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J’ai écrit la tribune qui suit dans l’avion qui me ramenait de Paris le soir du 9 octobre. Le débat sur les jeux en ligne et le retard de l’avion m’avaient mise d’une humeur exécrable. J’ai écrit d’un trait, sachant bien que, même sous une forme abrégée aucun journal ne publierait ce texte ; sachant aussi que son format, son ton, n’étaient pas celui d’un blog. Je n’ai pas décoléré depuis. Une pétition se met en marche, les Socialistes se réveillent, l’affaire ne sera peut-être pas classée sans suite…

…Non, ce n’est pas anecdotique . Entre les deux événements de l’actualité immédiate, l’un*, occupant des pages et souvent la première, et l’autre quelque part sur une ou deux colonnes en milieu de journal, l’importance est en proportion exactement inverse.

La nomination, imminente, prévue, arrangée, de Jean Sarkozy à la tête de l’établissement d’aménagement du plus gros quartier d’affaires d’Europe est beaucoup plus qu’un « événement » , c’est un signe. La décadence de l’empire romain ne s’est pas faite autrement.

Tous les ingrédients y sont présents.

1-Le népotisme . Il n’a pas besoin de longs commentaires, hors de rappeler le souvenir de ses plus belles figures, en tête desquelles Caligula, dont Camus fit le héros que l’on sait. Pas d’excès d’inquiétude : si Caligula fit Consul son cheval Incitatus, le Président n’a, à ce jour aucun animal connu des médias.

2- La fin de l’exemplarité, ce qu’en langage contemporain on appelle « la décadence des élites ». Il fût un temps, pas si lointain, où les grands personnages de l’Etat avaient l’ambition de le personnifier, presque de l’incarner et d’en donner en tout cas, une image de rigueur. Refus de tout présent qui pourrait paraître un cadeau, modestie relative, en tout cas décence du train de vie, famille et proches les uns et les autres invités à faire preuve de leur mérite dans le déroulement de leur carrière ou l’obtention de leurs charges. J’hésite à le faire, mais j’en donne un exemple : j’ai croisé dans ma carrière médicale le Pr Alain Pompidou. Sa compétence n’était mise en doute par personne, il avait passé examens et concours sans le besoin de l’intervention paternelle. De la même manière, la dynastie Debré s’est inscrite dans l’exemplarité républicaine. Mais bien sûr, il existe des exemples contraires. Aucun ne me paraît avoir le caractère bruyant de la nomination du petit Jean.

3- La collusion du pouvoir avec la finance et les affaires. Nous sortons à l’Assemblée de l’examen d’un texte qui est loin d’être exempt de cette odeur entêtante. L’EPAD qui va choir (je confirme le mot) dans les mains du jeune Sarkozy est tout aussi fortement parfumée de décennies de coups tordus dont les Hauts-de-Seine se sont fait une spécialité. Budget considérable, entreprises à doter ou bien à récompenser, la gestion de l’EPAD n’a rien à voir avec celle d’une amicale de chant choral. Le quartier d’affaires est à ce titre le bien nommé. Que faudrait-il à mon sens pour le présider ? Du caractère, de l’intégrité et un respect du service public que seule la pratique démontre.

4- Le mépris de ce que l’Ecole, l’Université sont supposées promouvoir, soutenir et apporter : le goût du travail, le bénéfice de l’enseignement et de la formation, le désir de l’excellence. Qu’on me comprenne bien : je ne reproche pas en premier lieu à Jean Sarkozy de n’avoir aucun diplôme. Tant de Ministres ont été dans son cas et avec quel mérite : Fitterman, Bérégovoy, Monory… Mais il n’étaient pas nés avec le capital social d’un fils de Président, et dans ce cas, je trouve en effet peu convaincant pour l’avenir que Jean Sarkozy ait à 23 ans redoublé sa deuxième année de droit.

Le plus grave est pourtant à venir : c’est plus encore que tout cela un manque de connaissance, un manque de respect, une provocation envers les jeunes en ce début de XXIème siècle.

Chaque personne qui lit ces lignes connaît un jeune, bien souvent plusieurs, quelquefois même beaucoup (c’est mon cas, ils remplissent mes permanences) qui s’efforcent, s’acharnent, vont de porte en porte, passent des examens, des concours, s’accrochent à des études qu’ils financent à coups de petits boulots, sans parvenir à monter dans le train d’une vie professsionnelle décente. Je ne parle pas même d’accrocher l’ascenceur social : celui-ci descend plus qu’il ne monte, je parle seulement de se tirer d’affaires.

S’en tirer, pas y tremper.

5- C’est l’irrespect, l’indécence, le cynisme qui marquent cette nomination. Ce sont ces trois-là qui ont d’abord précipité Rome dans la chute.

Cet irrespect n’est pas qu’en la jeunesse. Il s’éxerce envers l’action même du gouvernement : que doit penser Martin Hirsch et son plan de promotion de la jeunesse ? Laurent Vauquiez et son tout de France pour vendre de petits contrats aux jeunes en panne (UN contrat à Bordeaux !). Sont-ils encore crédibles ? Que doit penser Valérie Pecresse qui porte les couleurs de la droite pour les élections régionales en Ile de France, dont l’EPAD constitue le fer de lance économique ?

Qui peut supporter, fût-il Ministre de droite ?

Les Romains –je parle des simples citoyens et aussi des plébéïens qui n’avaient pas droit à ce titre- n’étaient pas informés de tout cela. De Caligula lui-même, on ne sût rien que plus tard après avoir lu Suétone. Mais nous, aujourd’hui, savons ; mais les jeunes aujourd’hui savent, connaissent, voient et ont dans leur main de condamner l’indécence , pour éviter sinon la décadence –elle est là- mais la chute.

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