m

Europe, Corse et fiscalité : les trois ne font pas la paire

L’Assemblée Départementale de Haute Corse vient de voter une motion à l’adresse de l’Europe visant à maintenir les privilèges de l’Ile sur le prix des produits de tabac, de 30% moins chers qu’en France continentale.

L’histoire n’est pas nouvelle mais elle mérite d’être contée car elle ne va pas sans poser quelques questions dérangeantes..

Depuis le Consulat (on se doute un peu de l’exceptionnelle personnalité à l’origine de ce privilège), la Corse bénéficie de quelques légers avantages qui permettent aux citoyens de l’Ile de fumer à moindre coût et, cela doit avoir un lien, de mourir sans droits de succession. Humour un peu noir, reconnaissons-le mais tout à fait dans la veine de l’étude Philip Morriss qui déduisaient du coût du tabac pour l’Etat, les pensions de retraite non versées du fait de la mort prématurée des fumeurs.

Ce sont les premiers de ces avantages qui nous retiennent ici. Cinq républiques s’y sont cassés les dents et aujourd’hui cigarettes et produits du tabac sont de 25 à 30% moins chers que sur le continent. Aucune justification apparente ; tout au plus aurait-on compris qu’au titre de la continuité territoriale, le tabac –qui ne pousse pas en Corse- ne soit pas plus cher qu’en tout autre endroit de notre territoire.

Pas de justification, mais des conséquences. La première et non la moindre : l’Agence Régionale de Santé de Corse a montré que les cancers pulmonaires y sont 30% plus nombreux. Démonstration presque mathématique que mortalité et morbidité dues au tabac sont en lien direct avec son prix. Une autre encore démontrant qu’un prix bas favorise l’entrée des jeunes dans le tabac : la Corse est le lieu où les adolescents fument le plus et le plus tôt.

Que croyez-vous qu’ont fait les élus corses ? S’élever contre ce surcoût en vies humaines ? Que nenni ! Cynisme encore pour expliquer leur abstention sur ce bel enjeu de santé publique. Les droits de succession dont l’Ile a longtemps été exemptée sont aujourd’hui encore sont sans proportion avec le nombre de morts : 350 déclarations pour 2800 décès en 1997.

Dans un village des Landes dont le Maire était à la fois résistant et très malin, on ne compta aucun décès entre 1940 et 45, ce qui permit de maintenir élevé le nombre de cartes d’alimentation. Aucun rapport avec le tabac mais je n’ai pu résister à cet hommage à mon vieil ami Maire, aujourd’hui disparu.

Revenons à nos élus, qui pour tout autre sujet que le tabac (prix des billets de transports par exemple) sont fervents à défendre la continuité territoriale, mais n’ont sur le sujet du tabac que le souvenir de la glorieuse histoire du petit Caporal. Au nom des siècles passés, ils réclament à l’Europe aujourd’hui ce qu’ils ont obtenu de plusieurs dizaines de gouvernements depuis deux siècles : qu’elle ferme les yeux sur l’aberration d’une fiscalité différente du tabac sur l’Ile et sur le continent. D’où la motion en date du 24 juillet dont, à cette heure, je n’ai pu obtenir copie. Dommage car les arguments avancés doivent mériter le détour.

L’Europe donc impose à la France une égalité de fiscalité sur le tabac sur l’ensemble de son territoire. Cela peut se concevoir : imagine-t-on les élus basques faire motion pour obtenir une réduction des taxes sur le jambon de Bayonne ? Ou les Landais sur le foie gras ? Encore cela pourrait se discuter au titre du développement durable et de l’élevage de proximité. Mais le tabac…

Et pourtant, dès le 1er janvier 2016, France et Corse doivent rentrer dans les clous, ce qui tout à fait entre nous donne au moins une raison à l’actuel Gouvernement de fermer sa porte aux délégations venant plaider la cause du pauvre lonesome fumeur corse.

Ceci dit… L’Europe serait mieux inspirée encore si elle étendait son regard à l’ensemble du continent… Européen, Iles comprises, Luxembourg et Andorre inclus,  et enfin donner un signe fort en direction d’une harmonisation fiscale et d’un prix unique sur le paquet de cigarettes, éliminant ainsi le commerce illicite et privant les cigarettiers de leur meilleur outil de pression pour contrer la meilleure arme  contre le tabagisme qui est une forte augmentation de prix. Là, l’Europe trouverait tous son sens, montrerait qu’elle se préoccupe des Européens plus que des banques, au lieu de jouer petit bras en ne s’intéressant qu’à ces quelques aimables citoyens corses et à leur belle Ile.

Donc nous en sommes là. J’ai déposé, l’an dernier, à trois reprises des amendements en faveur de cette harmonisation. Le Ministre a répondu « qu’elle était en cours» et, contrairement à mon attente, les buralistes ne se sont pas précipités pour m’applaudir.

Car enfin, ils s’élèvent –avec raison- contre les prix plus bas du tabac dans les pays frontaliers, source de tous les maux, trafics licites et illicites, mort du petit buraliste… Jamais, ils n’ont eu un mot contre la différence majeur de prix entre Corse et continent, non plus qu’entre tous les trafics qu’elle génère. Allez comprendre..

Banana republic, la France ? Banana Europe, notre beau continent dès qu’il s’agit de tabac ? C’est une question dont nous ne pouvons faire l’économie. Il faut très vite non seulement la poser mais y répondre.

 

Les buralistes

Ils sont près de 27 000 en France, très divers dans l’étendue de leur commerce (buralistes « secs » ou « humides », tabac-presse..) et dans leur situation à la fois géographique et sociale (du grand Bureau des Champs-Elysée à celui qui maintient seul une activité dans un village rural) et tous, ils sont très insérés dans l’histoire de notre pays et dans sa vie sociale. Rappelons-nous juste qu’il y a quelques décennies les « bureaux de tabac » étaient confiés aux veuves de guerre méritantes.

J’en reparlerai, car l’histoire de ces « débitants de tabac » est, comme celle du tabac lui-même, un marqueur sociétal et un des nombreux fils rouges de notre Histoire, et ce fait n’est pas tout à fait innocent dans les liens complexes qu’entretient l’Etat au tabac et à son commerce.

Le tabac aujourd’hui est unanimement et universellement considéré comme le toxique le plus dangereux et la drogue la plus addictive. Il est urgent de revisiter son commerce et les politiques qui le régissent. Il est urgent de revoir et d’accompagner ceux qui vendent ce toxique au nom de l’Etat.

C’est pourquoi, il y a maintenant près d’un an, j’ai proposé au Président de notre groupe à l’Assemblée (Bruno le Roux) de mettre en place un groupe de travail destiné à travailler sur l’évolution du métier de buraliste. Ceci est aujourd’hui fait avec à sa tête le député d’un territoire frontalier, Frederic Barbier.

Le combat contre le tabac n’est en aucune façon un combat contre les buralistes (non plus que contre les fumeurs, qui sont au contraire les premières victimes) mais, comme d’ailleurs le stipulent les différents « contrats d’avenir » signés entre l’Etat et eux, les buralistes  doivent être des acteurs positifs de nos objectifs de santé publique. Ces objectifs sont simples (du moins dans l’expression) : il s’agit de la sortie progressive et préparée du tabac. La Ministre de la Santé parle de faire de la prochaine génération une génération sans tabac. Cela correspond exactement à ce que je porte en cohérence parfaite avec la Ligue contre le cancer : « sortir du tabac en 2030 ».

Cet objectif doit être assumé, ce qui n’a jamais été vraiment le cas. Il doit être préparé et d’abord, avec les buralistes.

Ce sont les principes que j’ai posés dans mes rencontres -nombreuses- avec leurs représentants. Le Président Pascal Monredon, l’ex-Président des buralistes d’Ile de France Cyrille Geiger, les représentants régionaux au cours de ces derniers jours. Dans tous les cas, les entretiens ont été constructifs avec une particulière attention aux plus petits commerces qui ne savent pas toujours comment payer leurs échéances malgré les aides considérables de l’Etat en direction des plus petits bureaux. Je dirai ailleurs le détail de ces aides, dont le montant total équivaut à la moitié du coût annuel de la loi vieillissement qu’il m’a été donné d’élaborer.

Aujourd’hui, cinq jours après un long entretien avec leurs représentants, les buralistes ont fait une action contre les radars et quelques monuments de notre ville, mais aussi contre le siège du Parti Socialiste et contre ma Permanence de députée. En ligne de mire, le paquet neutre qui certes va compliquer leurs problèmes de stockage et de distribution, mais d’après leurs dires comme ceux des cigarettiers « n’aura aucun effet sur la vente ». Etrange paradoxe…

Ne vaudrait-il pas mieux contribuer à ce partenariat que l’Etat met en place ? Qui aujourd’hui ne sait pas que ceux qui veulent réduire la consommation de tabac n’ont aucun autre intérêt que la santé publique ? Dans un bureau de tabac de Bordeaux (le seul où j’ai jamais été mal accueillie), ce sont les clients qui m’ont défendue « mais vous savez bien qu’elle est médecin, comment pourrait-elle défendre le tabac ? »)

Travaillons, mais surtout travaillons ensemble. La situation est trop grave pour nous perdre en vains combats. Personne ne veut la mort du petit commerce, dont le buraliste est bien souvent le dernier représentant et celui dont les plages horaires d’ouverture sont les plus grandes.

« Qu’as-tu fait de ton frère ? »

Le tabac aujourd’hui, c’est comme l’amiante hier : tout le monde sait, mais les décisions tardent.Viendra le temps de la responsabilité, de la mise en cause et du jugement.

Soixante-treize mille morts par an et vous, qu’avez vous fait ? Vous qui êtes responsable politique, fabricant ou vendeur de cigarettes ? Vous qui êtes parents ou enseignants et qui voyez des jeunes entrer en addiction, vous qui jouissez de la confiance du public et avez les moyens de vous exprimer ? Vous aussi qui êtes journalistes ? Vous qui êtes producteur de cinéma et qui recommencez à montrer des personnages qui fument au nom de la liberté artistique ?

Et vous aussi, qui siégez dans les institutions européennes, aucune interrogation, aucune inquiétude quand ce sont 700 000 citoyens de l’Union Européenne qui meurent chaque année du tabac ? Pas l’idée de faire cesser cette cynique concurrence entre les pays, à qui en vendra le plus ? Pas le sentiment de l’obligation et de l’urgence pour harmoniser enfin la fiscalité sur le tabac et sortir de ce jeu illicite et corrompu ?

C’est à chacun de se répondre mais c’est ensemble qu’il faut préparer la sortie du tabac et c’est maintenant, juste maintenant qu’il faut s’y mettre. Nous n’avons que trop tardé.

Tabac : pour l’abolition de la peine de mort

La sortie du tabac est aujourd’hui un combat de même importance que l’abolition de la peine de mort.

En réalité, personne n’en doute, personne ne remet en question l’énormité des chiffres, et pourtant rien ne bouge vraiment. Des sommes énormes ont été englouties dans des messages de prévention, des sommes bien plus énormes continuent de l’être pour accompagner, soigner mais jamais guérir, les dégâts sanitaires et sociaux de ce « mondial killer ».

Alors pourquoi cette impression de s’attaquer à la plus lourde et la plus immobile des montagnes chaque fois que l’on tente une avancée ?

Parce que les intérêts sont énormes et principalement de trois ordres.

Le premier, le plus pesant et de très loin, c’est l’industrie du tabac. Quatre ou cinq  grands groupes dans le monde trustent cette industrie de mort. Des livres, des émissions de télévision, un grand nombre d’articles de presse, en ont montré le poids et la réalité. Récemment, l’émission CashInvestigation a fait frémir d’horreur des millions de spectateurs et de commentateurs. Les faits n’ont pas été contestés, la réalité est là. Quelques organes de presse se sont saisis du sujet, trop peu car nous ne parviendrons à rien sans l’opinion publique.

J’avoue ne pas comprendre que des courants politiques opposés au monde de la finance et à l’ultra-libéralisme ne montent pas au créneau contre ces multinationales, car il s’agit bien plus de financiers, jouant avec les taxes, faisant pression sur les pays, que d’industriels désireux d’améliorer leurs produits et d’en réduire la toxicité. Tout au contraire, leurs efforts portent sur l’aggravation par des additifs de leur pouvoir addictogène. Pour ma part, c’est aussi une des raisons de mon engagement.

Le second, ce sont les producteurs. En France même, la culture du tabac est largement présente et elle est subventionnée à la suite de mesures européennes. Il y a quelques années, des subventions ont été données aux viticulteurs pour arracher leurs vignes car notre production était considérée comme excessive.

Il y a un pas entre demander à un vigneron d’arracher ses ceps de vigne et à un planteur de tabac de s’orienter vers une autre culture. Un viticulteur produit bien souvent son vin, se lève la nuit pour voir si la fermentation se fait bien, en un mot il aime ce qu’il fait et en prend soin. Pour autant, beaucoup de ces viticulteurs ont arraché leur vigne pour réorienter notre production.

Les subventions européennes ne pourraient-elles être dirigées vers la transition de la culture du tabac vers une autre ? Nous serons bientôt 9 milliards, n’y a t-il pas plus utile à cultiver ?

Le troisième, ce sont les buralistes. Ils ont derrière eux une longue et belle histoire depuis le temps où les bureaux de tabac étaient attribués aux « personnes méritantes » et en particulier aux veuves de guerre. Ils ont surtout aujourd’hui un rôle majeur : celui de « point social », bénéficiant d’un large horaire d’ouverture, ce qui fait de leur travail un travail difficile. Ce rôle social est vital dans les quartiers, en milieu rural, partout. Les âgés en particulier ont besoin de ce lieu de rencontre où l’on va chercher le journal en même temps bien souvent que de commenter la météo et de dire du mal du Gouvernement. Toutes choses également utiles et également pratiquées depuis des décennies.

Les « bureaux de tabac » et leur petite civette rouge sont au nombre de 30 000 en France. Ils reçoivent chaque jour des centaines de milliers de personne et constituent bien sûr un groupe politiquement sensible. Après le premier plan cancer de Jacques Chirac et ses mesures d’augmentation de prix du tabac, suffisamment importantes pour impacter la consommation, ils se sont mobilisés comme ils l’ont fait en 2013 avec une pétition « je soutiens mon buraliste, il fait partie de mon quotidien ». Allusion était faite à la « menace » que faisait peser sur lui l’augmentation des prix du tabac, mais aucune à la raison de cette augmentation et à la toxicité du tabac.

Eh bien, moi aussi, je soutiens mon buraliste et pour tout dire « j’aime mon buraliste » comme on aime aujourd’hui sa banque. Je l’aime même à ce point de vouloir travailler avec lui pour que son métier évolue et que son chiffre d’affaires ne se fasse plus aux dépens de celui de l’hôpital et de la sécurité sociale. Je l’aime, à l’égal de tous les autres Français, à ce point de refuser de le voir paralysé par un accident vasculaire cérébral ou étouffé par un cancer du poumon. C’est bête mais c’est ainsi. J’y reviendrai.

Avouons-le, il y a aussi le monde indécis de ceux qui ont intérêt à ce que le commerce du tabac perdure. Il ne faut pas être Madame Soleil pour savoir que des prébendes, petites ou très grandes, existent partout, que contrebande, accords cachés et autres « optimisations » brouillent les cartes. Des commissions d’enquête doivent être mises en place. Pour l’instant, personne n’y est parvenu. Cet univers n’est pas le plus facile à faire évoluer.

Ces trois groupes principaux se rejoignent sur UN argument : à quoi bon agir en France (c’est à dire augmenter les prix, ce qui est la seule mesure efficace), cela ne servira qu’à augmenter les achats hors frontières.

Autrement dit, à quoi bon combattre sur un territoire si on n’est pas sûr de gagner une guerre mondiale ? Pourquoi abolir en France la peine de mort, si l’abolition universelle n’est pas acquise ?

Eh bien, nombre de pays ont suivi la France. En Europe, pas un qui énonce et qui applique la peine de mort. Et l’abolition universelle est en marche.

 

 

 

 

 

 

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel