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Redéfinir, redéfinir… Encore faudrait-il que nous en ayons déjà tous une claire définition. Je répugne à aller quérir celle que donnent les bons auteurs de dictionnaire. La mienne a à voir avec le bien collectif, l’union des citoyens autour de ce bien et le service que depuis des générations on lui dévoue. L’Etat entretient un flirt  poussé avec la République, une relation plus ambigüe avec la Nation, et puisque c’est du nôtre qu’il s’agit, aussi avec ce beau mot de « France » auquel nous sommes attachés. Etat -Nation, Etat souverain, Etat dans l’Etat, bien des formes de pacs traduisent les amours entre ces mots.

L’Etat est au fond comme le temps : tous savent bien ce qu’il est quand on ne leur demande rien, mais dès qu’on les interroge, ne savent plus trop quoi dire.

Notre Gouvernement se propose pour l’année 2015 non seulement de poser la question mais d’y donner une nouvelle réponse ; redéfinir les missions de l’Etat, dire s’il fait bien ce qu’il doit faire, pointer ce qu’il faisait et qu’il ne devrait plus faire, identifier des missions nouvelles que des données nouvelles pourraient imposer (par exemple, internet). Thierry Mandon, déjà en charge de la « simplification », s’est vu confier cette épineuse réforme.

La question des autoroutes illustre concrètement le sujet. Question nouvelle, datant d’à peine quelques décennies, problème immémorial. Déjà Anne de Bretagne s’était prononcée contre tout péage ou cession à autrui. Les routes de Bretagne devaient être et rester libres. Les Bretons ont assez bien réussi d’ailleurs à faire fructifier cette parole patrimoniale, quelquefois avec excès et violence.

Routes et chemins appartiennent incontestablement au bien commun des habitants d’un territoire. Ils y travaillent, les construisent ou les entretiennent depuis des générations. Les « voies », comme la terre, les villes et les villages, font partie de la définition d’un territoire.

Concession n’est pas cession, pour autant celle qu’a permise Dominique de Villepin en 2006, s’y apparente : l’immense difficulté à y revenir démontre que l’Etat n’est plus vraiment propriétaire de son bien. La contrainte budgétaire actuelle accuse cette dépendance et nous demeurons tête basse en voyant les 20% de bénéfices annuels tomber dans l’escarcelle des sociétés autoroutières.

Quelle est la justification d’un péage ? L’utilisation d’une voie bien au-delà du service de l’Etat et de ceux qui le composent. Les grandes autoroutes qui traversent la France et permettent le commerce international doivent légitimement être entretenues par tous sous la forme d’une redevance. L’Etat doit cependant en rester maître.

Des péages « de convenance » comme celui que vient de proposer Alain Juppé aux portes de Bordeaux (le trajet Bordeaux-Salles de la route Bordeaux-Arcachon) ne sont pas légitimes. Ici pour deux raisons : le péage est censé assurer le paiement d’une facture extérieure au projet (le dernier tronçon de la rocade de Bordeaux). La facture est « one shot », le péage risque d’être durable. De plus, ce péage concernerait principalement les usagers pendulaires qui entrent ou sortent de Bordeaux pour leur travail. Tout ceux-là sont des locaux : les routes leur appartiennent.

Un autre cas, tout à fait différent, interroge également notre sens de l’Etat : le tabac. La vente de celui-ci est concédée aux buralistes depuis de nombreuses décennies. Ces buralistes (on n’employait pas encore le mot) étaient des personnes méritantes, veuves de guerre en premier lieu, auxquelles la concession était donnée pour reconnaissance de la République. On est loin de là.. Non que les buralistes ne soient pas méritants, mais ce commerce s’achète désormais comme tous les autres, au prix de son chiffre d’affaires.

Et l’Etat, là-dedans ? Il décide (enfin..) de la fiscalité et finance le coût social et sanitaire de ce serial killer à nul autre égal. Comme pour les autoroutes, il est gravement floué. Plus encore, vendre au nom de l’Etat le produit le plus dangereux pour la santé (autre domaine de l’Etat), est-ce encore acceptable ?

C’est un sujet tout à fait majeur. Au cours de la précédente législature, Daniel Vaillant, avait envisagé de placer la vente de cannabis sous monopole d’Etat. Je m’étais associée à cette réflexion. La conscience de ce qu’est devenue la vente du tabac, soumise à toutes les pressions et dépossédant l’Etat d’une grande partie de son pouvoir, me font craindre qu’il en soit de même pour le cannabis.

Deux exemples, très différents, qui devront être interrogés -et résolus- lors de cette « Réforme de l’Etat » à laquelle Thierry Mandon s’est attelé. J’ose à peine lui dire: « Bonne année à toi ! »

 

 

 

 

 

 

 

Comments 10 commentaires

  1. 30/12/2014 at 19:00 Alain

    Il est loin le temps où un monarque absolu friand de chocolat pouvait déclarer : « L’Etat, Cémoi ! » https://www.cemoi.fr/wp-content/uploads/2013/01/cemoi-vache-300×198.jpg

  2. 01/01/2015 at 09:34 le-gout-des-autres

    C’est étrange, je vois des allusions à diverses cessions plus que concessions.
    Qu’il s’agisse du tabac, des autoroutes, des accès payants à certaines villes.

    Pas un mot au sujet de l’aéroport de Toulouse.
    Ni d’ailleurs de toutes ces choses qui de service public réellement au service du public sont devenues des entreprises qui ne voient dans le public qu’un générateur de marge nette.
    J’ai fait partie des gens qui ont financé avec leurs impôts tous ces services, leur construction, leur étude, leur fonctionnement.
    Que ce soit le TGV, France Télécom, EDF et ses centrales.
    J’en étais un usager actif.
    J’en suis un usagé client…
    Et je dois avouer que j’en ai peu honte.
    J’ai surtout honte de m’être fait avoir de façon scandaleuse par des gens censément de gauche qui se comportent comme le premier banquier venu.
    Des gens « de gauche » prompts à rogner le maigre revenu du retraité pour préserver des fortunes qui échappent à l’impôt.

  3. 01/01/2015 at 12:34 alphonse

    Croyez-vous, Madame, que la République.fr soit le meilleur placement pour votre héritage?

  4. 01/01/2015 at 12:53 Alain

    @legoûtdesautres

    Votre goût amer me donne à penser que vous n’êtes pas garanti… « sans conservateurs »; les conserves ont comme on sait une date de péremption. Usager usagé ? En entrant dans une gare ou en montant dans un train, on a de tout temps été un « client » de la SNCF, avant comme après sa nationalisation. Bien sûr il faut se méfier du « libéralisme », qu’on n’apprécie pas à toutes les sauces. Regardant hier soir un film anglais sous-titré en français, j’ai eu le plaisir d’y voir « He is a liberal » fort justement traduit par « Il est progressiste ». C’est bien le sens premier de ce mot dans notre langue, dont les « usagers » ont la mémoire courte ou sélective; que ce sens ne soit plus aujourd’hui le seul est le signe que le français demeure une langue vivante, qui évolue « libéralement » hors les vieux dictionnaires. Les nouvelles acceptions ne condamnent pas cependant les anciennes : c’est heureux quand les plus récentes sont elles-mêmes originellement des contresens. Ainsi le libéralisme honni de ceux qui s’autodéfinissent comme la « vraie gauche » est-il aussi loin du « libéralisme » des Lumières que l’est pour moi « supporter Mélenchon » de « supporter les Girondins » dans l’acception commune de bien des Bordelais amateurs de football. N’ayons pas peur du darwinisme, qu’il s’applique à l’évolution de la langue, de l’économie, de la danse ou de la politique, puisqu’il est à la fois porteur de la diversité et garant de la mémoire. Bref, il est la vie.

  5. 02/01/2015 at 07:58 Michele

    Piketty pose au fond la meme question que nous ici : qu’est ce que l’Etat pour chacun de nous ?
    Pour ma part, si c’est à l’Etat de distinguer et d’honorer ceux qui ont servi ou honorés eux même ce collectif qu’il représente. Votre avis ?

  6. 02/01/2015 at 08:53 Alain

    @Michèle

    Je suis d’accord avec vous. Si tel n’était pas le cas, Piketty ne pourrait pas entrer au Panthéon et nous en serions tous affligés. Entre ici Piketty, etc.

  7. 02/01/2015 at 09:04 le-gout-des-autres

    @Alain

    J’ose espérer que, comme pour vous « libéralisme » est (comme pour moi d’ailleurs) synonyme de « progressisme », vous n’avez pas pensé, à moins que je ne me sois mal exprimé, que « service public » signifiait pour moi « soviétisation ».
    Je signifiais simplement qu’un service public, comme son nom l’indique, est un outil au service du public, financé par le contribuable et qui ne peut, du fait qu’il est dévolu à tous, être « rentable ».
    On ne lui demande pas de gagner de l’argent, on lui demande de rendre un service, de la qualité la plus élevée possible et pour le coût le plus supportable possible pour les finances publiques.
    Je suis peut-être « vieux jeu » mais je ne demandais pas à la SNCF de supprimer des dessertes « non rentables » en fermant des gares au prétexte que s’y arrêter faisait perdre du temps à ceux qui allaient plus loin, puis à substituer à ces arrêts des cars qui passent une fois le matin et repassent le soir.
    J’ai aussi connu une SNCF où connaître la distance et la classe suffisaient pour avoir une idée du prix du billet. Le « yield management » ne me semble pas particulièrement efficace et donne de surcroît la désagréable impression que l’égalité de tous devant le « service public » est une vieille lune. J’ai la chance de pouvoir prendre mes billets via le Web, ça m’a permit de constater qu’à l’aspect « loto » du prix du billet, on avait ajouté une discrimination sournoise : Si vous n’avez pas Internet chez vous, pas de carte de crédit, vous payez plus cher votre billet en vous déplaçant à la gare…
    On peut remarquer les mêmes choses chez Air France.
    En fait, je me demande ce qu’est l’Etat pour moi aujourd’hui.
    Il semble avoir abandonné ce qui faisait qu’au moins je lui faisais confiance : Il semble avoir perdu de vue qu’une de ses rôles, le premier même, est qu’il est là pour protéger les plus faibles de ses citoyens en limitant l’appétit de ses citoyens les plus forts.
    J’ai de plus en plus l’impression qu’il fait de gros effort pour préserver des puissants qui n’ont pas besoin de lui pour se protéger efficacement.
    Je ne suis pas, certainement « sans conservateurs », je ne pense pas non plus que « c’était mieux avant ».
    Ça ne m’empêche pas de constater que certaines choses doivent être préservées et d’autres changées.
    Mais j’aimerais beaucoup qu’on cesse de parler de ces « Français rétifs aux réformes » chaque fois qu’on essaie de faire passer une régression pour une réforme…

  8. 02/01/2015 at 09:53 klaus

    @ le-goût-des-autres; vieux jeu moi-même je partage tout à fait vos remarques. L’anglosaxonisation de ce qui devrait être un service PUBLIC a détruit beaucoup de repères et fondements dans notre société.
    Quant à Piketty: je ne le connais pas suffisamment, mais il semble qu’il est un peu caractériel et peut-être un peu perturbé par le rôle qu’on lui attribue depuis la parution de son « Capital ». Quoi qu’il en soit, la remarque (guère un vrai argument!) que le gvt ferait mieux de s’occuper de la croissance est , telle qu’elle est écrite, tout simplement bête. « L’Etat » peut honorer ceux qui le méritent et , en même temps, sans que l’un n’exclue l’autre, promouvoir la croissance et faire de nombreuses autres choses. Pas vrai? Ce genre d' »alternatives » est récurrent dans les réseaux sociaux et pas digne d’un intellectuel comme
    Piketty.

  9. 02/01/2015 at 11:02 alphonse

    Le grand projet de révolution écologique commence fort: pour liquider Ecomouv,300 personnes sur le carreau, 800 millions tout de suite et 30 par an pendant 10 ans pour indemniser les actionnaires…
    Mais je comprends mieux Ségolène: ne pas pénaliser pour faire faire du vert par le privé, mais ne pas s’en priver quant c’est le public qui s’en charge; on ne dit rien quand la SNCF augmente ses tarifs…et c’est bien ce qu’on espère faire soi-même quand on aura re-nationalisé les autoroutes.

    Depuis le temps que le belles entreprises publiques françaises, SNCF incluse, vont faire des bénéfices exonérés d’impôts à l’étranger….pas fichus de faire un tgv direct de Bordeaux à Lyon…et mettre cette liaison accessoire dans la « loi de relance » Macron…par autocars…low-costs…!!!
    Sans parler de GDF-Suez qui fait un chantage calamiteux sur des risques de pénurie d’électricité en Belgique en hiver…avec plan de restrictions de fourniture comme en temps de guerre….le tout pour éviter de payer le minimum d’impôts dû pour l’exploitation d’un appareil de production amorti 3 fois avant de l’avoir racheté à moins de moitié prix…

    Un simple axe de gouvernement pour 5 ans: l’efficacité des transports (de tout)…au niveau européen…..

  10. 07/01/2015 at 21:03 Laurent

    Pourquoi je n’ai pu contenir mes larmes ce soir en écoutant les journalistes, des très proches de la réadaction de Charlie Hebdo parler de l’extermination du fleuron du dessin caricaturiste français, de NOTRE Charlie Hebdo à toutes et tous symbole de la liberté d’expression, du droit au blasphème, socle de notre démocratie, de notre république, de la laïcité (où est la mission de l’état quand X. Darcos ministre de l’éducation nationale laisse aux directeurs de collèges, lycées le soin d’accepter ou non le port du voile dans leurs établissements publics alors qu’il y une charte de la laïcité à l’école et 1905…) ! Dire que Charlie Hebdo a subi un procès de la part de certains pour les caricatures de Mahomet il y a plus de 10 ans!!! Au delà des différences politiques (fondement de la démocratie qu’ils veulent faire vaciller, de la fracture nationale qu’ils recherchent), nous arrivons encore plus loin que les clivages politiques: il s’agit de l’adn de notre civilisation occidentale qui est atteint! Là où les fanatiques, où l’obscurantisme, où le totalitarisme a gagné du terrain, la liberté d’expression, le droit au blasphème a toujours reculé! Des intellectuels, des carituristes de haut vol, deux policiers qui les protégeaient ont été abattus babarement: soyons tous solidaires, faisons bloc, ne nous laissons pas gagner par la peur, résistons pour que vivent nos valeurs, vive la laïcité et la république française, ne cédons pas aux amalgames, affirmons avec encore plus de force et de pédagogie dans les faits notre laïcité à la française en toutes circonstances. Donnons les moyens nécessaires aux forces protectrices policières. Un mercredi noir pour de nombreux français. Je fais un voeu: que figurent sur des timbres poste (où est écrit République Française) des caricatures de Cabu, Wolensky incluant le blasphème: quel plus bel hommage à cette élite qui si elle disparaît augure des lendemains cauchemardesques.

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