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Intervention du 28 septembre 2009, Motion de rejet préalable

« C’est avec un grand sens de la responsabilité…. »

C’est avec un grand sens de la responsabilité que les députés socialistes, radicaux et citoyens abordent ce texte sur le financement des écoles élémentaires privées accueillant des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence .

Avec un grand sens de la responsabilité mais aussi avec pragmatisme.

A- Beaucoup d’entre nous gèrent une commune, une collectivité. Tous connaissent à la fois le prix et le coût de l’enseignement. Tous en connaissent aussi l’importance décisive, pour le présent et pour le futur.

B- Ce pragmatisme, c’est aussi pour eux la connaissance au quotidien de l’impérative nécessité de la mixité scolaire, si nous ne voulons pas voir notre équilibre social/sociétal nous exploser à la figure dans un délai très court.

C- Un grand sens de la responsabilité mais aussi la conscience de ce qui est à la base de leur engagement : le service de la République.

Tous sur ces bancs, nous savons que l’Ecole est avec la Santé et la Justice un des trois piliers de notre système politique, un des piliers de notre vivre ensemble et la clef de notre avenir.

Pour notre part, nous voulons que sans avoir à employer de mots, tous les Français et d’abord les plus jeunes le sachent aussi.

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Deux pages et trois articles, et un titre presque aussi long que le texte lui-même : c’est toujours un signe. Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et surtout rapidement. Ce titre de 9 lignes ne dit rien d’autre que l’ambiguïté de ce texte, qu’une fois de plus vous présentez non comme un projet mais comme une proposition de loi. Ce n’est bien sûr pas insignifiant.

Juste mise en adéquation des textes aux faits ? Ou texte fondamentalement, radicalement politique, cachant derrière chaque point virgule, une possible et dangereuse évolution de notre système scolaire ?

Vous le savez : quand on s’interroge, c’est bien souvent qu’on s’est déjà répondu. Et sur tous ces bancs, nous l’avons vu en commission, la réponse est finalement semblable, même si elle ne conduit pas à la même attitude.

Deux pages et trois articles, mais derrière eux un siècle et demi d’histoire qu’il ne s’agit ni de ranimer ni de raviver, mais seulement de comprendre au regard des enjeux d’aujourd’hui qui sont, permettez-moi de vous le dire, radicalement différents que ceux qui, en 1959, ont entouré la rédaction de la Loi Debré.

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L’histoire ne me retiendra pas longtemps ; tout simplement, parce que, ici dans cet hémicycle, nous la connaissons, même si ce n’est plus le cas de tous nos concitoyens.

I – De cette histoire, nous ne retiendrons donc que quelques repères pour que ceux qui nous entendent ou qui nous liront au delà de la demi circonférence de cet hémicycle puissent en situer les avancées ou les reculs.

  • La Loi debré de 1959 définit des établissements publics et des établissements privés, financés par l’Etat et liés par contrat avec lui sous réserve d’obligation.
  • La Loi Guermeur fixe en 1977 une contribution forfaitaire versée par les communes par élève et par an.
  • Puis, en 1985, une disposition prise au Sénat affirme la participation de la commune de résidence pour la scolarité dans une école publique sans arbitrage préfectoral en cas de désaccord du Maire.

Jusqu’en 2004 donc, la possibilité de financement concernant les enfants non résidents se fait par convention.

L’article 89 du 13 aout 2004 , né d’un malentendu, l’intention de son auteur étant toute autre que son application, est relatif à la prise en charge par les communes des frais de fonctionnement des classes élémentaires hors du territoire de résidence des enfants.

Cet article a été adopté comme « réputé conforme » sans avoir été examiné par les députés

Il institue une obligation de financement du privé à hauteur du public en fonction des ressources de la commune et du nombre d’enfants ; il prévoit une intervention du préfet à défaut d’accord entre les communes ; aucune référence n’est faite à des conditions limitatives alors qu’elles existent pour le public.

Vous le savez, le décret d’application n’est jamais sorti, mais une simple circulaire (deux en réalité, en 2005 et 2007) ne levant en aucun cas les ambiguïtés. Le Conseil d’Etat n’a toujours pas statué sur la dernière de ces circulaires.

Vous n’ignorez pas non plus que, le 28 février 2008, le tribunal administratif de Dijon a annulé une délibération du Conseil municipal de Sémur-en-Brionnais qui avait refusé de participer aux frais de scolarisation de 3 enfants résidant sur sa commune mais inscrits dans une école élémentaire privée sous contrat située sur le territoire d’une autre commune. La commune invoquait, d’une part, l’absence d’accord préalable de son maire à la scolarisation de ces enfants dans une autre commune, d’autre part, l’existence dans sa commune d’une garderie et d’une cantine.

Le tribunal administratif lui avait donné tort, considérant que la notion de capacité d’accueil suffisante ne pouvait être retenue dans la mesure où les établissements privés ne sont pas soumis à la carte scolaire et sont choisis principalement en fonction de leur caractère propre.

Il existe donc bien une divergence d’interprétation, qui n’est pas le fait de simples inquiétudes, mais qui a des conséquences lourdes et bien réelles.

Le sort d’un article : 1- fondé sur un malentendu et ne répondant pas aux intentions de son auteur
2- à l’origine de circulaires ambiguës, sur lesquelles le Conseil d’Etat n’a toujours pas tranché
3-ouvrant la voie à des contentieux même si ceux ci sont dans la pratique peu nombreux
n’est il pas d’être purement et simplement abrogé ?

Nous l’avons proposé à deux reprises, dont la dernière en novembre 2007 par la voix de Jean Glavany, dont je salue le travail. Vous avez, comme chaque fois, refusé de débattre sur cette proposition de loi et opposé une fin de non-recevoir. Vous ne faîtes mine d’entendre notre demande aujourd’hui qu’en l’incluant dans une proposition de loi qui au contraire en confirme le principe ; Est-ce loyal ?

Revenons au texte et à son titre

Dans le titre même de cette proposition de loi, on parle de parité entre écoles privées et écoles publiques.

Où avez vous vu que cette parité soit une obligation constitutionnelle ?

Je ne connais de principe constitutionnel en la matière que celui de la liberté d’enseignement. Quel sens donnez-vous à ce mot de parité ? Egalité de droits ? égalité de devoirs ? Egalité de chiffres et de nombre ?

Il n’y a de parité qu’à égalité d’obligations et égalité de charges.

Et je prendrai aussitôt un exemple :

L’enseignement privé qui bénéficie de l’usage des équipements sportifs publics a-t-il obligation en cas de « carence », comme on dit maintenant, de mettre à disposition du public ses salles de sport, ses équipements ? Non.

Et pourtant retenons ce mot de « parité », malgré son inadéquation : la loi le satisfait-elle ?

Trouvons-nous point par point cet équilibre des formes dont vous vous réclamez ?

Et c’est aussi pour cela que nous réclamerons que l’avis du Maire soit requis avant que le financement soit acté.

Il est nécessaire en cas de financement hors commune de résidence d’une école publique.

Quelle justification pouvez vous avancer pour ne pas l’exiger pour une école privée ?

Je connais la réponse : rien ne peut entraver la liberté de l’enseignement.

Mais rien non plus ne peut entraver la nécessité de validation des critères ni l’autonomie de gestion des communes.

Et surtout, comment pouvez-vous ainsi acter la rupture de l’école avec la République ?

Soyons honnêtes chers collègues, la parité, de fait, n’existe pas ! Et vous le savez comme moi.

L’Ecole publique, laïque et républicaine, comme le fait l’hôpital, accueille tous les enfants sans distinction, quel que soit leur milieu social, les revenus et le statut des parents, leur religion et quel que soit leur capital culturel (au sens où Bourdieu l’entend).

L’Ecole privée, non…Ou si elle le fait, elle le fait avec une ségrégation, peut-être non intentionnelle, mais bien réelle : d’un côté les élèves issus de milieux aisés, de l’autre – c’est-à-dire dans d’autres écoles – ceux issus de milieux défavorisés qui ont le droit a des établissements dits d’insertion.

Cette proposition de loi essaie de nous faire accroire que financer « à parité » la scolarisation dans le public ou le privé est un devoir : mais soyons clairs, la parité n’a ici aucun fondement juridique. En arrivera-t-on un jour à rembourser les notes de taxi de ceux qui n’aiment pas prendre le bus ?

Ce sont les inégalités déjà réelles, parfois criantes en matière d’éducation que nous risquons encore d’aggraver. Ce serait ne pas éduquer à Caudéran comme dans le quartier Grand Parc, comme si d’un côté l’éducation était une exigence, de l’autre simplement une possibilité…

Et même si ce principe non-constitutionnel de parité était appliqué, l’enseignement privé ne devrait en aucun cas percevoir davantage en fonctionnement que l’enseignement public (je vous invite à reprendre la loi Debré de 1959).

Aujourd’hui pourtant c’est le cas. Le secteur privé en Zone d’Education Prioritaire (ZEP) bénéficie de 100 postes supplémentaires alors que le public en reçoit 167. Si ce principe de parité dont vous usez et abusez était respecté, les ZEP devraient bénéficier de 383 postes supplémentaires!

A quoi assistons nous ne réalité : au glissement progressif de la loi vers le chèque scolaire

Je parodie, vous ne m’en voudrez pas, le beau titre de Robbe-Grillet.

Où allons-nous en effet s’il n’y a aucune limitation, aucune référence, je dirais même aucune démarche officielle à faire pour obtenir le financement de la République pour la scolarisation de son enfant, sinon la remise d’un chèque, un pass éducation, une sorte de ticket restaurant du savoir, et dans bien des cas, de l’ignorance ?

Qui bientôt saura même que la scolarisation est obligatoire, que c’est un devoir autant qu’un droit et que ce devoir ce n’est aucune communauté, religieuse ou pas, aucune entreprise à fins lucratives qui l’a mis en place, mais la République et qu’elle en assure la charge du fait même qu’elle soit la République.

Est-ce qu’un distributeur bientôt, aux couleurs de quelque sponsor, viendra délivrer ce chèque ?

Mais surtout, comment ne pas prendre en pleine figure le parallélisme de cette proposition de loi avec le texte de la loi portant réforme de l’hôpital sans jamais en prononcer le nom ?

La démarche est hélas semblable :

en cas de « carence » de l’école publique (carence !), on ne comble pas cette carence mais on transfère la demande et les moyens vers l’école privée ;

allons plus loin : il ne s’agit même plus de combler la carence mais de l’organiser : des milliers d’emplois détruits, un plan social pire encore que celui du ministère de la défense ;

comment le maire d’une petite commune qui se débat pour conserver son école, ses classes, après sa Poste, peut-il accepter cet aspirateur à élèves qu’est l’obligation de financer le départ des enfants qui auront les moyens d’aller dans l’école privée voisine ?

comment un maire de banlieue qui se bat pour maintenir un équilibre social dans sa commune et un équilibre scolaire dans ses classes peut-il accepter cet aspirateur à enfants « les plus nantis », comme on dit ?

Je n’ai aucunement l’intention d’attaquer de manière dogmatique que pourtant je réprouve, mais j’espère, chers collègues, que vous prendrez conscience du danger de cette loi qui nous est aujourd’hui proposée.

Je suis pourtant obligée de constater, depuis 2002, une série d’actions contre l’Ecole publique en faveur du privé. C’est une constante de la droite au gouvernement, au détriment des enfants issus des milieux les plus défavorisés.

Depuis 2002, le gouvernement a supprimé plus de 50 000 postes dans les écoles publiques,
il a supprimé la carte scolaire mettant à mal la mixité sociale,
il menace la maternelle,
il abandonne l’Education prioritaire et offre aujourd’hui des subventions au secteur privé pour qu’il s’installe dans les quartiers défavorisés. Une dotation spécifique avec la crétaion de 100 emplois suppléentaires pour les établissements privés situés dans les zones défavorisées a en effet été créée par le plan espoir Banlieues de Fadela Amara.

Alors oui, encore une fois, je parlerai de transfert du public vers le privé au détriment des enfants et des parents

En réalité nous organisons avec ce texte l’évasion scolaire

Des maires se battant bec et ongles pour maintenir leurs classes doivent financer ceux qui les désertent ?

Parlons chiffres, car ce sont toutes les petites communes que vous allez étrangler davantage encore en votant cette loi, et je sais, Mesdames, Messieurs les Députés-Maires, tous bancs confondus, que vous ne serez pas insensibles au coût de cette loi :

30 à 40 % des élèves du privé, soit 400 000 élèves sont aujourd’hui scolarisés dans une école implantée hors de leur commune. Le forfait communal peut varier de 400 à 1500 euros. Ainsi la somme globale versée par les communes à l’enseignement privé pourrait s’élever à 500 millions d’euros !

Et je sais que certains d’entre vous, chers collègues de l’UMP, sentent les risques que nous prenons en votant cette loi et je sais que vous êtes plusieurs à penser, notamment lorsque vous êtes maires d’une petite commune : « J’ai passé 26 ans à lutter contre l’évasion scolaire. Dans ma circonscription, les deux collèges dont la capacité d’accueil est de 1000 élèves n’en reçoivent plus que 400. »

V- Le choix du lucratif au détriment de notre l’Education pour tous

Enfin, nous ne pouvons ne pas nous interroger sur les intérêts cachés mais bien réels de cette proposition de loi. L’enseignement privé y est-il fortement favorable au nom de l’intérêt général, de valeurs religieuses, de la volonté de faire mieux que le service public ou d’une logique libérale visant le profit ?

Je tiens à citer Monseigneur Claude Dagens qui disait en 2007 en parlant de l’Education et de la Santé :
« Il n’y a plus de sens pour que l’Eglise occupe ce terrain, sinon au risque de se laisser instrumentaliser au service d’une logique de privatisation en mettant à la disposition des privilégiés des systèmes privés de soin, d’éducation, etc., dont l’inspiration catholique n’est plus qu’une source d’inspiration lointaine et finalement inopérante qui risque de produire un contre-témoignage. »

Qui peut rester indifférent à ce regard aiguisé d’un homme d’Eglise sur ce qui est en train de se passer dans notre société, et ajoutons, dans l’Eglise ?

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Chers collègues, à la droite de nos bancs, vous avez déposé des amendements similaires aux nôtres, exigeant notamment l’accord du Maire préalable au financement d’une scolarisation hors résidence. Vous confirmez ainsi que la meilleure sortie aujourd’hui concernant notre Ecole serait de supprimer purement et simplement l’article 89 sans autre faux compromis. Je vous demande donc, au nom de la République qui nous réunit, de ses principes, de retirer cette proposition de loi qui n’a pas lieu d’être car elle dément la force que pourrait avoir l’abrogation pure et simple de l’article 89, car elle est excessivement coûteuse à long terme et dangereuse pour notre pacte social.

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