J’admets que le nouveau projet de loi Dati sur la rétention de sûreté peut susciter des réactions fortes, vu la tradition française dans ce domaine. La réaction de Robert Badinter est en effet impressionnante. Mais il faut malgré tout essayer de voir objectivement si ce projet est condamnable en bloc. .A cet effet il est toujours utile de jeter un regard au-delà des frontières de l’hexagone pour connaitre les éventuelles expériences en la matière chez nos voisins européens.
Pour cela je me permets de présenter brièvement la situation dans un des trois pays germanophones, Allemagne, Autriche et Suisse, dont chacun connaît depuis longtemps des dispositions visant la protection de la société contre des personnes délinquantes demeurées particulièrement dangereuses après avoir purgé une peine (la « Sicherungsverwahrung » allemande (Art. 66 du Code Pénal), la « Unterbringung im Massnahmenvollzug » en Autriche(Art. 23 Code Pénal) et la « Verwahrung von Gewohnheitsverbrechern » (Art. 42 Code Pénal)). Ces dispositions sont largement comparables ; je peux donc me limiter au « modèle allemand ».
La droit allemand prévoit des « mesures de l’amélioration et sécurisation »pour protéger la société de délinquants dangereux. Elles consistent à priver de libérté le délinquant à l’issue de sa peine dès lors que la dangerosité persiste selon l’avis du tribunal et d’experts ou, dans certains cas, si la non-dangerosité n’a pas été mise en évidence incontestablement. La mesure peut être prononcée dans le jugement ; elle peut être prévue dans le jugement « sous réserve », ou elle peut être prononcée ultérieurement, sans avoir été initialement prévue, même « sous réserve ». Dans ce contexte,l’âge des délinquants peut jouer un rôle : la mesure n’est pas possible pour des jeunes délinquants entre 14 et 18 ans, elle peut être prévue dans le jugement « sous réserve » pour des personnes entre 18 et 21 ans au moment du crime. Les personnes non responsables de leurs actes peuvent être mises en hôpital psychiatrique. La condition pour que le jugement prévoie la mesure consiste dans un pronostic de dangerosité négatif : c’est le cas lorsque en tenant compte de la personnalité, de l’origine, de l’éducation, du parcours, des conditions de la vie familiale, de l’intelligence etc. ainsi de ses actes criminels on peut arriver à la conclusion qu’en raison d’une tendance à des actes graves la personne peut constituer un danger grave pour la société. Une expertise doit être établie pour un tel constat. Une autre condition doit être remplie : une condamnation d’au moins deux ans pour un crime avec préméditation ; préalablement, le délinquant doit avoir fait l’objet d’au moins deux condamnations pour actes avec préméditation d’au moins un an dans chaque cas ; le délinquant doit avoir déjà purgé deux ans de privation de liberté (prison ou mesure de sécurisation). Au cas d’une condamnation pour certains crimes spécifiques (d’abus sexuel, de lésion corporelle grave, de maltraitance de personnes protégées ou d’état d’ébriété totale en relation avec un crime) une seule condamnation pour un ou plusieurs de ces crimes à une peine d’au moins trois ans est suffisante. Voici les conditions essentielles ; des conditions différentes dans les détails sont prévues pour la prononciation d’une mesure a posteriori qui peut être décidée si la personne présente avant la fin de son emprisonnement certains comportements aigus et concrets, inconnus au tribunal au moment de sa condamnation et permettant de conclure à la persistance d’une dangerosité particulière pour la société.
La mesure est appliquée dans un cadre séparé différent du cadre normal de l’exécution des peines. A cette fin, il faut soit construire des établissement spécifiques soit mettre à disposition des parties séparées d’ autres parties dans les établissements pénitentiaires. Les personnes concernées bénéficient de certains assouplissements par rapport aux prisonniers notamment en matière de vêtements et de literie personnelle ; il doit être tenu compte de leur personnalité spécifique lors de l’aménagement de leur cadre de vie. Tous les deux ans au moins il doit y avoir un examen de la persistance de la dangerosité. Si celle-ci n’existe plus, la mise en œuvre de la mesure est suspendue et la personne est libérée sous un contrôle particulier pendant cinq ans. Après dix ans la mesure peut être terminée sauf constatation d’une dangerosité pouvant entrainer des graves dommages physiques ou psychiques pour des victimes potentielles de nouveaux actes commis. Voici de façon non exhaustive l’aménagement de la mesure de sécurisation. En Allemagne, ces mesures concernent actuellement moins de 400 personnes.
Pour conclure, je voudrais dire que la philosophie allemande en la matière s’appuie sur le vieil adage selon lequel il doit y avoir des peines parce qu’il y a eu un crime et pour qu’il n’y en ait plus (« quia peccatum est nec peccetur »). Ce deuxième volet correspond tout à fait à ce qu’on entend par « défense sociale » (difesa sociale), une doctrine qui vise la protection de la société comme but absolument prioritaire du droit pénal.
K.F.
Commentaires
1. Le samedi 12 janvier 2008 à 20:20, par J-Ph. D.
2. Le samedi 12 janvier 2008 à 20:30, par Gérard ELOI
3. Le samedi 12 janvier 2008 à 20:33, par Jean - suite et fin-
4. Le samedi 12 janvier 2008 à 21:21, par Lucas Clermont
5. Le samedi 12 janvier 2008 à 22:19, par Lucas Clermont
6. Le samedi 12 janvier 2008 à 23:09, par PSE
7. Le samedi 12 janvier 2008 à 23:22, par James
8. Le samedi 12 janvier 2008 à 23:27, par James
9. Le samedi 12 janvier 2008 à 23:36, par Ivan
10. Le samedi 12 janvier 2008 à 23:56, par Klaus Fuchs
11. Le dimanche 13 janvier 2008 à 00:04, par the contacts
12. Le lundi 14 janvier 2008 à 10:25, par M.V.
13. Le lundi 14 janvier 2008 à 10:33, par M.V.
14. Le lundi 14 janvier 2008 à 11:15, par M.
15. Le lundi 14 janvier 2008 à 11:55, par Klaus Fuchs
16. Le lundi 14 janvier 2008 à 13:59, par M.V.
17. Le lundi 14 janvier 2008 à 18:46, par Klaus Fuchs
18. Le mardi 15 janvier 2008 à 21:12, par M.V.
19. Le mercredi 16 janvier 2008 à 10:48, par Lucas Clermont
20. Le jeudi 17 janvier 2008 à 20:01, par Klaus Fuchs
21. Le vendredi 18 janvier 2008 à 10:07, par Lucas Clermont
22. Le vendredi 18 janvier 2008 à 10:46, par Klaus Fuchs
23. Le vendredi 18 janvier 2008 à 11:05, par Lucas Clermont
24. Le vendredi 18 janvier 2008 à 14:14, par Klaus Fuchs
25. Le dimanche 20 janvier 2008 à 17:19, par M.V..
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