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Bataille pour l’autonomie

Notre pays se situe à mi-chemin entre les pays du nord et ceux du sud pour la relation aux âgés et le soutien qu’on leur apporte.

Dans les pays du nord, le maître mot est : l’autonomie jusqu’au bout. On connait cette belle et cruelle image d »un très âgé sentant ces forces décliner qui part s’enfoncer dans la forêt enneigée pour ne pas être une charge à quiconque et mourir autonome. Mes homologues suédois ou danois poussent très loin cette culture de l’autonomie; Quand un âgé ne peut plus se suffire, des services de réhabilitation sont envoyés à son domicile pour mettre en place un programme de reprise de la force physique et de la sureté de mouvements. Toutes les dispositifs technique sont mis à sa disposition pour pallier ce qu’il ne peut pas récupérer : domotique, sanitaires adaptés, dispositifs d’assistance.. Et ce n’est qu’en dernière limite qu’on attribue des aides humaines à domicile ayant pour mission de faire à la place de la personne.

Dans le sud, la culture est celle de l’entourage par les proches, famille d’abord, voisins ensuite. Il n’y a ainsi dans les pays d’Afrique du nord, et moins encore d’Afrique sub-saharienne de maisons de retraite. Y laisser son parent âgé serait considéré comme un manquement aux traditions comme aux préceptes religieux. Les maisons de retraite au Maroc ne sont destinées qu’aux européens qui vivaient sur place.

La situation de la France est intermédiaire et nous n’avons pas en particulier la même culture de la réhabilitation, la même exigence de faire remonter dans le train de l’autonomie les âgés qui donnent signe d’être menacés de la perdre. Pas suffisamment d’aides technique, des aides plus souvent destinées à faire à la place plutôt qu’à donner les moyens de faire.

L’arrivée dans le champ de l’âge de la génération des boomers, non seulement nombreuse mais ayant traversé -et souvent porté- l’émancipation à partir des années 70,  conduisent aujourd’hui la politique de l’âge à monter le curseur en direction des pays du nord.

Mes « conscrits » (nés comme moi entre 45 et 55) veulent rester chez eux, y être autonomes, bénéficier pour cela de toute l’autonomie possible. S’ils ont des enfants, ils sont souvent loin et quand ils seront dans le grand âge, ces enfants eux-mêmes ne seront pas jeunes. Les courbes démographiques nous apprennent de plus que le nombre d’aidants potentiels va diminuer au regard de ce qu’il est maintenant et cela constitue une raison supplémentaire de mettre l’accent sur le culture d’autonomie et d’en donner aux maximum les moyens à tous (et non seulement aux plus riches).

La chance est que cela est désormais possible : les pertes d’autonomie sont longtemps réversibles et/ou réparables. Les signes d’alerte sont aisés à dépister.  Les modalités pour remonter dans le train que j’évoquais tout à l’heure sont connues, accessibles si nous faisons ce choix qui demande bien évidemment un effort de solidarité. Les aides techniques progressent chaque jour et en outre constituent une opportunité économique de première grandeur pour la France.

Le sujet est d’engager les aidants , familiaux ou professionnels, dans cette culture de prévention/réhabilitation. Un exemple : mieux vaut mettre en place l’aide nécessaire pour qu’une vieille dame puisse aller chez le coiffeur que faire venir le coiffeur à son domicile. Lien social, estime de soi, tout y gagne.

C’est l’esprit du projet de loi que je prépare, mais aussi de chacune de nos actions au quotidien. Dispositif MONALISA, travail commun avec les caisses de retraite sur les dispositifs de prévention, introduction de la domotique dans les EHPAD.. Mais ce doit être aussi celui de chaque famille autour des parents âgés et de chaque Français pour soi même.

 

Les EHPAD sont-ils des lieux restrictifs de liberté ?

J’ai eu le privilège au cours de ces dernières semaines d’un long entretien avec Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui rend public aujourd’hui son rapport d’activité 2013.

Lors de cet entretien comme à l’occasion de la remise de son rapport, cette personnalité éminente et unanimement respectée pour la pertinence de ses recommandations (la dernière à propos de l’état des Baumettes à Marseille) a évoqué avec moi la possibilité d’intervenir dans les EHPAD (Etablissements d’Hébergement des Personnes âgées Dépendantes) dont on sait que certaines, nombreuses, comportent des unités fermées pour les malades d’Alzheimer.

Il conçoit cet éventuel élargissement de son champ d’action dans une perspective de prévention. Des inspections administratives sont possibles en EHPAD (diligentées par les Agences Régionales de Santé (ARS) et/ou les Conseils généraux) mais reconnaissons qu’elles surviennent souvent à la suite d’incidents ou d’accidents et d’événements considérés comme relevant de la maltraitance. La possibilité d’une visite inopinée du contrôleur général constituerait en effet un message de vigilance susceptible de prévenir et d’éviter des comportements non adaptés ou de voir perdurer des locaux inadéquats.

Pourtant, cette proposition qui a d’ores et déjà le mérite de poser des questions essentielles sur la liberté et les droits des résidents, se heurte à la fois à des difficultés concrètes et à des questions que je qualifierais de déontologiques.

Tout d’abord les lieux « privatifs » de liberté constituent par définition des lieux où l’on entre contre sa volonté. Une révision de cette définition imposerait un recours à la loi et il faudrait sans doute compléter par « lieux privatifs » par « lieux privatifs ou limitatifs de liberté ».

Mais une première question est tout de suite posée : le consentement d’entrer des âgés est-il toujours plein et entier ? Les conditions du recueil de ce consentement sont-elles bien celles dans lesquelles on reçoit le « consentement éclairé » des personnes entrant dans des essais de recherche clinique et ce consentement répond-il à sa pleine définition? Ma réponse est : nous pouvons et nous devons améliorer les unes et l’autre. Je compte beaucoup sur notre loi d’adaptation de la société au vieillissement pour avancer dans ce domaine. Les droits des âgés sont les droits de toute personne humaine mais ils doivent être explicités pour toutes les circonstances spécifiques qu’elles sont amenées à connaître. Celle-ci en est une et pas la moindre.

Par ailleurs, et c’est un point majeur au regard de la diversité des EHPAD mais plus encore de la diversité des résidents et de leur état cognitif, est-il plus adéquat d’assimiler ces établissements à des lieux limitatifs de liberté ou seulement considérer  individuellement les droits des personnes, sans considération du lieu ?

Dans l’état de nos règlements et de notre perception du grand âge, ma faveur va à la deuxième proposition. Considérer le lieu en soi comme limitatif de liberté aurait deux conséquences fâcheuses.

Il s’agirait d’un signe peu encourageant pour les âgés eux-mêmes de penser qu’ils sont susceptibles d’entrer dans un tel lieu ainsi défini, eux qui ont vécu jusqu’à un âge avancé avec leur pleine autonomie, dans un domicile qui leur était propre et qui, bien souvent, ont eu à traverser des moments (je pense en particulier aux guerres) où ils ont été amenés à défendre leur liberté.

De plus, comment le vivraient les personnels de ces EHPAD ? Ils ont, à tous les niveaux, un métier difficile, exigeant où le dénominateur commun de leur engagement est de conserver aussi longtemps que possible, voire d’améliorer l’autonomie des résidents ? Ne serait-ce pas là aussi un mauvais signe que d’assimiler le lieu de leur exercice comme un lieu limitatif de liberté et non comme un lieu où tout est tenté pour la préserver ?

Mon échange avec M. Delarue a été parfaitement positif. Il n’a méconnu aucune de ces réserves et n’en a écarté aucune. Nous avons parlé des portes fermées, des unités fermées, des digicodes, de la possibilité de dispositifs de géolocalisation pour retrouver des résidents égarés. Sans tabou. Pour ma part la liberté de chaque résident, à tout instant et quel que soit son degré de perte d’autonomie, doit être l’astre supérieur qui commande chacune des décisions et des pratiques (portes fermées, dispositifs de géolocalisation…) en EHPAD. Comme partout.

 

 

 

 

 

 

 

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