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Une de mes patientes, il y a une bonne vingtaine année de cela, m’avait dit cette drôle de phrase : « Il faut sortir tous les matins comme si on devait rencontrer le Président des Etats-Unis ».

Je venais de la louer pour son élégance, sa mise soignée et bien choisie, jusque dans sa chambre d’hôpital et si je la revois, aujourd’hui comme souvent, je n’ai pas conservé son nom et cela m’attriste, comme m’attriste toutes ces « disparitions » d’identité pour des hommes et des femmes dont j’ai partagé des moments de vie cruciaux, et qui se sont, plus ou moins effacés de mon souvenir.

Cette patiente, à laquelle manque un nom, mais je ne veux pas lui en inventer un, avait passé une longue partie de sa vie aux Etats-Unis. Elle était rentrée dans sa ville, celle de mon hôpital, depuis une dizaine d’années mais avait conservé quelque chose de particulier à la bourgeoisie professionnelle américaine qui m’a marqué.

Ce quelque chose, c’était ce que j’appelerai aujourd’hui « l’élégance professionnelle ». Les Américains des labos, surtout sur la côte ouest, sont souvent très décontractés dans leur allure, mais ceux des hôpitaux ou des bureaux sont toujours assez stricts et nets. Je ne me souviens pas non plus de la profession de ma patiente dans sa période américaine, mais je suis certaine qu’elle en avait une et qu’elle la respectait.

Ce drôle de souvenir, un peu inhabituel dans le cadre de ce blog, rejoint un propos de ma mère « il faut respecter le travail ». Elle déduisait de cette phrase toute une série de comportements, qu’elle ne manquait pas d’enseigner, comme celui d’offrir aux travailleurs de tous âges, des locaux propres, bien éclairés et agréables pour que tous puissent s’adonner à sa double marotte : travailler et respecter le travail. Elle a ainsi faire repeindre des salles de classe ou des écoles entières avant la rentrée et menacé rectorats et inspections académiques s’ils ne s’exécutaient pas en temps utile.

J’ai dérivé, comme souvent. Ma patiente avait un critère tout autre : la rencontre du Président des Etats-Unis. J’essaye de l’analyser avec un maximum de justesse. Il y avait dans cette expression un mélange entre respect des Etats-Unis, qu’elle aimait, respect de ses institutions, et plus encore sans doute respect de soi même qui doit se montrer en toutes circonstances à la hauteur (sa propre hauteur).

J’ai conservé un peu de tout cela. Bien sûr, j’ai conscience de la part de conformisme et même de déguisement qu’il y a dans cette attitude de vouloir correspondre à ce qu’on fait, et avec un peu de chance, à ce qu’on est. Un jeune chercheur d’emploi, malin comme un singe, se plaignait à moi de sa répugnance à se déguiser pour se rendre eux entretiens. Je lui ai répondu « Mais n’est-ce pas normal ? En ce moment-même si je n’étais pas déguisée en conseillère générale, est-ce que vous n’auriez pas été surpris ».

Il en a convenu. L’ai-je convaincu pour autant ? Sans doute un peu. En tout cas, il a trouvé du travail, c’était le but, ou au moins une partie du but.

Voilà, c’était juste comme ça un hommage en forme de dette à ma patiente disparue. Ce que les Américains qu’elle aimait appellent « Tribute to ».

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