solution de remplacement ne soit avancée.

La ville, progressivement, devient cité interdite. Non à tous, mais à tant. Ceux pour qui les déplacements « doux » sont non seulement « durs » mais impossibles. C’est environ 50% de la population qui ne peut se déplacer en vélo : trop gros, trop faibles, trop vieux, mal voyants ou mal entendants… Pour  ceux-là la ville devient chaque jour plus impraticable ; ceux pour qui toutes les possibilités de stationnement ou de parking d’une voiture deviennent inabordables au quotidien, comme l’est aussi le prix de l’immobilier qui les a exilé hors centre.

Ce sont des sujets apparemment triviaux. Ils posent cependant deux questions. La première concerne les élus qui décident de la délégation des parkings au privé ou de la généralisation du stationnement payant. Comme à Bordeaux, les premiers chantres de l’éviction de la voiture, ne s’y déplacent jamais autrement, ne savent pas ce qu’est chercher une place de stationnement pour arriver à l’heure à une quelconque obligation, car ils ont -bien souvent depuis des années, voire des décennies- un chauffeur.

La seconde va plus loin : à qui appartient l’espace public ? Un maximum de liberté d’usage ne devrait-il pas y prévaloir ? Régulée, réglementée bien sûr, pour que tous puissent en bénéficier, mais non laissée à des enjeux qui sont en fait bien davantage commerciaux et financiers qu’écologiques. Le stationnement est aujourd’hui un nouvel impôt et cet impôt, laissé à la décision des élus locaux, est tout sauf juste, équitable non plus qu’égalitaire.

Viendra-t-il le temps où, comme il y a des siècles, les villes auront des portes où l’on acquittera un péage, laissant les manants à leurs portes ? En tout cas, viendra sûrement le temps, où le commerce sera réservé à de grands groupes financiers et le travail, exilé en bordure ou définitivement découragé.

 

 

 

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel