m

Sud Ouest, le 7 octobre 2009

Médecin hospitalier et Députée socialiste de la Gironde, Michèle Delaunay mène la fronde au Parlement contre le projet de loi ouvrant les jeux en ligne à la concurrence. La libéralisation ne pourra qu’accroître l’addiction.

« Sud ouest ». Pourquoi cette opposition farouche au projet de loi relatif à l’ouverture des jeux en ligne à la concurrence ?
Michèle Delaunay. C’est une question de santé publique. Jusqu’à présent, les jeux ont toujours été exclus du champ de la concurrence pour préserver un certain équilibre social. En ce domaine, l’addiction est proportionnelle à l’offre.

Augmenter l’éventail des choix, c’est prendre des risques considérables. Avec la mise en ligne, on changera de dimension.
Des joueurs en grand nombre seront précipités dans les dettes et le dénuement, soumis en permanence à la pression des publicités sur le Net ou à la télévision qui les inciteront à miser en direct.

Quelles seront les personnes les plus exposées ?
Les plus vulnérables. Les études montrent que 45 % des parieurs sont inactifs : chômeurs, retraités, jeunes. Parmi ces derniers, beaucoup de gamins des cités. Ils idolâtrent les sportifs qui porteront bientôt sur leurs maillots Betclic ou Bwin. Quel exemple ! L’addiction au jeu renforcera l’addiction à l’écran, déjà préoccupante, ainsi que la consommation de tabac et d’alcool. Les joueurs fument et boivent souvent de façon excessive.

Comment pouvez-vous être aussi affirmative ?
Il est vrai qu’il n’y a eu aucune enquête épidémiologique. On ignore donc la proportion de malades parmi les joueurs, les professionnels se gardant bien de communiquer la moindre statistique. Mais les files d’attente s’allongent dans les hôpitaux. Au cours de ces dernières années, les opérateurs en situation de monopole (Française des jeux, PMU, casinos) ont fortement développé leur activité, et une offre illégale est apparue sur Internet. On en mesure déjà les ravages.

Le projet du gouvernement vise justement à éviter que s’instaure la loi de la jungle sur le Net.
Mais ce sera la loi de la jungle. Il sera impossible de contrôler quoi que ce soit, les sociétés de jeux en ligne ayant leur siège à l’étranger. Rien ne garantit la traçabilité des flux financiers, les auditions menées à l’Assemblée nationale ayant démontré qu’il était possible de placer des capitaux dans des banques virtuelles à l’abri de toute curiosité. Le système n’est pas fiable, j’en ai fait moi-même l’expérience. Je me suis inscrite sur l’un des principaux sites en prenant le nom de ma belle-mère, qui est morte depuis plusieurs années !

Mais l’Europe ne veut plus entendre parler des monopoles étatiques des jeux.
L’Europe n’impose rien. Il n’existe aucune directive. Au mois de septembre, la Cour de justice européenne a d’ailleurs donné tort à la société Bwin et raison à l’État portugais qui défendait son monopole des paris sportifs. La France peut donc tout à fait renoncer à ouvrir les jeux en ligne à la concurrence. Elle ne le fait pas, parce que des opérateurs importants sont proches du pouvoir. Trois d’entre eux appartenaient d’ailleurs au groupe qui a fêté la victoire de Nicolas Sarkozy au Fouquet’s en 2007.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel