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La base sous-marine, sanctuaire d’histoire contemporaine

S’il y a bien à Bordeaux un monument chargé d’histoire, c’est la base sous-marine. Ce monumental bâtiment, indestructible par n’importe quelle technique, a été construit en 22 mois entre 1941 et 1943 par l’Allemagne nazie pour y accueillir des sous-marins allemands et italiens et nous devrons un jour consulter les archives militaires allemandes conservées à Fribourg, pour en écrire toute l’histoire.

Des milliers d’ouvriers, réquisitionnés dans le cadre du Service du Travail Obligatoire (STO) et de l’organisation Todt, ainsi que des prisonniers de guerre ont contribué à sa construction ; ce furent en particulier plus de 3000 républicains espagnols dont 70 y périrent.

C’est ce monument au béton noirci que la ville de Bordeaux vient d’acheter au Grand Port maritime pour l’euro symbolique. Jusque-là rien que de très favorable. Plus discutable la décision qui vient d’être prise en conseil municipal d’en faire une Délégation de Service Public et de le confier au secteur privé. C’est le cas déjà dans notre ville pour de nombreuses structures comme par exemple et de plus en plus souvent des crèches mais la DSP à enjeu culturel est une nouveauté. Elle est d’ailleurs très sélective car elle suppose un droit d’entrée de 7 millions d’euros (pour réalisation de travaux) qui élimine de fait tous les acteurs culturels associatifs.

Le « contrat de concession » qui est proposé aux candidats délégataires (en fait, l’un est déjà ciblé, comme souvent), volumineux et pesant ouvrage, n’aborde pourtant qu’en quelques lignes le caractère mémoriel du lieu et ne dit pas un mot de l’ardente obligation de le respecter et de le magnifier.

Le monument des Républicains espagnols, édifié à leur initiative en 2012 à proximité de la base, est cité avec la mention « à ménager dans la mesure du possible (…) ou le cas échéant proposer des hypothèses de relocalisation satisfaisante ». C’est bien maigre : l’histoire et la mémoire de ce lieu devraient constituer un chapitre entier des obligations culturelles imposées au futur délégataire. Tout incite pourtant à la mémoire et au symbole : sa massivité de plomb de la construction, la noirceur du béton enfoncé dans l’eau invitent à parodier Baudelaire: « l’Histoire est un temple où de vivants piliers/ laissent parfois sortir de confuses paroles/ l’homme y passe à travers une foret de symboles .. ».

Tous ceux qui ont vu ces massives alvéoles de béton, le petit clapotement sombre de l’eau qu’elles dominent ont été frappés de l’étrange magie de ce lieu. Il y a dans le souvenir mêlé de la guerre, du combat des Républicains et de ces eaux tristes quelque chose de wagnérien bien propice à un lieu culturel mais où la dimension mémorielle doit être instamment conservée.

On dit (je ne sais si cela a jamais été confirmé) que des ouvriers ont été emmurés dans ce béton. En tout cas, la base sous-marine a quelque chose d’un sanctuaire. Nous ne devons jamais oublier le sacrifice et la souffrance des hommes.

Alain Juppé, ou l’art d’être Grand Maire

Il faut avoir un moral d’acier, fût-ce par un jour de relatif beau temps, pour musarder dans le quartier, riche d’Histoire, des bassins à flôts à Bordeaux. Ce bon moral était aujourd’hui doublé d’une certaine inconscience d’y promener des amis berlinois, venus apprécier les atouts de notre ville, et en arrière-plan non formulé, les réalisations de notre Maire.

A ma décharge, nous commémorions en ce 8 mai, la capitulation de l’Allemagne. Francophiles, à l’opposé absolu de ce que fût le nazisme, mes amis ne m’en tenaient aucunement rigueur, voire le contraire, regrettant comme moi que le drapeau européen ne figure en aucun lieu de la cérémonie. Mais c’est une toute autre histoire.

Chose décidée, chose faite. La visite a commencé par la base sous-marine, monument que nul ne saurait qualifier d’artistique mais pour le moins de « durable » puisque nul procédé n’est parvenu depuis 70 ans à en libérer notre ville. Son histoire tragique interdit à son sujet toute forme d’humour. C’est ce que j’ai raconté à mes amis en leur montrant le monument en l’honneur des Républicains espagnols, morts souvent d’épuisement et de mauvais traitements lors de sa construction.

Mais allons plus loin, littéralement, en suivant le pas de la visite : jusqu’aux deux bassins à flots, reliés qu’ils étaient par le pont du pertuis. Pont mécanique, le seul pont à culasses ayant survécu à des décennies d’usage que notre municipalité n’a pas fait l’effort de conserver malgré le combat de Philippe Dorthe, élu non seulement de ce territoire, mais de la vie maritime de notre ville.

Je m’éloigne, mais en réalité je suis le parcours de notre promenade pour entrer dans ce territoire hanté pour les Bordelais par le « génie des lieux ». Celui du passé industriel, maritime et ouvrier du quartier de Bacalan. Le nom en vient, dit on, de « bacalao », la morue que l’on allait pécher et qui faisait partie de l’activité comme de la renommée de notre ville.

Foin de l’histoire, foin de ce talent des artistes et des grands architectes de savoir mêler dans leurs réalisations, histoire, géographie et esprit des lieux. Bacalan est en passe de devenir aujourd’hui le catalogue Manufrance de l’architecture ordinaire contemporaine. J’écris « ordinaire » par égard pour ceux qui ont, ou vont, acheter dans ce quartier. C’est bien souvent « médiocre » qui vient à l’esprit.

Une ligne de toit en dents de scie, au faîte d’immeubles du gris-noir au marron-vert, couverts, « pour rappeler le passé industriel du quartier ». J’expliquais cette honorable intention quand un Bacalanais me reconnaît et m’interrompt: « C’est ce que m’a dit ce Monsieur Michelin quand il est venu sur le terrain. Je lui ai répondu que s’il avait amené 10 000 emplois plutôt que deux cent logements, le rappel aurait eu au moins un peu de sens ».

Les paroles sont strictement exactes. Heureusement, mes visiteurs germaniques n’ont compris que le nom de Michelin et ont cru un instant qu’il y aurait là une fabrication de pneumatiques. Que nenni, nulle entreprise pour égayer cette marina aux couleurs de deuil..

Plus loin, des tôles ondulées, vertes, rouges ou  banalement grises, en long ou en larges le long des murs, des immeubles à balcons jaunâtres, d’autres blancs comme les murs de villas du Pélopponèse qui, faute du ciel assorti, voisinent avec un immeuble bleu des mers du sud.

J’en passe, et des pires qui seront pires encore dans 20 ans. Quel rapport avec l’art d’être Grand Maire ? Je crains que mes visiteurs, qui, Berlinois qu’ils sont, savent ce que veut dire « reconstruire », ne l’aient compris. Etre Grand Maire d’une Grande Ville,  c’est tout simple : construire pour l’avenir avec l’ambition des Maires du passé qui ont construit notre présent.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel