m

Bisphénol A : ma présentation en commission aujourd’hui

Hier, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a lancé un appel à contributions visant à recueillir des données sur les produits de substitution au bisphénol A disponibles. Dans la note d’appel à contribution, il est écrit : « l’agence considère qu’il existe aujourd’hui des éléments scientifiques suffisants pour identifier comme objectif prioritaire la prévention des expositions des populations les plus sensibles que sont les nourrissons, les jeunes enfants ainsi que les femmes enceintes et allaitantes.

Cet objectif passe par la réduction des expositions au bisphénol A, notamment par sa substitution dans les matériaux au contact des denrées alimentaires qui constituent la source principale d’exposition des populations les plus sensibles. »

La proposition de loi de notre collègue Gérard Bapt vise à suspendre la commercialisation de tout conditionnement alimentaire comportant du bisphénol A.

Les revues bibliographiques et auditions que j’ai effectuées me conduisent à affirmer que : premièrement, les études sur la nocivité du bisphénol A pour les hommes doivent être prises très au sérieux, et deuxièmement, son remplacement par d’autres produits est tout à fait possible.

1. Les signaux d’alerte concernant la toxicité du bisphénol A doivent être pris au sérieux

Le bisphénol A est un composant chimique permettant de fabriquer des matières plastiques très performantes aux nombreuses applications. Il est associé à d’autres composants pour la fabrication de deux types de matériaux essentiellement : une matière plastique, le polycarbonate, et les résines époxy. Le bisphénol A n’est pas un additif mais un élément indissociable de ces produits : sans bisphénol A, on ne peut pas fabriquer de polycarbonate ni de résines époxy.

  • Le polycarbonate présente des qualités indéniables : transparence, solidité et résistance aux chocs et à la chaleur, inaltérabilité dans le temps. Sa surface lisse permet de limiter la fixation des bactéries, il est donc très intéressant en terme d’hygiène.

Il est utilisé dans de très nombreux produits de la vie courante : bonbonnes d’eau, biberons, vitres des voitures casques de motos, boucliers des CRS, bouilloires, amalgames dentaires, etc.

  • Les résines époxy servent au revêtement intérieur des boîtes de conserves et canettes.

Le bisphénol A est un perturbateur endocrinien. Le bisphénol A agit comme un leurre hormonal, capable de mimer l’effet d’hormones sexuelles qui ont un rôle dans la fonction de reproduction, mais aussi le développement d’organes comme le cerveau ou le système cardio-vasculaire. Toutefois, il s’agit là d’effets constatés lors d’expériences où le bisphénol A est en contact direct avec des œstrogènes. La question est de savoir si le bisphénol A contenu dans les matériaux mentionnés précédemment peut se retrouver en contact avec des hormones dans le corps humain, et avoir un effet nocif.

Malgré de nombreuses études scientifiques démontrant un effet négatif du bisphénol A sur le développement d’animaux, les autorités sanitaires ont considéré pendant des années que celui-ci ne présentait pas de risque pour l’homme.

Toutefois, une évolution importante a eu lieu en 2010. L’avis de l’AFSSA du 29 janvier 2010 a reconnu des « signaux d’alerte » parmi les études scientifiques et recommande de poursuivre les recherches afin de comprendre les mécanismes d’action du bisphénol A chez l’homme. Elle commence à remettre en cause la notion de dose journalière admissible (DJA) qui fonde la réglementation de l’utilisation des substances susceptibles de présenter un danger pour la santé humaine, et en particulier celle relative au bisphénol A (DJA 0,5 mg/kg de poids corporel et par jour) – cette DJA permet de fixer la limite de migration spécifique, c’est-à-dire la quantité de substances qui peut migrer vers l’aliment sans danger pour le consommateur.

L’AFSSA indique que les études analysées ne permettent pas d’établir une relation dose-effet ni de définir une dose sans effet sur laquelle fonder une dose journalière admissible.

Dans son avis du 7 juin 2010, dans lequel l’AFSSA présente un tableau de l’exposition de la population au bisphénol A (cf. seconde partie du présent rapport), l’agence considère qu’il est souhaitable de maintenir aussi bas que possible l’exposition des consommateurs au bisphénol A, notamment les plus sensibles. Elle recommande donc que la limite de migration spécifique du bisphénol A soit réévaluée en s’alignant sur les meilleures technologies actuellement disponibles. Elle recommande par ailleurs un étiquetage systématique des ustensiles ménagers en contact avec les aliments et contenant du bisphénol A afin d’éviter leur utilisation pour un chauffage excessif des aliments.

Enfin, les deux rapports publiés hier par l’ANSES sont extrêmement éclairants et apportent des arguments nouveaux dans le débat.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a organisé une expertise collective, ambitieux travail d’analyse de toutes les études scientifiques disponibles sur les perturbateurs endocriniens, avec une douzaine de perturbateurs prioritaires dont le bisphénol A. La méthodologie de l’ANSES a consisté à prendre en compte l’intégralité des études publiées dans les revues à comité de lecture ; elles ont ensuite été analysées et classées en trois parties : effet avéré, effet controversé et effet suspecté. Certaines études ont été écartées, considérées comme pas suffisamment fiables.

Il existe peu de conclusions sur l’effet du bisphénol A sur l’homme : pour l’instant, on ne trouve que des « effets suspectés » ou « controversés », rien d’avéré. En revanche, l’ANSES recense de nombreux effets avérés chez les animaux, qui sont extrêmement inquiétants (et sachant qu’il est bien plus facile de réaliser des expériences sur les animaux que sur les hommes). Je vous épargne la liste que vous pouvez trouver en page 15 du document distribué. En conclusion, l’ANSES donne des recommandations de recherche à l’intention des scientifiques, afin de mieux caractériser le danger.

Parallèlement, l’ANSES lance un appel à contributions jusqu’au 30 novembre 2011, visant à recueillir des données scientifiques sur les produits de substitution disponibles en fonction des usages.

Dans la note d’appel à contributions évoquée tout-à-l’heure, l’ANSES rappelle notamment que les effets suspectés chez l’homme et avérés chez l’animal ont été mis en évidence à des doses notablement inférieures aux doses de référence utilisées à des fins réglementaires. Elle souligne l’existence possible d’une relation dose-effet non linéaire et la difficulté à définir un seuil de dose sans effet sur la base des données scientifiques disponibles. Elle rappelle l’existence de « fenêtres d’exposition » et de populations sensibles (c’est-à-dire que le bisphénol A a des effets principalement sur les organismes en formation, les fœtus et jeunes enfants).

Enfin, comme je vous l’ai dit en préambule, l’ANSES recommande la réduction des expositions au bisphénol A, notamment par sa substitution dans les matériaux au contact des denrées alimentaires qui constituent la source principale d’exposition des populations les plus sensibles.

Je souligne qu’il ne faut par confondre l’expertise, c’est-à-dire l’analyse stricte des publications scientifiques, et les recommandations que l’on peut en tirer en les confrontant à l’expérience et la connaissance d’autres situations.

2. il faut maintenant agir : La nécessité de protéger les femmes enceintes et les enfants implique de prendre des mesures générales d’interdiction.

L’hypothèse qu’émettent les endocrinologues est que le bisphénol A aurait des effets négatifs pendant des périodes particulières du développement, si bien que certaines populations doivent être protégées : femmes enceintes et allaitantes, bébés, enfants et adolescents. Or, la suppression du bisphénol A dans les biberons ne suffit pas à protéger les plus vulnérables.

  • Les fœtus à travers les femmes enceintes : le placenta ne protège pas l’embryon de l’exposition au bisphénol A, bien au contraire. Ainsi, lors de son audition par la rapporteure, le professeur Jean-François Narbonne (1) a expliqué que le problème particulier du bisphénol A ainsi que des phtalates réside dans le fait qu’ils s’accumulent particulièrement dans le liquide amniotique et surexposent donc le fœtus par rapport aux autre perturbateurs endocriniens.
  • Les bébés : Dans son avis du 7 juin 2010, l’AFSSA montre que les principaux contributeurs à l’exposition du bisphénol A chez le jeune enfant sont le lait (en particulier en boîte) pour 39 %, les petits pots pour 25 % et les fruits en conserves pour 14 %. La contribution des biberons à l’exposition n’est que de 4 %. S’agissant des bébés allaités, le lait maternel constitue également une source importante d’exposition au bisphénol A, via l’alimentation de la mère.
  • Or, les études chez l’animal ont montré que la période fœtale tout particulièrement, mais aussi la période postnatale, puis l’enfance, sont des périodes a risque, en raison du développement et de la maturation des différents systèmes.

Protéger les femmes enceintes et allaitantes et les enfants implique de protéger l’ensemble de l’alimentation. La principale source d’exposition de la population générale est alimentaire. L’ANSES indique que « pour les adultes et enfants de plus de 3 ans , les groupes d’aliments contribuant majoritairement à l’exposition sont les plats composés en conserve, suivi des soupes en conserve, ainsi que des charcuteries et des légumes en conserve.

La loi du 30 juin 2010 suspendant la commercialisation des biberons contenant du bisphénol A a permis une prise de conscience utile, mais elle ne suffit pas. Les laits en poudre conditionnés dans des boîtes en métal contiennent eux-mêmes du bisphénol. Le lait maternel également, via l’alimentation de la mère.

Je considère qu’il faut aborder le problème de façon rationnelle, en prenant en compte le rapport bénéfice / risque du bisphénol A comme des produits qui pourraient le substituer.

Est-ce que cette suspension du bisphénol A est réaliste et raisonnable ? En ce qui concerne les contenants de denrées alimentaires, je pense que oui. Il existe des substituts. Les auditions que j’ai conduites ont montré qu’il existait d’ores et déjà des solutions alternatives au bisphénol A. Je vous renvoie à mon rapport. Le Japon est très en avance sur ce point par exemple : il y a beaucoup moins de bisphénol A dans leurs emballages que chez nous, car le pays a été sensibilisé sur ce problème beaucoup plus tôt que nous.

Il faut mobiliser les industriels. Les solutions de substitution ne sont certes pas toutes opérationnelles, mais la fixation d’un délai contraignant pour la disparition du bisphénol A doit permettre de mobiliser les industriels pour mettre au point des substituts dont l’innocuité doit être démontrée. Il me semble que porter le délai à janvier 2014, comme je vous le proposerai par amendement, doit permettre aux industriels de tester les produits de remplacement. En effet, il ne s’agit pas de substituer au bisphénol A d’autres substances dangereuses.

Parallèlement, en attendant que le bisphénol A ait disparu de notre alimentation, la sensibilisation au problème du bisphénol A pour les femmes enceintes et les jeunes enfants doit passer à la fois par une campagne d’information à destination des femmes enceintes et des jeunes mères, et par un étiquetage des produits contenant du bisphénol A. Des plaquettes d’informations à destination des femmes enceintes ont été réalisées par le ministère de la Santé cette année, et elles doivent normalement être maintenant en circulation, notamment dans les maternités.

Par ailleurs, je propose que l’on mette en place un étiquetage des récipients et emballages alimentaires au contact des aliments contenant du bisphénol A, comme l’a recommandé l’ANSES dans son avis du 7 juin 2010 et à plusieurs reprises depuis.

Il est temps d’agir. Les rapports publiés par l’ANSES hier ont montré que les preuves scientifiques étaient suffisantes pour montrer qu’il y avait un danger et que le moment était venu de prendre des mesures de précaution.

C’est pourquoi je vous demande d’adopter la proposition de loi.

Vers un fichage général de la population ?

L’Assemblée nationale a examiné le 7 juillet une proposition de loi de la majorité déjà adoptée par le Sénat dont l’objet est de lutter contre les fraudes à l’identité en créant un fichier national de la population comprenant des données biométriques. Ficher potentiellement 65 millions de personnes dans le seul objectif de lutter contre l’usurpation d’identité, touchant quelques dizaines de milliers de Français, peut-il être considéré comme anodin ? L’objectif de la droite est clair : sous couvert de lutte contre la délinquance, c’est le fichage biométrique de l’ensemble de la population française qui est ainsi organisé. De plus, la possibilité de reconnaissance faciale des individus est ouverte. Dans la rue, dans les transports en commun, lors de manifestations, chacun pourra, à terme, être reconnu et identifié. Il est légitime de s’interroger sur les futures utilisations par le ministère de l’Intérieur d’un tel fichier.

Contrairement aux projets de loi, les propositions de loi, d’initiative parlementaire, sont dispensées d’études d’impact et d’avis du Conseil d’Etat. La majorité n’a pas non plus jugé utile de consulter la Commission nationale informatique et liberté, alors que ce texte crée un grand fichier national de la population comprenant des données biométriques. La proposition de loi prévoit en effet la création d’une carte nationale d’identité biométrique comprenant les empreintes digitales.

De plus, une fonctionnalité pourra être activée par le détenteur de la carte d’identité pour ses transactions commerciales sur internet et dans ses relations avec l’e-administration, au moyen d’une puce lui permettant de s’identifier sur internet et de mettre en oeuvre sa signature électronique. On ne peut que s’interroger sur ce détournement à des fins commerciales de la carte nationale d’identité. Est-ce vraiment sa vocation ? La confusion entre des objectifs régaliens et d’autres mercantiles est évidente.

La création d’un grand fichier national composé des empreintes digitales est un enjeu majeur qui ne peut se faire au détour d’une proposition de loi adoptée à la va-vite. Le fait que chaque empreinte soit reliée directement à une identité revient à créer un fichier exhaustif de la population qui pourra être utilisé à d’autres fins. Toutes les limitations apportées concernant les fichiers de police et notamment le FAED (fichier des empreintes digitales) et le FNAEG (empreintes génétiques) n’auraient plus lieu d’être. Tous les citoyens seront dans la base du Ministère de l’Intérieur, criminels ou non.

Avec la possibilité de reconnaissance faciale des individus, chacun pourra, dans la rue, dans les transports en commun, lors de manifestations, être reconnu et identifié. Il est légitime de s’interroger sur les futures utilisations d’un tel fichier. La lutte contre l’usurpation d’identité serait alors un simple prétexte pour constituer un fichier général de la population. L’enjeu est majeur d’autant plus que ce processus est irréversible. Une fois ces données personnelles collectées, on ne pourra faire marche arrière.

La CNIL n’a pas été saisie et n’a donc pas émis d’avis écrit. Par conséquent, le Président du groupe, Jean-Marc Ayrault, a saisi la CNIL par un courrier en date du 30 juin 2011 afin qu’elle puisse émettre un avis formel et formuler les recommandations nécessaires avant l’examen en séance publique de la proposition de loi. Le Président de la CNIL s’est engagé à donner un avis avant la deuxième lecture au Sénat.

Les députés du groupe Socialiste, Radical et Citoyen ont voté contre cette proposition de loi en le 7 juillet en 1ère lectur

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel