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Vingt ans depuis que je lui ai parlé pour la dernière fois personnellement et presque autant depuis notre dernière rencontre officielle : il accueillait à la Mairie le premier congrès de Dermatologie cancérologique que j’y avais organisé (1992).

Dix ans depuis sa mort. Et l’occasion pour le Maire de Bordeaux de convoquer son souvenir, lui que je n’ai jamais entendu prononcer depuis sa prise de fonction le nom de Jacques Chaban Delmas dans notre ville.

Chaban que j’ai eu le privilège de connaître familièrement. Adolescente, avec la souplesse particulière à cet âge, il m’agaçait par son art de séduire. Je n’aimais à l’époque que le granit et le basalte. Il était tout au contraire : désireux de rendre heureux, de donner de la force et plein d’une générosité personnelle envers tous ceux qui l’approchaient que je n’entendais pas encore.

Privilège plus grand encore, j’ai partagé les grands projets et l’audace de réalisations qui furent celles de sa grande époque. Beaucoup sont nées ou ont été alimentées dans des dîners familiers où l’on venait en voisins entre le palais Rohan et l’hôtel Vital Carles, où l’on se contentait d’une grillade et d’un verre de vin mais où l’on n’était jamais rassasiés de grands desseins et de cet inimitable partage des rôles qui se distribuait sans un mot entre lui et Gabriel Delaunay.

A tout cela, j’ai assisté, comme une grande que je croyais être et que cela m’a aidé à être. C’est là entre autres que j’ai appris la chance et l’injustice du « capital social » comme le nomment les Américains.

Un quartier populaire en coeur de ville dans une cité présumée de droite (le Grand Parc), la création d’un lac dans le nord lointain des cressonières, la destruction d’un quartier pittoresque mais misérable, un pont suspendu sur la large Garonne quand il n’y en avait pas eu depuis un siècle, quel Maire peut se targuer de cette vision et de cette volonté ? Deux entreprises d’envergure mondiale (Ford et Siemens) aux proches abords de la ville, qui a eu la capacité de les installer, avec l’aide quotidienne d’un préfet fou d’économie qui avait eu l’audace de créer dans ses services une cellule de développement économique qui n’était dévolue qu’à cela ?

Ce moment d’immense émotion que fût le retour à Bordeaux pour son jubilé de François Mauriac, qui d’autre que Chaban aurait pu l’approuver dans l’instant et le suivre sans demander ni détails, ni avis ? François Mauriac en rend l’hommage dans son bloc-notes à l’amitié qui le liait à mes deux parents. N’est pas Mauriac qui veut : aujourd’hui, Juppé a effacé Gabriel Delaunay de cet événement comme de tous les autres.

Ce fût en effet un choc douloureux ce soir d’arriver dans la cour de la Mairie pour ce qui devait être une célébration de la mémoire de Chaban ; accueillie par une photo cruelle d’un Juppé jeune, debout, dominateur auquel un Chaban épuisé, assis, diminué, remet symboliquement les clefs de sa ville. Quel infini manque de tact que le choix de cette image !

Douloureux aussi, infiniment douloureux, les images de ces événements nés de quatorze années de travail partagé, dans une confiance sans faille et une amitié jamais altérée, d’où était effacée, grâce à d’habiles choix, l’image de Gabriel Delaunay.

Comment peut-on être assez petit de faire payer aux morts le désagrément causé le temps d’un soupir par les vivants ?

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