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Dans son intervention de mi-mandat sur TF1, François Hollande a annoncé des mesures pour les personnes au chômage proches de la retraite. Ces mesures vont dans le sens de la « loi d’adaptation de la société au vieillissement » proposée et défendue par la députée bordelaise Michèle Delaunay.

Avec le baby-boom qu’a connu la France après la deuxième guerre mondiale, 30% de la population va se retrouver dans la tranche des plus de 60 ans. Ces Français vont continuer de vieillir grâce à l’augmentation de l’espérance de vie et redessiner un nouvel équilibre des générations. Michèle Delaunay, ex ministre déléguée aux Personnes âgées et à l’Autonomie, qualifie ce phénomène de « transition démographique ».

Parmi cette population, le Président de la République a, lors de son intervention sur TF1, distingué les « jeunes seniors » en s’adressant à une femme de 60 ans, chômeuse et sans espoir de retrouver un emploi. François Hollande a annoncé le retour d’une allocation « pour les personnes qui ont toutes leurs annuités, qui ont plus de 60 ans et qui ne trouveront plus l’emploi jusqu’à 62 ans ».

Cette allocation a été supprimée en janvier 2011 et avait été remplacée par l’allocation transitoire de solidarité (ATS) qui répondait à des conditions très strictes. Des milliers de seniors s’étaient alors retrouvés dans une situation financière difficile, aggravée par le report de l’âge de la retraite de 60 à 62 ans à la suite de la réforme de 2010.

« Le rôle et la place des retraités dans la société constituaient jusqu’alors un véritable trou noir de la pensée politique. Le voilà qui commence à s’éclairer », déclare Michèle Delaunay.

Revaloriser le rôle des seniors dans la société

Dans le gouvernement Ayrault, Michèle Delaunay avait élaboré une « loi d’adaptation de la société au vieillissement », toujours débattue au Parlement. 55 000 Bordelais et 15,4 millions de Français de plus de 60 ans devraient en profiter quelques décennies – l’espérance de vie moyenne est de 78,4 ans pour les hommes et de 84,8 ans pour les femmes.

« Cette espérance sera bientôt de 30 ans après la retraite : une vraie troisième vie, précise la députée. Il y a urgence à réviser notre vision de l’âge et revaloriser le rôle des seniors dans la société. »

Rue89 Bordeaux : Une première question s’impose, on est senior à partir de quel âge ?

Michèle Delaunay : C’est difficile de préciser un âge. Ce qui est concret et réaliste, et qui a été pris en compte durant mon travail au ministère, c’est l’âge de la retraite. Il est là le véritable tournant. On rentre dans une troisième vie, avec des nouveaux repères et de nouvelles modes de vie au quotidien. On commence à percevoir des difficultés qui nous emmènent à réviser notre mode de vie, comme par exemple changer de logement parce qu’il est devenu trop grand, ou parce qu’il devient difficile à entretenir…

Nous avons donc pris l’âge de la retraite comme repère. Mais en réalité, après la retraite, les gens sont encore actifs. Pour cette tranche de vie, le vocabulaire n’est pas adapté, parce qu’il y a une nouvelle réalité et les personnes vieillissent bien. Mon ministère, qui s’appelait le ministère des Personnes âgées et de la Dépendance, est devenu le ministère des Personnes âgées et de l’Autonomie. Car sur les 15 millions de personnes concernées, 1 million de personnes sont dépendantes.

L’Allemagne est le pays où le nombre des seniors est le plus élevé. Vous êtes-vous inspirée du modèle allemand ? Y a-t-il eu une concertation avec des pays européens pour l’élaboration de votre loi ?

Je n’ai pas suivi le modèle allemand. Je salue malgré cela leur politique en avance sur le grand âge. Le SPD (Parti social-démocrate) a obtenu, d’ici la fin du mandat de la chancelière Angela Merkel, un budget de 6 milliards et demi d’euros qui serait investi sur la perte de l’autonomie. C’est un bon budget.

Et il n’y pas eu de concertations avec les pays européens. J’avais demandé aux parlementaires une étude comparative de trois pays : Suède, Espagne et le Québec. Le Québec est particulièrement avancé sur le plan sociétal et son expérience pouvait nous aider. Ensuite, la Suède et l’Espagne sont représentatifs des pays d’Europe du nord et du sud. Nous sommes entre les deux, sur le plan géographique et sur le plan culturel. Avec le pays du nord, nous partageons la mentalité de la personne âgée qui veut être autonome. L’État est le principal interlocuteur et non pas la famille. A l’inverse, dans les pays du sud, le cocon familial a un devoir envers la personne âgée.

Selon nos sondages, les personnes âgées sont de plus en plus dans une culture d’autonomie. Elles veulent maintenir des relations avec leurs enfants, mais ne veulent pas être à leurs charges. Les boomers ont connu mai 68 qui a été pour eux une période d’émancipation, en particulier chez les femmes.

Développer la culture de l’autonomie

Dans les grands principes de votre loi se trouvent pourtant les valeurs familiales ?

Les valeurs familiales, mais surtout les valeurs de proximité. Quand on a problème, il vaut mieux être ami avec son voisin qu’avec le Président de la République ! Un des facteurs du mauvais vieillissement est la perte des liens sociaux. Le développement de ces liens va être une sorte de catalyseur. C’est le bon côté qui peut servir toutes les générations.

L’anticipation est un pilier de votre loi, comme l’adaptation et l’accompagnement. Ces idées prennent quelles formes ?

Aujourd’hui les travaux sur le vieillissement montrent une espérance de vie qui a doublé en un siècle et demi. D’abord, nous connaissons les facteurs de vieillissement : la pénibilité au travail, la qualité de l’alimentation, les stimulations cognitives… Par ailleurs, nous sommes en mesure de dépister la perte d’autonomie avant qu’elle ne soit irréversible. Sinon, les gens s’enfoncent et atteignent un point de non retour. Dans la loi, il y a des outils pour le dépistage et pour instaurer une culture de l’autonomie.

Pour saisir le stade de réversibilité, nous devons anticiper. La culture de l’autonomie les invite aussi à anticiper : aménager à temps leur domicile, réfléchir sur ce qui va devenir problématique. Pour les gens à faibles revenus, la loi prévoit des aides techniques, des aménagements de domiciles, des adaptations pour éviter les maisons de retraites. Il y a des mesures en faveur de l’habitat collectif regroupé, les résidences de services où ils peuvent être proches les uns des autres et partager des structures en commun.

Une Silver économie en pleine croissance

Ces propositions engendrent des dépenses, comment va-t-on les financer ?

Ce qui important est de changer d’abord le regard sur l’âge et ne plus faire culpabiliser les personnes âgées. Il y a dans le troisième âge aujourd’hui deux générations : les jeunes âgés et le grand âge.

La première génération contribue à ce qu’on appelle la « Silver économie ». Il faut prendre conscience que cette économie connaît 0,25 point de croissance par an et est en mesure de combler les dépenses du grand âge.

La transition démographique va impacter tous les champs de la société. Elle va changer la fiscalité. De nos jours, l’héritage se fait entre retraités et quelquefois très tard, avec des héritiers de 70 ans qui sont loin d’avoir leur vie devant eux. On doit favoriser les dotations précoces.

Il faut penser que beaucoup de personnes âgées vont vivre 30 ans. On doit inventer des nouvelles propositions parce que ces personnes peuvent rester actives. Il faut fluidifier l’âge de départ à la retraite et imaginer des évolutions de carrière pour repenser la société. Nous n’avons pas le choix si on veut éviter un taux important de dépendance économique. Si on ne trouve pas de solutions, d’ici 2050, nous aurons un actif pour deux inactifs.

Les retraités sont les moteurs de la cohésion sociale, les associations, les municipalités, et même les partis politiques. Si on enlève les retraités dans les petites villes, il n’y a plus personne !

Si l’on considère que les baby-boomers vont assurer cette transition démographique, et compte tenu de la baisse de natalité, vous ne craignez pas que cette loi soit seulement utile pour les quarante prochaines années ?

Il y a deux problèmes qui s’entrecoupent. L’espérance de vie gagne un trimestre par an. Dans une journée de 24 heures, nous avons en réalité 30 heures ! Il n’y pas de prévisions pour que cette croissance de l’espérance de vie s’inverse, et la courbe ne cesse de croître (en revanche, celle de l’espérance de vie en bonne santé est pour la première fois en baisse, à 61,8 ans en 2010, une année de moins qu’en 2009, NDLR) . Elle ne dépend pas que des boomers. Ceux-ci constituent un pic dans cette courbe croissante. On table sur la possibilité que, au cours du XXIe siècle, l’espérance de vie atteigne les 100 ans.

Où en est votre loi aujourd’hui ?

Elle a été votée en première lecture à l’Assemblée nationale et passera au Sénat début 2015. C’est loin et c’est regrettable, des mesures positives vont être retardées.

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