m

Premier jour depuis près de trois semaines libéré de toute obligation de « sortie ». J’exempte bien sûr de ce mot mon jardin qui comme le savent les amateurs est toujours au moins pour autant jardin intérieur qu’extérieur. Trois semaines sans cette liberté de ne pas endosser l’uniforme bienséant de la gentille petite députée, propre sur elle, active et dynamique qui sied à cette honorable condition. Place au babygros, doux et confortable, où le corps si j’ose dire peut penser en repos.

Il pleut doucement sur les feuilles brunies du marronnier, moitié à terre, moitié encore sur l’arbre très haut, avide de lumière, qui couronne mon jardin. Les oiseaux accourent aux mangeoires remplies à leur intention. Mésanges, moineaux, verdiers et un revenant au vilain nom, la cytelle torchepot, célèbre pour arpenter les troncs d’arbre à contre-sens et tête en bas. En un mot, eux comme moi, sommes bien, satisfaits les uns des autres et dans une impression de paix un peu morose très rassurante.

Pourquoi ce sentiment de pause donne-t-il plus fort l’impression d’exister que l’agitation de tous les autres jours ? Parce que la machine à penser paraît tant soit peu se remettre en marche. Je me souviens d’un vieux médecin qui m’avait dit, il y a loin, que les médecins d’aujourd’hui avaient la tâche beaucoup plus rude parce qu’entre deux visites à leurs malades, il n’avaient pas ce temps tranquille dans leur voiture à cheval des praticiens d’autrefois qui leur permettaient de penser. Nos journées manquent de « temps de cariole », de silence, de vague et de moments perdus.

J’interromps un instant : un rouge-gorge tout rond vient de se planter sur le sol, massif, inquisiteur, dédaigneux des colonnes de graines hautes perchées, regardant dans ma direction au travers de la vitre, laissant planer un questionnement sans réponse entre le bruit des gouttes.

Internet donne aujourd’hui à beaucoup de ses utilisateurs intensifs le même sentiment. A la recherche d’une info sur la toile, il manque ce temps précieux qui faisait aller de la chaise au dictionnaire, du dictionnaire au livre voisin, du livre voisin au fauteuil. Notre cerveau en est parait-il modifié, ce que je ne perçois pour ma part pas encore, sans doute du fait que j’écris sur mon ordi au moins autant que je lis. L’équilibre entre le « output » (ce que l’on produit ou que l’on émet) et le « input » (ce que l’on reçoit plus ou moins passivement) est dans ce domaine comme dans tous les autres une règle de base pour garder la machine en bonne marche.

J’ai souvent cité ici cet aphorisme qui me met en joie: « Heureux comme quand il pleut et que l’on sait un ami dehors ». C’est aujourd’hui tout autre, la pluie n’est que le fond sonore d’un bienheureux silence qui se remplit doucement de mots.

Répondre

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel