Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

jeudi 12 février 2009

Bataille pour le Service Public

Conscient des enjeux de la loi "portant réforme de l'hôpital", le personnel de l'APHP (Assistance Publique des Hôpitaux de Paris) s'est réuni autour de l'Assemblée pour manifester.

Dans la pause entre séance du matin et séance de midi, je reçois les représentants des syndicats, tous présents (CFE CGC, CFTC, UNSA, SUD, CGT_APHP) : ils défendent d'abord et avant tout le service public.

Et c'est en effet le noeud gordien que cette loi entend défaire. Je voudrais en démonter de façon simple le mécanisme.

. Un Directeur Régional de Santé, à la tête d'une agence du même nom (ARS), va désormais diriger et coordonner le système de santé dans chaque région. A ce titre, il va répartir les moyens alloués à chacune des branches du système de santé : hospitalier public, hospitalier privé à but lucratif et privé à but non lucratif, médecine de ville, secteur médico social. Nous reviendrons ultérieurement sur le détail de cette "gouvernance.

. la loi édicte désormais qu'un "établissement de santé" ne se définira plus désormais par son statut mais par ses missions, méconnaissant (feignant de méconnaître) un fait essentiel : en plus du statut et des missions, c'est le financement qui différencie les secteur public du secteur privé ; budget public dans un cas, logique d'entreprise dans l'autre, avec répartition de bénéfices à des actionnaires.

. La loi établit désormais une liste de 13 missions de service public (et non plus UN service public) : permanence des soins, enseignement, formation continue, formation des soignants, recherche, éducation à la santé et prévention, urgences, lutte contre l'exclusion sociale, actions de santé publique, soins des personnes hospitalisées sans consentement, des personnes retenue, des personnes retenues en centre de sureté.

. Si le directeur de l'ARS constate une carence d'exercice de l'une ou l'autre de ces missions, il peut la dévoluer au privé (avec, de fait, les moyens qui vont avec)

Où est-ce que le bât blesse ?

. d'abord sur le principe même de l'absence d'ambition du gouvernement pour le service public : si l'on constate une carence du service public, l'exigence devrait être d'assurer, en particulier par des moyens budgétaires suffisants) que celui-ci puisse l'assurer convenablement selon les principes d'égal accès de tous

. ensuite sur le fait que la décision du Directeur de l'ARS n'est basée sur aucune concertation, aucun critère défini et que son choix de l'établissement ne connait aucune hiérarchie, par exemple entre privé à but non lucratif et privé à but lucratif

. enfin et très gravement parce ce que c'est désormais la seule et même personne qui distribue les moyens et, constatant leur carence, les transfère ailleurs. Le Directeur de l'ARS est à la fois juge et partie, et il a le pouvoir d'organiser la carence s'il a l'intention d'orienter ailleurs l'exécution des missions de service public.

Si l'on sait que ces directeurs pourront être issus du milieu de l'assurance, de la banque, de l'entreprise, on devine la possibilité de collusions d'intéret.

Nous essayons d' "amender" chacun des articles de la loi correspondant à ces étapes et en particulier l'exigence de ne pouvoir transférer UNE mission sans que ce transfert s'accompagne d'un "socle" de service public, celui-là même qui alourdit le coût du secteur public, mais en assure la continuité et l'égalité ; ce socle est composé de permanence, urgence, santé publique, lutte contre l'exclusion et la précarité.

D'autres amendements encadrant la décision du directeur de l'ARS (concertation, critères clairs), privilégiant le secteur privé non lucratif.

On le voit : une bataille très serrée, en face d'une droite assez ouverte en commission, mais aujourd'hui rappelée à l'ordre, resserrant les boulons et voulant passer en force.

voir aussi billet précédent et billets du 9 et 4 février

L'hôpital ou la dynamique des fluides

A chaque pas d'une décision serrée, dense, de bon niveau, les intentions du gouvernement se découvrent : dissoudre les limites entre secteur public et privé. Les propos mêmes du rapporteur UMP du projet sont sans équivoque : les "établissements de santé ne sont plus définis par leurs statuts mais par leurs missions". Il n'y a donc plus d' "hôpital", mais des structures qui recevront au gré d'une seule personne, le Directeur Régional de l'agence de santé", une part plus ou moins grande du bouquet de missions de service public défini dans le texte.

Petit détail : c'est une chose de décrêter que le statut est désormais nul et non avenu, mais derrière les établissements que nous appelons encore innocemmment "hôpitaux" il y a le budget de l'Etat, derrière les cliniques, dans des cas de plus en plus nombreux, les fonds de pension américains qu'il s'agit de rentabiliser.

Treize missions de service public ont été définies. Signe des temps, trois sont en relation avec les lieux privatifs de liberté (deux pour la rétention, une pour la détention). Est-ce à dire que détenus et retenus constituerons un jour près de 25% du "public", c'est à dire vous et moi !

Les directeurs d'ARS, s'ils constatent la carence du service public, décideront, seuls, sans critères définis, ce qu'ils attribueront au privé. Avec les moyens qui vont avec. Ce qui s'appelle déshabiller Paul pour habiller Pierre. Sauf que Paul est toujours le même (le public) et Pierre aussi (le privé). Cela s'appelle en jargon gouvernemental "la fongibilité asymétrique".

Il me semble que le mouvement devrait aller tout au contraire . Les leçons de la crise, la nature même de l'acte de soigner et tout simplement le fait que la totalité de la médecine est payée par les deniers publics. Ni eux, ni la santé des Français n'ont mission à alimenter les fonds de pension.

De plus, la crise sanitaire, la crise sociale qui s'aggravent chaque jour, augmentent chaque jour aussi le besoin qu'ont et auront les Français de l'hôpital, le vrai. D'ores et déjà, pourquoi les urgences sont-elles engorgées ? Parce que beaucoup n'ont d'autres moyens de se soigner. Dépassement des tarifs, carences de la permanence des soins en ville, désertification médicale de nombreux territoires, tout fait confluer les difficultés, les populations précaires, les malades "non rentables" vers la porte encore ouverte des hôpitaux.

Tableau trop noir ? Certainement pas. La Ministre répond à toutes questions qu'elle veut mettre de la "fluidité". A ce niveau, ce n'est plus de la fluidité, c'est la dissolution de l'hôpital public.