Lettre aux jeunes qui ont voté pour la première fois
Les comiques, quand ils ont du talent, sont comme les poètes,
ils voient au-delà de la simple réalité.
En ce dimanche soir, je pense à Coluche, à ce qu'il aurait dit à l'annonce des résultats. A toutes les formules qu'il
aurait trouvées pour nous faire rire de tout cela. Il me revient cette phrase incroyable qu'il avait prononcée : « le sport a
perverti l'argent. »
Cela ne semblait être qu'un bon mot, cela ne semblait être qu'une pirouette de clown pour nous faire rire. Mais il y avait autre chose et plus. Il y
avait une prémonition. Aujourd'hui, je l'entends dire : « le sport a perverti la politique ». C'est ce que nous ont enseigné les médias et pour
en finir Sarkozy lui-même. Ils ont emprunté au vocabulaire du sport les
> expressions habituellement entendues dans les stades, lues
> dans L'équipe. Il
> y a eu les finalistes, les qualifiés, les éliminés, etc. Ils
> ont transformé
> l'espace démocratique en un combat singulier avec des
> supporters et des
> parieurs. Voilà pourquoi, il y a eu autant de monde le soir du débat. La
> France a retenu son souffle. Qui allait gagner : les roses ou les bleus. Les
> oranges avaient été éliminés. Société du spectacle, spectaclede sport. Le
> sport qui lui-même puise dans le vocabulaire guerrier. La
> guerre de tous
> contre tous, la loi du plus fort, l'écrasement des plus
> faibles, la conquête
> du titre et des honneurs à n'importe quel prix.
> Il me revient que je fus pris d'une colère saine au lendemain
> de la défaite
> de l'équipe de France contre l'Italie lors de la dernière
> coupe du monde de football. Ce jour-là, Raymond Domenech déclara : « Seule la victoire est
> belle. » La formule, reprise par les journalistes, sonne bien,
> au point
> qu'on pourrait se laisser aller quelques instants à épouser sa
> musique. Mais
> les phrases que l'on prononce ne peuvent pas valoir que pour
> la musique
> qu'elles émettent. Elles ont aussi un sens.
Seule la victoire est belle ! La formule qui sonne comme un vers de
tragédie, nous ferait oublier l'idéologie détestable et
dangereuse qu'elle porte. Si seule la victoire est belle, alors tous les moyens sont bons pour
> l'obtenir. Sur le terrain, l'antijeu qui favorise la défense
> fermée au
> dépend d'un jeu ouvert et offensif, les tacles assassins, les
> tirages de
> maillot au moment des corners, les insultes racistes, les
> agressions en tout
> genre, les tricheries dans la surface de réparation pour
> obtenir des
> penalties imaginaires, les fausses blessures pour gagner
> quelques minutes
> sur le chrono. Qu'importe la morale pourvu qu'on ait la
> victoire. En dehors
> du terrain aussi, tout est bon pour gagner. La victoire
> justifie les moyens,
> puisqu'elle seule est belle et qu'elle fera oublier les
> transgressions, les
> corruptions, le dopage, les détournements de fonds, les
> intimidations, le
> marché scandaleux des jeunes joueurs d'Afrique qui finiront
> errants dans les
> banlieues de nos mégalopoles si la chance ne leur a pas ouvert
> les portes
> des grands clubs. Que nous enseigne pareille formule, que tous
> les coups
> sont permis. Il faut dire que les enjeux financiers sont tels
> que la
> panoplie complète des comportements les plus détestables est
> mise au service
> de la victoire. Gagner à tout prix, au péril du code d'honneur
> le plus élémentaire.
>
> Peut-être que Coluche aurait à juste titre comparé certains
> politiciens et
> gens du show biseness, ééà ces mercenaires du ballon rond qui se
> vendent au
> plus offrant pour un poste, une ardoise fiscale effacée, pour
> jouer avec
> l'équipe la plus riche, la plus puissante. Peu importe les
> idées, les
> valeurs, qu'elles soient nôtres ou étrangères, pourvu que l'on
> partage une
> partie du banquet. Et si l'on parvient à désigner avant le
> match celui qui a
> va gagner, alors les pauvres miseront pour lui, avec le secret
> espoir de
> partager quelques miettes du banquet. Seule la victoire est
> belle. On l'a vu
> ce soir sur la place de la concorde. Les médias avaient de
> quoi alimenter
> leurs micros et leurs caméras, des déclarations des vainqueurs
> et des
> vaincus comme à la fin d'un match.
> Mais la politique ne peut pas se résumer, comme on nous l'a
> trop fait
> croire, à l'affrontement de deux équipes, de deux combattants,
> à des joutes
> oratoires, à un combat de boxe où tous les coups seraient
> permis et où les
> faux politologues nous feraient croire qu'ils comptent
> objectivement les
> points. Non, la politique ce n'est pas que cela. Et je
> voudrais dire à tous
> ceux, et surtout les jeunes qui ont voté pour la première
> fois, qui se sont
> engagés pour la première fois, qu'ils ne sont pas les
> supporters d'une
> équipe qui aurait perdu une finale, ils sont les acteurs de la vie
> démocratique, de la politique dans ce qu'elle peut avoir de
> plus noble et de
> plus terrible et qu'il est des moments dans la vie où la
> défaite peut être
> belle. Quand l'idée que l'on défend est plus grande que nous,
> elle peut nous
> porter au-delà de nous-mêmes, elle nous invite à lui être
> fidèles.
Soyez plus fiers que tristes. Apprenons à ne pas aimer que la
> victoire. Ceux qui
> autour de nous sont en échec méritent et attendent de nous que
> nous les
> sortions de leur nuit, quand les autres voudraient les
> maintenir. Je pense à Coluche, et l'entend dire :
« C'est l'histoire d'un mec... qui croyait avoir gagné. »
Allain Glykos
Commentaires
1. Le samedi 12 mai 2007 à 17:32, par Jérôme
2. Le samedi 12 mai 2007 à 18:16, par arno
3. Le samedi 12 mai 2007 à 22:44, par michele
4. Le dimanche 13 mai 2007 à 10:17, par douce-amère
5. Le dimanche 13 mai 2007 à 20:09, par Colette
6. Le lundi 14 mai 2007 à 15:48, par gruet jean noel
7. Le lundi 14 mai 2007 à 18:16, par michele
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