A Münich, sous de fins flocons de neige glaciale, j'ai accompagné Théa, née en 1912, morte le 16 octobre 2007.

Nul ne sait quel siècle a été, ou sera, plus difficile ou plus aventureux à traverser (les croisades, la guerre de cen ans, la révolution ?..) et il est impossible de dire ce que vivront les enfants qui naissent en ce moment. Quel bouleversement, quelle barbarie, quel progrès, les attend ? Pour autant, je crois que le XXème siècle a été en Allemagne une épreuve, à tous les sens de ce terme, plus rude et plus fondamentale que dans la plupart des pays.

Etre jeune, comme Théa, dans les suites de la défaîte de 1914, grandir avec la République de Weimar et subir l'inflation monumentale qui a ruiné tant d'Allemands ; vivre la montée du nazisme, ne pas en faire partie et pourtant l'accompagner, fuir Berlin sous les bombes avec un tout petit enfant dans chaque main pour aller on ne sait où, seule ; survivre dans deux pièces que l'on partage à plusieurs familles, puis, petit à petit, retrouver une vie, une maison, voir les enfants reprendre force et grandir grâce aux "paquets care" de l'armée américaine, progresser, passer des examens, des concours, devenir des européens... Et puis, comme il est écrit depuis la nuit des temps, l'âge, la maladie, l'adieu au monde.

Un destin de femme, tel que pourrait l'écrire, tel que l'a écrit Heinrich Böll.

Je me souviens d'avoir fait il y une vingtaine d'années une conférence à Bayonne, dans un cercle à la fois savant et amical, qui m'avait proposé en ma qualité de médecin de parler de "la vie et de la mort". Par plaisanterie, j'avais répondu à la personne qui me contactait "N'est ce pas un peu limitatif ?" et il m'avait répondu "N'hésitez pas déborder...".

C'est difficile de parler de la mort. Difficile, ou inutile, je ne sais pas. A l'instant devant la fenêtre, des petits flocons trouent la nuit de minuscules points argentés. Il y a une semaine, à la même heure, je quittais Ouagadougou, sous une température de 37°. Le monde est si vaste et si divers que, dans le temps limité qui est le nôtre, nous ne le parcourerons jamais qu'à l'intérieur de nos têtes.