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Il y a peu de phrases, peu parmi les petits textes de la littérature, qui m’aient marqué autant qu’une grosse poignée de lignes de l’écrivain Dino Buzzati. Un petit texte extrait du moins connu de ses ouvrages (« En ce moment précis »), composé pour l’essentiel de fragments de son journal et d’ébauches de nouvelles.

« Nous sommes déjà le 28 et je n’ai encore rien fait. (…) Mais alors que nous sommes arrêtés sur le bord du chemin, les heures, les jours, les mois et les années nous rejoignent un à un, et avec une abominable lenteur il nous dépassent, disparaissent au coin de la rue. Et puis le matin nous nous apercevons que nous sommes restés en arrière et nous nous lançons à leur poursuite.
A ce moment précis, pour parler simplement, finit la jeunesse ».

Rien qu’à écrire après lui ces quelques phrases, j’ai le coeur serré. Buzzati avait (probablement) une quarantaine d’années quand il a écrit ce petit texte. Combien de fois, depuis un âge beaucoup plus jeune, y ai-je repensé ? Quand une journée approche de sa fin et que je l’ai occupée de mille choses qui en fait ne sont rien, quand une année finit, s’ajoute en même temps que se retranche, quand les feuilles de mon marronier tombent à terre, quand les jours raccourcissent… La jeunesse, de ce point de vue a fini tôt pour moi. Buzzati m’est devenu un frère d’inquiétude. Qu’on prenne cette phrase avec simplicité : je ne saurais le dire autrement.

La journée justement approche de sa fin, incitant aux confidences. Peu après la mort de Buzzati, j’ai fait le voyage jusqu’à Belluno dans les Dolomites (dont il parle souvent, il était grand amateur de montagne et d’escalade). Lui n’était plus là, mais sa porte m’a été ouverte familièrement par sa famille. Son chien à la fois aboyait dans le jardin et trônait sur les murs dans un grand dessin dont il était l’auteur. Nous avons parlé avec sa soeur du texte que je viens de citer. Elle m’a dit qu’il était la clef de toute sa vie et bien évidemment, de ses écrits.

La maison de Buzzati lui ressemble étonnamment : une maison basse, pas très grande, aux murs couverts de fresque très aristocratiques, le tout dans l’écrin des Alpes. Elle est située en dehors de la petite ville. En y allant, je n’en connaissais pas l’adresse. J’ai demandé à plusieurs reprises aux habitants. Tous m’ont dirigé vers le centre ville, ne comprenant pas bien pour quoi je demandais où se situait la « maison » de Buzzati puisqu’il s’agissait d’un garage. Et en effet, le commerce le plus imposant de Bellluno est le « garage Buzzati ». J’ai eu un peu de mal à faire comprendre que ce n’était pas le Buzzati que je cherchais.

De très nombreuses années plus tôt, ma mère s’était mise dans l’idée de rendre visite au Maine Giraud. Elle était grande passionnée d’Alfred de Vigny et voulait, elle aussi, faire pélerinage en sa demeure. Nous avons interrogé tous les agriculteurs des environs « nous cherchons la maison d’Alfred de Vigny », pour ne recevoir que des « Devigny, ou Alfred, pour sûr, sont point de par là! », prononcés avec un accent charentais bien tassé. Plus tard, Le Maine Giraud a été vendu, morcelé, et « Alfred » je pense plus oublié encore dans les environs !

Je crois que j’ai raconté cette histoire pour me désserrer un peu le coeur. Ce beau dimanche après-midi, je l’ai passé dans les trois volumes de Buzzati qui viennent d’être réédités et que je signale en « notes de lecture ». Les amis de nos amis sont nos amis, et c’est pourquoi je parle ce soir de Dino.

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