Le recueil des textes inédits paraît sous le beau titre « Nouvelles inquiètes ». Peut-être aurait-on préféré « Nouvelles d’inquiétude », expression plus fondamentalement « buzzatienne ». L’intéressant est le jeu sur le double sens de "nouvelles" qui, en français, désigne les courtes histoires mais aussi les informations que nous recevons sur l’état du monde. Buzzati était journaliste et même reporter. Son œuvre joue de cette dualité : les nouvelles que nous recevons du monde ne sont jamais mieux décryptées qu’en suivant l’enseignement de Platon et en les regardant à partir d’un monde qui n’est pas le réel ordinaire. Les courts textes du recueil s’appelent en Italien des « elzeviri ». Leur longueur correspond à deux colonnes de journal, forme où Buzzati culmine et leur nom vient des célebrissimes imprimeurs hollandais qui ont publié en leur temps quelques best-sellers comme «Le discours de la méthode » de Descartes.

Les deux recueils d’ « Œuvres » contiennent bien évidemment les maîtresses œuvres de Buzzati, dont « Le désert des Tartares », roman court mais monumental qui a marqué toute une génération d’écrivains. Elle-même porte la forte empreinte de Franz Kafka. Le désert des tartares, c’est « Le Château », mis dans une langue beaucoup plus facile d’accès que celle des romans de l’écrivain Tchèque. C’est aussi l’ouverture à une dimension nouvelle : l’espoir tragique. On ne souligne pas assez que le livre se termine sur une phrase extraordinaire « puis, dans l’obscurité, bien que personne ne le voie, il sourit ». Les héros du « Château » ou du « Procès » n’accèdent pas à ce sourire.

Je ne cite pas ces deux-là par hasard. Le nom de Joseph K, héros du « Procès », annonce une des plus fortes nouvelles de Buzzati, « le K ». Les sept recueils publiés du vivant de Buzzati (l’un quelques semaines avant sa mort en janvier 1972) sont pour l'essentiel dans les deux volumes. Ceux qui se souviennent des « Sept messagers » ou de « Sept étages », ont le cœur serré d’y repenser. Chaque texte est marquant, signifiant, et fait après lecture partie de la substance même du lecteur.

Peut-être est-ce plus encore le mérite de ces volumes de remettre à jour deux livres de Buzzati plus oubliés. « Un amour », récit réaliste et, 0 combien, autobiographique d’une passion destructrice et surtout « En ce moment précis », composé de fragments du journal de l’écrivain. Cette œuvre éditée pourtant à trois reprises en France était devenue introuvable. Tous ceux qui ont un jour pris conscience de la brièveté du temps qui nous est imparti n’oublieront jamais le texte qui donne le titre du livre « nous sommes déjà le 28 et je n’ai encore rien fait… A ce moment précis, finit la jeunesse »

Ces trois volumes publiés chez Robert Laffont à la faveur du centenaire prochain de la naissance de Buzzati constituent un véritable événement éditorial . Buzzati va pouvoir redevenir pour des milliers de lecteurs nouveaux, ce frère d’inquiétude, qui accompagne de son fin sourire de Milanais élégant nos nuits difficiles.